Jeff Bezos, l'homme qui ignore ses actionnaires

Jeff Bezos, l'homme qui ignore ses actionnaires Dans sa lettre annuelle, le patron d'Amazon ne mentionne ni les profits ni le rendement, mais se concentre sur la satisfaction de ses clients et sur la réussite collective, tout en gardant l'esprit start-up. Un exercice de style rafraîchissant.

Jeff Bezos ne l'a probablement pas fait exprès, mais dans sa lettre annuelle aux investisseurs, il envoie une pique bien sentie à la défense du CEO d'United Airlines, après le scandale du passager évacué d'un avion. Dans sa partie "résister aux process", il prend l'exemple d'un jeune leader qui se défend d'un échec en déclarant "nous avons suivi le process", ce qui a été la première réaction du patron d'United Airlines. Or, il estime qu'il s'agit là d'une opportunité pour enquêter et améliorer les procédures, sans y être enchaîné.

Il ne mentionne les "porteurs de parts" qu'une seule fois, tandis qu'il fait référence 19 fois à ses précieux clients

Le patron d'Amazon détonne à nouveau avec cet exercice de style imposé tous les ans, mais où, contrairement à d'autres dirigeants de mastodontes cotés américains – Amazon pèse 441 milliards de dollars en Bourse – il ne se glorifie pas des profits record amassés l'an passé, ou encore du rendement inédit que le titre représente pour les actionnaires. En réalité, il ne mentionne les "porteurs de parts" qu'une seule fois dans sa missive, tandis qu'il fait référence 19 fois à ses précieux clients. Il les remercie à la fin de permettre à Amazon de les "servir", tandis qu'il ne fait que saluer le "soutien" de ses actionnaires, ce qui en dit long sur la hiérarchie de ses priorités.

Pourtant, la réussite boursière d'Amazon est sans équivoque. Le titre du site d'e-commerce a gagné 40% sur les douze derniers mois (contre 12% pour le S& P 500) et 50 000% depuis son IPO en 1997 ! Mais comme tout entrepreneur de la tech, Jeff Bezos est obsédé par l'esprit start-up, le fameux "Day 1" comme il l'appelle dans sa lettre, où la vitalité et l'innovation soutiennent une croissance fulgurante. Soucieux de ne pas entrer dans le "Day 2", qui est synonyme pour lui "d'inertie, suivi d'inutilité, suivi d'un déclin douloureux et insoutenable, et par la mort", le dirigeant met en avant quatre grands principes : l'obsession véritable du client, résister aux process, adopter des tendances externes et des prises de décision rapides.

L'obsession du client est ainsi la recette numéro un pour rester innovant selon lui, car il oblige à devancer leurs attentes pour les combler. Jeff Bezos prend ainsi l'exemple de Prime, le service d'abonnement que ses clients n'ont pas demandé, mais qui l'ont adopté avec enthousiasme. Pour cela, il faut "expérimenter patiemment, accepter les échecs, planter des graines et protéger l'arbre, et mettre les bouchées doubles lorsque vous voyez une satisfaction client". Ensuite, il convient de se méfier des process, qui tendent à s'infiltrer partout lorsqu'une organisation grandit. Pour le patron, ils ne doivent servir qu'à servir les clients, et ne pas devenir la norme, car ils risquent de faire oublier le but recherché. "Il faut toujours se demander, 'est-ce que le process nous appartient ou est-ce nous appartenons au process ?'". De même, comprendre son client vaut mieux que toutes les études de marché du monde.

"Expérimenter patiemment, accepter les échecs, planter des graines et protéger l'arbre, et mettre les bouchées doubles lorsque vous voyez une satisfaction client".

Jeff Bezos fait ensuite mention de la capacité à adopter des "tendances externes" qui bouleversent le marché, entre autre l'avènement de l'intelligence artificielle et du "machine-learning". Amazon a lancé l'assistant vocal Alexa ou les livraisons par drone (Amazon Air) mais le vrai travail se fait aussi en profondeur, dans l'examen des habitudes des clients en interne, ou encore à travers les services proposés aux entreprises (Amazon Web Services).

Enfin, le signe distinctif d'une start-up est sa capacité à prendre des décisions rapides et à cet égard, Jeff Bezos préconise : "n'adoptez pas de process unique de décision. Beaucoup de décisions sont réversibles". Il juge ainsi qu'il vaut mieux agir en ayant 70% des informations, sous peine de se lancer trop tard. Il est également essentiel de reconnaître rapidement ses erreurs et les corriger, et il recommande la position "je suis en désaccord mais je m'engage", qu'il utilise pour lui-même ("si vous êtes le patron, vous devriez le faire aussi"). Cela est beaucoup plus rapide, efficace et motivant que de passer du temps à essayer de convaincre quelqu'un.

L'utilisation du "je" et du "nous" est révélateur dans ce type de missive. Dans cette lettre, Jeff Bezos emploie 17 fois les deux, ce qui marque une nette évolution depuis la première en 1997, où "nous" était utilité 61 fois et "je" seulement trois. Cela ne signifie pas que l'homme est devenu plus égocentrique, mais plutôt qu'il s'est attaché à l'inclusion de ses équipes dans les premières années et favorise le "nous" dès qu'il fait référence aux succès des lancements. Mais le "je" est aussi utilisé pour marquer sa responsabilité et son expérience en tant que leader, mais aussi pour donner au lecteur à voir dans sa pensée, ses réflexions et doutes ("je suis intéressé par la question", "je ne connais pas toute la réponse, mais des parties"). Et montre aussi son humilité en expliquant s'être mis en retrait lors d'une décision à laquelle il n'adhérait pas. Un ton de leader, de visionnaire et d'humaniste qui offre un bain de jouvence dans la saison des lettres annuelles.

Article originel publié sur WanSquare par Anne-Laure Peytavin le 18/04/2017.

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