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Pouvoirs
publics : l'homme le plus "constructif"
1.
Jean-Noël Tronc / Matignon
2.
Patrick Bloche / Député
(lire)
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Depuis
deux ans et demi, il est le conseiller de Lionel
Jospin sur le dossier des nouvelles technologies.
Pivot de la mise en oeuvre du programme d'action
gouvernemental,
Jean-Noël Tronc joue
les discrets. C'est souvent une garantie d'efficacité.
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A
Matignon, la high-tech se fait discrète. Le bureau
de Jean-Noël Tronc, depuis bientôt deux ans et demi
conseiller du Premier ministre pour toutes les questions
liées aux nouvelles technologies, se trouve loin de
l'agitation du cabinet, coincé dans un entresol de l'arrière
de Matignon, sur la rue de Babylone. La situation semble
parfaitement convenir à l'occupant des lieux,
tout à son affaire de contribuer à tracer
une voie française et européenne pour
l'Internet.
La force de l'Europe
Jean-Noël Tronc est, comme il se doit, serein et posé,
mais son regard pétille dès qu'il évoque l'immense chantier
qui l'occupe. Il affiche une certaine fierté à l'égard
des évolutions que l'on observe depuis deux ans et des
nombreuses actions qui ont été lancées. Surtout, il
reste profondément convaincu du rôle que la France peut
jouer dans l'économie de l'Internet. Pour appuyer sa
démonstration, il aime à prendre exemple sur
la téléphonie mobile. L'ancien chargé de mission chez
Itinéris se souvient des chiffres annoncés il y a quelques
années (2 millions d'utilisateurs de mobiles dans le
monde en l'an 2000 !) et des prédictions pessimistes
qui donnaient l'industrie européenne du secteur comme
moribonde. Il croit profondément, presque viscéralement,
à la force de l'Europe dans trois segments technologiques
fondamentaux pour Internet: une meilleure ergonomie,
une meilleure sécurité, une meilleure intelligence.
Y aurait-il aussi une exception culturelle pour le Web?
Jean-Noël Tronc trouve l'attitude américaine parfois
trop idéologique qui tend, par exemple, à réduire l'Internet
au commerce électronique. L'homme garde un souvenir
presque amusé d'un rendez-vous caricatural avec le président
d'une des plus grandes entreprises américaines, venu
lui exposer à l'aide de "slides" le fonctionnement
d'Internet. "C'était Tintin au Congo, avec
John Chambers de Cisco dans le rôle de Tintin".
Et Jean-Noël Tronc de conclure, "Comme Monsieur Jourdain,
les Américains font parfois de l'idéologie sans le savoir".
"Ne
vous attendez pas à une diminution du rôle
de l'Etat"
Jean-Noël Tronc est conscient de n'être qu'un des rouages
des évolutions en cours. Il récuse cependant toute affirmation,
aujourd'hui fort répandue, qui tend à minimiser l'action
et la nécessaire influence des pouvoirs publics. Il
cite à cet égard une phrase de Hal Varian et Carl Shapiro
extraite de leur livre Information Rules "Ne
vous attendez pas à une diminution du rôle de l'Etat".
Le conseiller du Premier ministre souhaite que l'on
puisse très vite "désidéologiser" le débat. Qu'en est-il
du rôle de l'Etat? "Nous partageons tous l'idée si bien
exprimée par Manuel Castells dans son livre The Network
Society, que ce qui est en jeu dans la société de
l'information, ce ne sont pas uniquement les questions
de technologie et de commerce, mais bien l'ensemble
des aspects de nos sociétés", commente-t-il. "Et que
cherche à faire le gouvernement français avec son programme
d'action de presque un milliard d'euros sur deux ans?
Câbler les écoles, former les enseignants, numériser
l'information publique, investir dans les meilleurs
services en ligne que le gouvernement peut fournir aux
citoyens et aux acteurs économiques, stimuler l'innovation
et la recherche, encourager l'émergence de pépinières
et de capital risque, permettre une concurrence loyale
entre opérateurs pour fournir une connexion Internet
à bas prix, poursuit Jean-Noël Tronc. Il n'y a pas de
débat à avoir entre régulation et auto-régulation",
souligne-t-il. "Notre rôle est d'accompagner et de soutenir
les différents acteurs. Nous devons jouer notre rôle,
seulement notre rôle, mais pleinement notre rôle".
Sept
leçons ...
De ses fonctions auprès de Lionel Jospin depuis juin
1997, il a retenu sept leçons fondamentales. La première,
qu'il existe un besoin de bâtir une réelle
stratégie Internet des pouvoirs publics, besoin qui
rencontre l'attente des citoyens, des milieux économiques
et des différentes communautés. La seconde réside dans
la nécessité d'un engagement politique au plus haut
niveau, celui du Premier ministre en l'occurrence. Troisième
leçon, l'exigence de transparence. Les interventions
régulières du Premier ministre sur ce sujet ont contribué
à instaurer une confiance dans la réalité et la pérennité
du programme d'action gouvernemental. "L'existence du
site internet.gouv.fr,
l'un des sites publics les plus consultés, s'est révélée
précieuse comme outil d'information sur ce que nous
faisons". Quatrième leçon, l'utilité de faire appel
à l'expertise privée dans la mise en uvre des politiques
publiques. C'est le sens de la mission confiée à Francis
Lorentz sur le commerce électronique. C'est le même
esprit qui a guidé le gouvernement lorsqu'il a confié
un rapport à Jean-François Abramatic. Cinquième leçon,
l'importance du dialogue et du débat avec la société
sur les initiatives gouvernementales, comme le débat
suscité par le rapport Bloche, ou comme le succès rencontré
par la consultation publique sur le futur portail de
l'administration. Sixième leçon, l'exigence d'une intervention
au niveau international. La France, par exemple, a activement
soutenu la Commission européenne dans ses discussions
avec les Etats-Unis sur la protection des données personnelles
et l'ouverture de l'attribution des noms de domaine
à la concurrence. Septième et dernière leçon enfin,
mais pas des moindres, l'auto-régulation joue un rôle
décisif, aux côtés des organismes de régulation indépendants
ou gouvernementaux.
...et
trois axes stratégiques
Sept leçons, mais aussi trois axes stratégiques définis
par Lionel Jospin dans son second
discours d'Hourtin du 26 août 1999. En premier
lieu, ne pas créer un cadre législatif sur mesure, mais
adapter la loi à Internet là où cela est nécessaire.
Deuxièmement, lutter contre la cybercriminalité à une
échelle internationale. Enfin, lancer le chantier de
l'Internet de deuxième génération, c'est-à-dire les
réseaux à haut débit, une connexion permanente et différenciée,
et l'Internet aux différentes portes d'entrée.
L'informatique,
une école de la rigueur
Loin de toute caricature habituelle sur les "technos"
des ministères, Jean-Noël Tronc est venu à l'Internet
presque comme tout le monde, pas à pas. Littéraire de
formation, il s'est mis à l'informatique par goût, mais
aussi par contrainte volontaire, considérant que la
programmation -en basic notamment- constituait une excellente
école de la rigueur. Il se souvient avec émotion de
son premier ZX 81 de 1 Ko de mémoire et du magnétophone
qui lui était associé, de ses Commodore et de son Amstrad.
Il s'offre ensuite un Mac SE, puis reçoit un Powerbook
en cadeau de mariage. Il vient à Internet en 1994/1995
lors de son passage au Plan. Au quotidien, il surfe
bien sûr sur les sites gouvernementaux, qui constituent
selon lui une sorte "d'extranet virtuel", avec ses sites
ministériels et thématiques. Son bureau d'ailleurs ne
comporte presque aucun rapport "papier", Jean-Noël Tronc
faisant volontiers appel aux ressources de la Toile
publique. Sinon, le cabinet du Premier ministre dispose
d'un intranet, et chaque conseiller d'un mail. A Matignon,
souligne-t-il, "le mail est passé dans les murs, le
réseau épouse la fonction, et la manière de travailler
s'en est trouvée améliorée. Pas révolutionnée, améliorée".
Le Premier ministre a-t-il un mail? Oui, et il est répondu
a chacun d'entre eux. Mais de même qu'un Premier
ministre ne peut avoir le temps d'ouvrir lui-même
son courrier, il n'ouvre pas lui-même sa messagerie
électronique non plus.
Les
femmes anglaises et la musique
A titre personnel, Jean-Noël Tronc utilise les sites
des medias, soit électroniques, soit "ceux qui ont compris
ce que cela pouvait apporter", les portails et les moteurs
de recherche. Il télécharge également des fichiers sur
son Psion depuis le site de la BNF,
et surfe volontiers sur les sites artistiques "qui par
exemple utilisent Flash ou innovent en termes de recherche
graphique". Il avoue également, tard le soir, se connecter
sur des sites de radios: "Quand je travaille tard, je
mets de la musique latino ou cubaine". Si l'on oublie
facilement qu'il a 31 ans, Jean-Noël Tronc se laisse
parfois gentiment aller et colle de nouveau à sa génération.
"Et puis j'ai des goûts très seventies. C'est formidable
de pouvoir se faire une programmation musicale sur mesure.
Cela peut-être du Garage, du rock dur, Clash, Siouxie
ou Iggy Pop". Les initiés apprécieront. Rien ne peut
plus le vexer que de lui demander s'il sait encore ce
qu'est un livre. "Je suis un littéraire. En plus, ce
sont pour moi autant de zones de sécurité intellectuelle".
Que lit-il? "Beaucoup de littérature classique, Stendhal,
des femmes anglaises comme les surs Brontë ou
George Eliot, d'autres ouvrages tels que La Foire
aux Vanités de William Thackeray, du Thomas Hardy.
Albert Cohen aussi. Des livres de référence dans le
secteur dont j'ai la charge, La Cyberculture
de Pierre Lévy, le livre de Manuel Castells. De la science
fiction enfin, dont la lecture devrait être recommandée
à bien des décideurs, le dernier Dantec par exemple
".
Un
expert en FTP pour son propre site
Enfin Jean-Noël Tronc a son propre site, destiné
à ses élèves de Sciences-Po. "Il est très pauvre sur
la forme, ce n'est que du texte, rien que de très fonctionnel".
Il le met à jour chaque semaine avec Leech Ftp. Un détail,
mais cela lui permet de mieux comprendre des affaires
comme Altern, les noms de domaine ou la cryptologie.
"On décrie souvent la formation des élites. Elle est
très poussée, mais il est vrai qu'ils manquent certainement
de culture générale scientifique et technique". Enfin,
si ses enfants (11 et 6 ans) sont tentés par le multimédia,
leur père souligne que "le temps des enfants est fixe,
il n'est pas extensible. J'estime qu'il y a un danger
à les mettre trop tôt dans l'audiovisuel. Je préfère
la culture du texte écrit à leur âge. Ma fille utilise
Adibou parfois, mais je la limite volontairement". Et
après Matignon, va-t-il fonder sa start-up? "Non, je
ne crois pas. De toute façon, le chantier est trop lourd
et trop passionnant pour que je puisse me projeter à
deux ou trois ans. Je n'ai pas de plan de carrière".
[Rémi
Carlioz, JDNet]
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Pouvoirs
publics / Le challenger :
Les
parlementaires restent encore peu réceptifs
aux enjeux d'Internet. En ouvrant le débat
sur deux points, la présence de la France
sur la Toile et la responsabilité des hébergeurs,
il aura au moins eu le mérite de faire
bouger les choses. C'est la croisade un peu solitaire
de
Patrick
Bloche
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