Xavier Boidevezi (Groupe SEB) "Seb bâtit un écosystème pour répondre à la question 'qu'est-ce qu'on mange ce soir ?'"

Le leader mondial du petit équipement de la maison, qui lance un 4ème produit connecté, cherche à fédérer les acteurs de la foodtech pour proposer une expérience unifiée, explique son CDO.

JDN. En connectant vos produits, que cherchez-vous à apporter aux utilisateurs ?

Xavier Boidevezi, vice-président Business Development & Digital du Groupe SEB © S. de P. Groupe SEB

Xavier Boidevezi. Nous voulons amplifier le bénéfice que procurent nos équipements. Avec ses 100 recettes, le multicuiseur Cookeo lancé en 2012 par notre marque Moulinex était déjà intelligent. Mais en le connectant, fin 2014, nous avons déporté les recettes dans le cloud, ce qui permet d'en obtenir bien davantage. Le produit va se bonifier avec le temps.

De même, son petit écran expliquait déjà le pas-à-pas de chaque recette afin de répondre à une attente forte des utilisateurs : la garantie du résultat. En déplaçant ce pas-à-pas sur tablette ou smartphone, nous avons pu ajouter des photos, des vidéos et des conseils. La garantie de résultat est renforcée. Même chose pour les alertes sonores incluses dans l'app pour être entendues où que l'utilisateur se trouve.

Que font vos autres produits connectés ?

A la machine à café filtre Réveil Café de Tefal est associée une app qui permet de programmer son réveil et le lancement de la cafetière. Cela peut sembler gimmik, mais cela parle à la nouvelle génération, pour un prix bien plus bas que Cookeo. C'est aussi grâce à son app que la nouvelle version Smart XL d'Actifry, chez Seb, ne se limite plus aux frites pas grasses et sait maintenant cuisiner des centaines de recettes. Enfin nous venons de lancer en France i-Compagnon, la version connectée du Cuisine Compagnon de Moulinex, qui couvre aussi bien la préparation culinaire que la cuisson, toujours avec des centaines de recettes transmises à la machine en BLE.

Etes-vous satisfait de leurs ventes ?

Certains sont au-dessus de nos attentes, d'autres au-dessous, mais quantifier nos attentes est difficile. Cookeo est un vrai succès depuis son lancement et Cookeo Connect représente 15% des ventes de la gamme. Reste que la pénétration des produits connectés dans la cuisine reste faible.

Ces produits créent-ils aussi de nouveaux usages ?

Il est difficile de savoir comment les utilisateurs se servent des équipements mais nous avons vu se développer une très large communauté autour de Cookeo. Sa première version comprenait 50 recettes préprogrammées. Pour les aficionados, c'est pauvre. Nous sommes donc rapidement passés à 100 puis avons commercialisé trois clés USB de 25 recettes. En parallèle, se sont créées des communautés d'échange de recettes. Actuellement, la plus grosse page Facebook d'échange de recettes Cookeo rassemble 105 000 membres. Cela nous a d'ailleurs poussés à envisager différemment la création de nos produits.

"L'enjeu consiste à apporter de l'intelligence dans la recommandation de recettes"

Pourquoi ?

Dans le digital, le développement commence une fois le produit lancé. Un bug sur l'app, une recette qui manque… l'utilisateur les fait remonter. C'est très nouveau pour un groupe industriel comme Seb. Nous devons donc apprendre à fonctionner comme cela. En gardant à l'esprit que notre ambition n'est pas de gagner de l'argent sur les recettes mais d'apporter de la valeur ajoutée à nos produits, par exemple sous forme de recettes.

A quels autres services réfléchissez-vous ?

Nous travaillons beaucoup sur les services personnalisés, comme le coaching nutritionnel, d'autant que les gens sont alors prêts à payer. Nous testons aussi un service de livraison des ingrédients des recettes Cookeo avec la start-up Cook'ease.

Plus largement, nous avons une carte à jouer sur la question que se posent tous les jours 26 millions de foyers français : "qu'est-ce qu'on mange ce soir ?" Si une app sait qu'on a acheté 2 kilogrammes de tomates et de la viande hachée sur Carrefour Drive hier, elle peut nous suggérer une recette avec ces ingrédients. L'enjeu consiste donc à apporter de l'intelligence dans la recommandation de recettes, tout en tenant compte du contexte : le père fait attention à son poids et le fils s'entraîne pour un marathon, mais il faut le même repas pour les deux.

Pourquoi cherchez-vous à créer un écosystème ?

On ne peut pas tout réaliser soi-même, or les start-up se positionnent beaucoup plus sur les services que sur l'industrie. Par exemple, il nous intéresserait de savoir dire quel vin accompagnerait bien un bœuf bourguignon. Pour autant, nous n'allons pas développer nous-mêmes une app de recommandation de vin. Nous cherchons donc à développer un écosystème. Celui-ci passe notamment par notre fonds Seb Alliance, qui investit dans des start-up pertinentes pour le groupe. Cela va de la technique aussi pointue que la filtration d'air jusqu'à la constitution de recettes comme chez l'américain Key Ingredients, que nous avons acquis à 100%. En échange, nous leur apportons bien sûr des financements mais aussi des débouchés, en particulier à l'international.

"L'Internet des objets est un game changer"

Cet écosystème s'étend au-delà des start-up…

Notre ambition est de fédérer les meilleurs acteurs autour de la cuisine. C'est d'ailleurs la seule façon de répondre à l'attente des utilisateurs. Ceux-ci veulent une expérience fluide et sans couture, pas autant d'applications que de fabricants ! C'est la vocation de l'Open Food System, un réseau de 25 partenaires – bien sûr sans nos concurrents directs - réunis pour développer les solutions de la cuisine de demain et répondre ensemble à la fameuse question "qu'est-ce qu'on mange ce soir ?"

A quel type de collaborations cela mène-t-il ?

Par exemple, pour concevoir un programme nutritionnel, il peut être utile de travailler avec les restaurants d'entreprise Elior : la préconisation sera plus adaptée si l'on sait ce que l'utilisateur a mangé à midi. Il nous faut bâtir une expérience user-centric et unifiée. Nos produits connectés ne forment donc que la première étape. La seconde sera celle de l'Internet des objets, qui échangeront des informations entre eux. Ne serait-ce qu'entre nos Actifry et Cookeo connectés, via le cloud, pour réaliser une recette plus rapidement en utilisant les deux machines. Mais aussi pour que votre bracelet connecté nous dise que vous avez fait 20 000 pas aujourd'hui et que nous sachions qu'il vous faudra des glucides ce soir.

Lancé fin 2012, Open Food System est actuellement en phase de clôture. Comment allez-vous prolonger ces travaux ?

Nous continuons à travailler au sein de deux écosystèmes. Un premier écosystème technique, avec Orange, qui s'intéresse à la communication entre les équipements. Par exemple, Seb ne va pas directement contacter Netatmo, mais nos produits partageront le même langage et pourront échanger des données, si l'utilisateur l'accepte. Le second est issu de la French Tech : je suis le référent de l'écosystème Foodtech Dijon Bourgogne-Franche-Comté, labellisé en juillet par Emmanuel Macron.

Quelle est l'importance des produits connectés dans la stratégie du groupe Seb ?

L'Internet des objets est un game changer. Leur croissance devrait rester à 30% jusqu'en 2020. Selon les instituts d'études, on parle de 20 à 75 milliards d'objets connectés vendus dans le monde d'ici là. Le leader mondial du petit-électroménager se doit d'y être présent. Je ne peux pas vous dire quelle part de nos produits seront connectés à l'avenir car il faut aborder la question par le prisme de l'expérience utilisateur, ce qui rend toute généralisation impossible. Mais les produits connectés driveront de plus en plus notre croissance.

Il va aussi se poser la question des modèles économiques. Demain, vendrons-nous moins de produits et plus de services ? Peut-être, mais cela dépendra beaucoup de ce qu'acceptera l'utilisateur, des services que nous créerons et de la vitesse à laquelle nous effectuerons notre transformation digitale. Donc nous y croyons, ça bouge, et nous avons été l'un des premiers à se positionner sur ces thématiques. Mais comme nos concurrents ne restent pas inactifs, nous faisons tout pour conserver notre avance.

Xavier Boidevezi, vice-president Business Development & Digital du groupe Seb, a la responsabilité du développement stratégique d'un écosystème (produits, services, partenaires) culinaire digital. Précédemment il a lancé Cookeo Connect, un des premiers produits connectés de la cuisine. Avant de rejoindre le groupe Seb, il a passé 13 ans au sein du groupe Danone ou il a été successivement chef de produit, chef de groupe et directeur marketing, d'abord en Allemagne puis en Arabie Saoudite, en France et au Vietnam. Il est diplômé de l'ESSCA.