Philippe Corrot Mirakl "Mirakl lève 20 millions de dollars pour déployer dans le monde sa solution unique de marketplace"

En attirant de prestigieux fonds britanniques, l'éditeur de solutions de places de marché compte accélérer à l'international et investir en R&D pour conserver sa longueur d'avance.

JDN. Après avoir levé 2,5 millions d’euros fin 2012 auprès d’Elaia Capital et de plusieurs business angels parmi lesquels Xavier Niel et Laurent Dassault, Mirakl vient de boucler un nouveau tour de table…

Philippe Corrot, PDG de Mirakl © S. de P. Mirakl

Philippe Corrot. Nous levons 20 millions de dollars auprès des fonds londoniens 83 North, créé par des anciens de Greylock Europe, et Felix Capital. Dave Strohm, partner chez Greylock, ainsi qu’Elaia et Laurent Dassault participent également. Adrien Nussenbaum et moi, les deux cofondateurs, restons majoritaires.

Qu’allez-vous faire de ces fonds ?

Nous allons financer notre développement international, notamment aux Etats-Unis mais en Europe également. Nous projetons ainsi d’ouvrir un bureau en Allemagne en 2016, qui s’ajoutera à notre siège parisien et à nos bureaux de Londres et de Boston.

Nous allons aussi développer de nouveaux produits. Il est délicat pour nous d’en parler dès maintenant mais il s’agira de fonctionnalités innovantes, toujours sur le concept de désintermédiation et de commerce en ligne.

Pour ce faire, nous allons étoffer encore notre équipe technique et bien sûr investir en commercial et marketing à l’étranger. Nous sommes actuellement une cinquantaine, nous serons 80 fin 2015 et rapidement 100 collaborateurs.

Quelle part de votre chiffre d’affaires représente l’international et à combien voulez-vous la porter ?

Aujourd’hui nous sommes déjà quasiment à 50/50. Nous avons des clients dans onze pays, dont de très belles références : El Corte Inglès, Privalia et Carrefour en Espagne, Best Buy au Canada, Halfords et Game au Royaume-Uni, Kliksa qui est un leader de l’e-commerce turc, en Australie Woolworth qui est le sixième groupe de distribution au monde…

Fin 2016, idéalement, nous voudrions que les Etats-Unis représentent un tiers de notre activité, l’Europe autant et le reste du monde le dernier tiers. C’est d’ailleurs pour accélérer aux Etats-Unis que mon associé Adrien Nussenbaum est en train de s’y installer. Notre bureau de Boston comptera cinq ou six personnes à la rentrée et une quinzaine d’ici la fin de l’année.

"La marketplace de Rueducommerce sera mise en production en octobre"

Trouvez-vous encore de la croissance en France ?

Oui, il y a encore beaucoup de potentiel en France, auprès des marchands mais aussi des marques. Notre croissance y reste donc forte. Mais notre offre est pour l’instant unique dans le monde. Nous voulons donc en profiter pour y prendre position tout de suite.

Vous dites que votre offre est unique, néanmoins le Français Izberg se positionne également comme éditeur de marketplaces et se targue en particulier de sa rapidité à les intégrer, sachant que les projets Mirakl peuvent durer de longs mois, comme la place de marché de Rueducommerce qu’on attend toujours…

Intégrer notre solution sur du Demandware chez Menlook a pris trois mois et leur marketplace cartonne. Nous intégrer sur du Magento chez The Beautyst a pris deux mois : avec notre connecteur Magento, 20 minutes suffisent. Mais nous ne nous bornons pas à proposer un panier multi-marchands unique. Mirakl est une solution extrêmement riche de fonctionnalités, qui comprend notamment des outils de gestion de la qualité de service, de gestion avancée de l’enrôlement des vendeurs, de gestion de catalogue, des langues, des devises, etc. Ce sont autant d’atouts pour nos clients dans leur combat contre des mastodontes tels qu’Amazon.

Vous voulez qu’un marchand espagnol vende en France à un acheteur anglais, nous savons faire. Intégrer la marketplace à SAP, nous savons faire. Mais cela prend évidemment un peu plus de temps. Quant à Rueducommerce, ils ont suspendu le projet quelque temps en interne, mais la place de marché sera mise en production en octobre. Nos clients peuvent compter à la fois sur nos 20 développeurs et sur notre expertise très forte en matière de marketplace, qui nous permet certes de nous brancher vite, mais aussi de définir leur projet avec eux et de les accompagner dans la mise en œuvre et la conduite du changement.

Qu’en est-il de l’Américain Merchantry, qui il y a quelques années démarchait beaucoup les grands e-commerçants français…

Sur les six appels d’offres où nous les avons rencontrés, nous en avons remporté six. Plus récemment, Merchantry s’est repositionné comme outil de gestion de catalogue, ou "product information management", donc davantage sur le créneau d’Hybris, aussi bien en Europe que sur son marché domestique.

"Nous développons pour 2016 une solution spécifique aux services"

Nous n’avons pas de concurrent. C’est précisément le sens de ce tour de table, qui nous donne la capacité à nous déployer et à investir en R&D pour conserver notre longueur d’avance. Car nous finirons bien sûr par en avoir…

Jusqu’ici vous avez principalement adressé des marchands en BtoC. Allez-vous cibler d’autres types d’acteurs ?

Tout-à-fait. Nous avons déjà des clients BtoB, comme Retif, et nous travaillons sur un projet BtoB pour le groupe Saint Gobain. Nous savons déjà adresser leurs spécificités, il s’agira donc plutôt d’accélérer commercialement.

Nous développons aussi un produit spécifique aux services, que nous commercialiserons à partir de 2016. Aujourd’hui, une marketplace repose sur de la gestion de stock. Nous adaptons ce principe pour qu’il soit possible demain de gérer des disponibilités de temps plutôt que des quantités, ce qui servira à des places de marché de diverses prestations.

Quid des marques ? Parvenez-vous à les convaincre de vendre d’autre marques ou fournisseurs ?

Plusieurs leviers peuvent intéresser les marques. Par exemple, beaucoup fonctionnent avec des licences. Typiquement, chez les marques textiles, pour des bijoux fantaisie ou des lunettes. Si elles veulent qu’on les retrouve aussi sur leur site, elles peuvent les acheter et les stocker, les prendre en confié… ou, bien plus simplement pour elle, les prendre en marketplace. Un autre axe consiste à travailler sur leur univers. Ainsi, une marque de sportswear pourra vouloir ajouter à son offre en ligne des accessoires ou des chaussures de sport.

"Recruter des marchands est un nouveau métier"

Nous n’avons pas encore de marque cliente en France, mais n'oublions pas que certaines en sont encore à se lancer dans l’e-commerce. Aux Etats-Unis, où elles sont plus avancées, nous avons signé avec Express, une sorte de Celio américain qui opère 600 magasins.

Ne commence-t-on pas, en France, chez les marchands BtoC,  à atteindre une certaine limite, une saturation en matière de marketplaces, dont témoigneraient par exemple la chute de Pixmania ou l’essoufflement de Rueducommerce ?

L’e-commerce, tout comme le commerce, c’est compliqué. Les équilibres sont fragiles et les marges ne sont pas toujours celles qu’on voudrait. Cela nous frappe quand Pixmania est en difficulté, tout comme La Halle dans le retail. Mais la marketplace leur apporte justement rentabilité et croissance. Cela ne fonctionne pas dans 100% des cas mais une chose est sûre, mieux vaut une place de marché que pas de place de marché. Regardez le compte de résultat de Rueducommerce : heureusement qu’ils en ont une !

Nous pensons qu’à l’avenir, il y aura trois types d’acteurs. D’immenses généralistes continentaux comme Amazon, Rakuten, Alibaba, plus quelques-uns en Amérique du Sud, en Afrique et en Inde, qui devront avoir – ou être – une marketplace pour proposer une offre exhaustive. Deuxièmement les click&mortars historiques – les Darty, Galeries Lafayette, Nature&Découvertes…- auxquels une marketplace permettra d’être puissant en ligne et d’accroître leur offre en magasin. Troisièmement les verticaux sur des marchés précis où ils sont très forts – comme Menlook ou Alltricks – qui auront besoin d’une place de marché pour être légitimes sur leur verticale car ils ne pourront pas tout sourcer seuls. Tous ces acteurs, nous pourrons les équiper.

Comment alimenter en vendeurs toutes ces nouvelles marketplaces ? Les marchands trouveront-ils éternellement leur intérêt à se brancher à la n-ième place de marché qui vient de sortir ?

Pour nos clients, recruter des marchands est un nouveau métier. Nous les y formons avec notre équipe "client success". Par ailleurs, l’une des forces de Mirakl réside dans la facilité technique d’enrôlement des vendeurs, qui créent un compte et commencent à vendre en quelques clics. De plus, nous avons des partenariats avec toutes les sociétés gestionnaires de flux, qui se connectent très facilement à nos nouvelles marketplaces. N’oublions pas en outre que la Fevad recense actuellement 164 000 sites marchands actifs. Beaucoup devraient peut-être fermer leur site et vendre sur les marketplaces... Il faut aussi considérer les nombreux fournisseurs qui peuvent voir leur intérêt à utiliser ce nouveau canal.

Pour le reste, la principale question est en réalité "quel marketing adopter, comment je fidélise mon client…" Une question qui n’est propre ni aux marketplaces ni à l’e-commerce mais au commerce en général.