Romain Roy (Greenweez) "Avec Carrefour, nous allons disputer le marché des enseignes bio spécialisées"

Le pure player, leader du bio en ligne, compte sur les moyens et l'expertise du mastodonte de la distribution pour se lancer dans l'omnicanal et dans le frais.

JDN. Carrefour a annoncé fin juillet avoir racheté Greenweez, le site marchand de produits bio que vous avez lancé en 2008. Où en êtes-vous de votre développement ?

Romain Roy, fondateur de Greenweez © S. de P. Greenweez

Romain Roy. Aujourd'hui nous sommes une enseigne de distribution spécialisée dans le bio au même titre que Biocoop ou Naturalia, mais en ligne. Notre mission : démocratiser le bio en étant les moins chers. Nous avons dépassé les 20 millions de chiffre d'affaires en 2015 avec une croissance supérieure à 20%, et nous sommes présents en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie, en Espagne, en Suisse et au Benelux. Greenweez est aussi la première plateforme de trafic sur le bio, à 700-900 000 visiteurs uniques par mois. Même ceux qui finissent par acheter ailleurs passent chez nous à un moment dans leur parcours. Enfin, nous avons construit Greenweez sur des valeurs éthiques : nous sommes une entreprise libérée, nous reversons une partie de nos bénéfices à des associations… Bref, nous avons une certaine façon de faire du business.

Qu'est-ce que l'acquisition de Greenweez par Carrefour va vous permettre de faire ?

Depuis longtemps nous voulions créer une vraie omnicanalité dans le bio. C'est l'idée qui nous a rapprochés de Carrefour. Aujourd'hui cela n'existe pas, les acteurs sont très centrés sur la distribution physique. Nous désirons donc être capables de gérer plusieurs types de canaux de vente et de créer des synergies entre eux.

Allez-vous ouvrir des boutiques Greenweez, ou votre marque va-t-elle disparaître au profit de celle de Carrefour ?

Je ne peux pas vous répondre sur les boutiques, mais la marque ne va pas disparaître. Ce deal avec Carrefour va au contraire servir à développer Greenweez. Toujours en tant qu'enseigne de distribution spécialisée dans le bio, dont Carrefour a bien compris les spécificités.

Qu'attendez-vous concrètement de ce rapprochement ?

Evidemment, cela va nous apporter des moyens considérables. Entre le 2ème groupe de distribution au monde et la start-up qui se galérait à lever des fonds, on change de dimension ! Nous avons toujours eu plein d'idées, nous allons maintenant pouvoir les mener à bien. D'autant que nous nous situons à la croisée de deux axes importants pour Carrefour : le bio et l'e-commerce.

Dans le bio, proposer une offre très complète est un vrai plus

D'autre part, nous pensons être très bons dans ce que nous faisons, mais nous sommes aussi très humbles. Par exemple, nous n'y connaissons rien en commerce physique, alors que chez Carrefour, ce sont de supers experts. Même chose en cas de difficulté juridique : à 25 personnes seulement, on se prend la tête, on ne sait pas faire… Là, tout de suite, l'équipe juridique de Carrefour est là. En tant que dirigeant, c'est génial. On gagne énormément en moyens mais aussi en expertise, tout en restant aussi autonome qu'avant.

Omnicanal mis à part, quels sont vos autres grands axes de développement ?

L'autre projet sur lequel nous travaillons depuis longtemps consiste à étoffer notre offre. Au début, nous étions très orientés sur les produits écologiques : lampes à dynamo, etc. En 2012-2013, poussés par nos clients, nous avons pris un virage vers les consommables bio, alimentaires surtout. Aujourd'hui, notre offre de consommables est proche de celle d'un supermarché. Greenweez est un vrai site de courses, sur lequel les clients se rendent régulièrement. Nous voulons donc leur offrir la même expérience que les enseignes bio spécialisées physiques.

Biocoop et Naturalia tournent autour de 5 000 références par magasin alors que nous en proposons 20 000 (contre environ 8 000 pour un cybermarché comme Ooshop, ndlr). Or le bio est un secteur de produits plus que de marques. Par exemple, les acheteurs aiment la crème à la rose de Weleda, plus que la marque en tant que telle. En outre, l'offre ne suffit souvent pas à satisfaire la demande et les ruptures de stock sont fréquentes, comme sur les laits infantiles à base de lait de chèvre. Donc dans le bio, proposer une offre très complète est un vrai plus. En revanche nous n'avons pas de frais, de fruits et de légumes. Nous voulons donc arriver à en faire.

Quid de vos marques propres ?

Nous allons continuer à les travailler mais il est moins évident d'avoir des volumes dans le bio que dans d'autres secteurs. Prenez les pâtes. Si vous voulez lancer une marque, il vous faudra en proposer à base d'épeautre, de kamut, de sarrasin… Rien à voir avec une MDD qui reproduit la purée Mousseline ! L'offre est très morcelée. Donc nous continuerons mais seulement quand nous serons pertinents.

Comment vos clients et partenaires ont-ils pris votre rachat par le numéro 2 mondial de la distribution ?

Certains ont posté des messages très négatifs. Je pense qu'ils n'ont pas compris que Greenweez passait d'un modèle financé par des fonds d'investissement, donc de purs financiers, à un modèle adossé à un industriel, ce qui éthiquement est plutôt mieux, qui plus est quand l'industriel en question est le premier distributeur généraliste de produits bio en France... (19% de part de marché selon Nielsen en décembre 2015, ndlr)

"Aucune chaîne spécialisée n'est vraiment présente en ligne"

Nous nous rejoignons aussi avec Carrefour sur notre mission de démocratiser le bio : nous sur du bio spécialisé, eux sur du bio plus classique. Et cela fonctionne. En France, le développement du bio a longtemps été entravé par ses prix élevés. Quand nous avons commencé, la grande distribution vendait les mêmes produits que nous 40% plus cher. Aujourd'hui, notamment grâce aux économies d'échelle qu'ont permises l'accroissement des volumes, la situation s'est améliorée.

Quelles sont vos ambitions à l'international ?

Nous gérons tous les pays depuis nos bureaux d'Annecy et notre plateforme logistique de Saran. Nous avons des boutiques multilingues et multidevises, mais elles tournent "toutes seules" : nous sommes une petite équipe et avons concentré nos efforts sur la France. Quand on est une start-up, il n'est pas évident d'avoir en stock 20 000 références par pays… Donc l'international ne représente que quelques points de pourcentage de notre chiffre d'affaires. Mais nous y sommes depuis plusieurs années, ce qui est très bien pour construire notre référencement. Et nous prévoyons maintenant de rendre les offres plus locales.

Les consommateurs attentifs au développement durable accordent aussi de l'importance à la proximité du lieu de production, parfois davantage qu'au fait que les produits soient bio. N'est-ce pas un frein, quand on livre dans tout le pays et à l'étranger depuis un seul entrepôt ?

Les consommateurs savent bien maintenant que du point de vue de l'empreinte carbone, acheter en ligne est largement préférable à aller faire ses courses en voiture à 30 kilomètres. D'autre part, les gens cherchent la qualité et les filières contrôlées, pas le produit qui vient d'à côté. En tous cas je ne retrouve pas cette préoccupation chez mes clients. Ils nous font d'ailleurs totalement confiance sur le sourcing. Il nous arrive par exemple de recevoir des messages de personnes qui se demandent si tel produit qu'elles ont vu en magasin, mais qui n'est pas commercialisé sur Greenweez, est bien quand même !

Comment voyez-vous la concurrence ?

En ligne, il n'y a personne sur le même positionnement. Amazon ne me fait pas peur sur le bio, car ils ont un problème de légitimité : les fournisseurs n'iront ni à court ni à moyen terme. En plus, j'attends de voir comment ils vont s'en sortir sur l'alimentaire. Quant aux enseignes de distribution bio physiques, il y a de très belles chaînes mais aucune n'est vraiment présente en ligne. A l'inverse, Greenweez a préempté le web marchand bio. Avec les moyens de Carrefour, nous allons pouvoir aller leur disputer tout le marché de la distribution bio spécialisée.

Romain Roy est le fondateur et directeur général de Greenweez. Diplômé de Supelec, il débute sa carrière au sein d'ISDnet, avant de monter en 2003 une première société dans les télécoms, G3net, revendue au groupe Ornis en 2007. En 2008 il fonde Greenweez. En 2016 il cède Greenweez à Carrefour pour un montant non divulgué et reste aux commandes de la société en tant que directeur général.