La fin de l’exubérante spéculation sur les noms de domaine

Après avoir connu une dimension spéculative depuis quelques années, la revente des noms de domaine pourrait subir la crise de plein front… De quoi envisager cueillir quelques bonnes affaires ?

Avez-vous déjà assisté à une vente aux enchères de noms de domaine ? Le phénomène est encore peu développé en France ; pourtant, il vaut le déplacement. Sachez d'abord que, non, tout ne se fait pas en ligne... Il s'agit bien de d'enchères réelles, avec des personnes réelles dans de vraies salles. Fascinantes à suivre, ces ventes sont des shows à l'américaine. Un maître de cérémonie égrène les noms de domaine en n'oubliant jamais de souligner qu'il s'agit de l'opportunité du siècle. Ce vrai professionnel, jusqu'au phrasé et à la gestuelle, est épaulé par deux ou trois collègues qui parcourent la salle en excitant les acheteurs potentiels à coups de "ah, quelle affaire !" ou de "vraiment exceptionnel ce nom !"
 
Ces ventes aux enchères se sont fortement développées ces dernières années, portées par l'essor de l'industrie du nommage et surtout du "second marché" des noms de domaine. Et une nouvelle catégorie de professionnels est apparue : les "domainers". Ils sont aux noms de domaine ce que les marchands sont à l'industrie automobile. Ils achètent et vendent, généralement par pur esprit spéculatif, parfois pour exploiter eux-mêmes le produit. Leur but : ces noms qui rapportent par la publicité sur Internet grâce aux Internautes qu'ils attirent et qui sont ensuite tentés de cliquer sur des liens rémunérés. On appelle cela le "Pay Per Click".
 
Croissance effrénée  
Jusqu'à la fin de l'année dernière, cette partie méconnue de l'industrie du nommage enregistrait une croissance effrénée. Outre Atlantique, de véritables empires virtuels se sont constitués, à l'image de la société Oversee. Initialement, ce spécialiste de la publicité sur Internet exploitait lui-même des noms de domaine achetés en grande quantité (la société en détenait plus de 2 millions début 2008) de manière à multiplier les sources de revenus publicitaires. Logiquement, avec le temps, ces acteurs ont été tentés de maîtriser la totalité de la chaîne. Plutôt que d'acheter des noms à quelqu'un d'autre, autant se les vendre à soi-même, se sont-ils dit. Fin 2007, Oversee a donc déboursé 65 millions de dollars pour acheter le registrar Moniker.
 
Dans ce milieu, l'occasion vaut souvent plus que le neuf. Pour deux raisons. D'abord parce qu'un nom de domaine étant unique, une fois réservé, un bon nom ne peut que prendre de la valeur. Ensuite parce que les noms ayant déjà existé sur Internet génèrent souvent du trafic "résiduel", qui permet de gagner plus avec des liens rémunérés (ou "liens sponsorisés"). Oversee a donc également acquis pour 35 millions de dollars Snapnames, un spécialiste de la récupération automatique de noms expirés.
 
Et comme Oversee possède tant de noms, dont certains qui peuvent intéresser d'autres acheteurs, pourquoi ne pas les revendre en organisant des ventes aux enchères ? Aujourd'hui, celles-ci sont devenues des rendez-vous immanquables aux Etats-Unis. En janvier dernier, j'étais à Rome pour une réunion Icann. Tous les américains présents étaient très excités à l'idée de passer le week-end suivant à cet événement, dans la célébrissime Playboy Mansion, à Los Angeles. S'y tenait en effet le dîner de gala du Domainfest Global 2009, la dernière grosse vente aux enchères en date !
 
Le moment d'acheter  
Jusqu'à la crise, le business modèle type Oversee séduisait. L'an dernier, le fond privé Oak Hill Capital Partners a ainsi investi 150 millions de dollars dans Oversee. Mais depuis le début de l'année, la donne semble avoir changé. A Rome, un ami, proche d'Oversee, m'a confié que la période pourrait être aux réductions d'effectifs à grande échelle.
 
Les temps sont durs pour ce secteur, nettement plus spéculatif que l'industrie du nommage en général. Cette dernière semble d'ailleurs toujours bien se porter : plus de 10 millions de nouveaux noms ont été enregistrés au dernier trimestre 2008. Un contraste fort avec les résultats du DomainFest 2009, où seulement 58 noms sur 200, soit 29%, ont trouvé preneurs (même si le CA généré a quand même dépassé les 600 000 dollars).
 
Parmi les noms qui ont quand même pu se vendre, des perles ont été adjugées pour ce qui paraît être des sommes modiques. Ainsi, 'Save.me' (5 000 dollars), 'Contact.me' (10 000 dollars) ou encore 'Automobiles.info' (seulement 750 dollars !). Les années passées, des ventes de ce type atteignaient des chiffres nettement plus impressionnants (900 000 dollars pour 'Investment.com' en 2007 ou 200 000 dollars pour 'Flowers.mobi' en 2006).
 
D'après les habitués du secteur, que je rencontre dans les réunions ou colloques professionnels, c'est le moment d'acheter. L'Internet est là pour durer et même, selon certains, résister à la crise. Les meilleurs terrains y resteront forcément très rémunérateurs. "Profite de la période d'assainissement actuelle," me dit-on. Les acheteurs de noms qui ne faisaient que miser sur la folie spéculative ambiante en espérant faire une "culbute" rapide ne sont plus là pour gonfler artificiellement les cours. Seuls les vrais connaisseurs se hasardent maintenant dans les salles de spectacle des enchères à l'américaine. Leur espoir : toucher à prix réduit les pépites du nommage de demain.
 
Ils risquent fort d'avoir la bonne stratégie. 
Prenez un beau nom, comme Sleep.com estimé à minimum 1 million de dollars au dernier DomainFest : à la surprise générale, il n'a pas trouvé d'acquéreur et pourrait donc se vendre nettement moins cher. Conclusion : ce n'est pas le moment de s'endormir si l'on veut faire de bonnes affaires.