La 4ème licence mobile : opportunité réelle ou coûteuse opération de relations publiques ?

Au vu de la situation concurrentielle sur le marché du mobile, on pourrait espérer davantage de régulation. Mais la priorité actuelle, l’arrivée d’un 4ème opérateur, suffira-t-elle à relancer la concurrence ? Que vont devenir les MVNO ?

Il y a quatre ans, le régulateur des télécommunications décidait de contraindre les opérateurs de réseaux mobiles à «faire droit aux demandes d'accès raisonnables des opérateurs virtuels». Allant plus loin, il initiait une analyse du marché de gros de l'accès et du départ d'appel mobile. L'analyse concluait que ce marché de gros était susceptible d'être soumis à une régulation ex ante, sur la base d'une étude économique fondée sur une prospective s'étendant sur la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007. Or, au moment de soumettre cette analyse à la Commission Européenne, le régulateur suspendait son projet de décision, au motif que plusieurs contrats de MVNO avaient été conclus avec les opérateurs et que cela était de nature à relancer la pression concurrentielle sur les marchés de gros et de détail. Afin d'en juger, l'Autorité plaçait «sous surveillance» les marchés de détail, via la mise en place de son Suivi des Indicateurs Mobiles sur une base trimestrielle.

En ce premier trimestre 2008, il semble donc opportun de réaliser un premier bilan sur l'évolution de la pression concurrentielle. On peut relever quelques aspects loin d'être anecdotiques relevant de la période analysée à l'époque de façon prospective par le régulateur :

-Fin 2005 : les trois opérateurs de réseau sont condamnés pour entente. Ils doivent verser une amende de 534 millions d'euros.
-Mi 2007 : la Cour de Cassation confirme la condamnation pour entente.
-Mars 2008 : la Commission Européenne rend public son dernier rapport concluant que la France, mauvais élève de l'Europe en termes de pénétration mobile et de prix moyens des forfaits, a en outre subi une des baisses les moins significatives des prix moyens sur l'année passée.
-La part de marché des MVNO ne dépasse pas 5 %, en y incluant les opérateurs en licence de marque et les filiales des opérateurs de réseau.

Il est manifestement difficile de s'enthousiasmer pour le développement de la concurrence dans le secteur. Or, quelle est la réponse des pouvoirs publics ? On pourrait imaginer un bilan en forme de mea culpa : renoncer à réguler le marché de gros des offres pour MVNO était un pari risqué qui a fait perdre quatre ans au développement de la concurrence, il est désormais urgent de s'atteler dès maintenant à la formalisation des critères selon lesquels une offre de MVNO côté offreur sera raisonnable. Au lieu de cela, l'enthousiasme politique et réglementaire du moment est porté vers la seule promotion d'une quatrième licence mobile.   Pourquoi pas ? Il est vraisemblable que l'arrivée d'un quatrième acteur pourra relancer la concurrence. On constate en outre que le prix de la licence 3G, 619 millions d'euros, est plutôt modéré par rapport à celui payé par des opérateurs d'autres pays européens. Enfin, le nombre d'opérateurs de réseaux mobiles chez nos voisins européens est généralement d'au moins quatre, à taille de marché et à superficie du territoire comparables. Ces quelques arguments permettaient à Maxime Lombardini, directeur général d'Iliad, seul concurrent malheureux du dernier appel à candidatures, d'affirmer récemment qu'un quatrième réseau s'imposait pour relancer la concurrence, et que le seul fait de demander une «étude économique d'impact préalable» relevait de l'argument d'autorité.
Mais est-ce vraiment si mécanique ? Le benchmark européen et la confiance quoi qu'il arrive dans le retour sur investissement de la téléphonie mobile (certes considérable), ne sont peut-être pas suffisants. Dans les pays européens comparables, le troisième entrant n'est pas resté inéluctablement limité à une part de marché de 16 % depuis plusieurs années. On peut difficilement supposer que le quatrième opérateur français saura rapidement dépasser la part de marché de Bouygues Télécom. L'importance des investissements à consentir (1 à 4 milliards d'euros pour le réseau) et le temps nécessaire pour le déploiement rendent cette hypothèse peu vraisemblable, quand bien même on mettrait en oeuvre les meilleures solutions possibles de partage d'infrastructures. Or, un objectif de 15 % de part de marché pour le troisième entrant n'est pas nécessairement suffisant pour rentabiliser l'activité.

Par ailleurs, si un candidat emporte la quatrième licence mobile, quelles raisons aura-t-il de se lancer dans une concurrence par les prix, érodant ainsi la marge qu'il doit à ses investisseurs, au lieu de venir prendre sa place dans un oligopole désormais à quatre ? L'historique du troisième entrant sur le GSM est assez parlant : plutôt que de prendre le risque de dégrader sa marge sur une acquisition de part de marché importante, il semble avoir décidé de sécuriser ses investissements en ne prenant pas de risques sur ses tarifs, malgré une certaine innovation sur les offres. Un tour d'horizon européen montre pourtant que l'espace économique pour une baisse tarifaire était bien présent.
Enfin, plaçons-nous un moment du point de vue des MVNO : deux scénarios sont aujourd'hui envisageables : l'arrivée d'un oligopole à quatre ou la mise en oeuvre d'une concurrence acharnée sur les prix de détail. Pour les opérateurs virtuels, c'est continuer à ne pas pouvoir développer leur activité faute de capacité d'autofinancement, ou bien disparaître rapidement faute de marges d'exploitation sur leur coeur de métier. Charybde ou Scylla ? Ils seraient alors les victimes d'un coup de foudre réglementaire au profit de la quatrième licence. Dans tous les cas, avec l'arrivée ou non d'un quatrième opérateur de réseau mobile en France, il semble donc que la seule foi dans les forces de la concurrence soit risquée. Si les obstacles qui limitent les offres de gros des contrats MVNO devaient être levés par la voie réglementaire, un quatrième opérateur serait-il alors vraiment indispensable ? Ou bien la mutualisation des infrastructures techniques permettrait-elle d'optimiser, via les économies d'échelle sur le réseau, la concurrence sur les services ?