Peut-on donner congé de son bail d’habitation par e-mail ?

Un e-mail peut-il faire foi dans le cadre d'un différend entre un locataire et un propriétaire quand à la date de début d'un préavis ?

Les protagonistes sont un propriétaire et sa locataire. Les faits sont d'une banalité accablante : la locataire donne son congé au propriétaire. Forte de sa confiance dans l'économie numérique, elle envoie tout d'abord un mail, le 28 août 2006. Quelques jours plus tard, le 4 septembre 2006, elle double ce mail d'une LRAR, que le propriétaire déclare recevoir le 10 septembre 2006.

 

Bien lui en prend, puisque que le recours à la LRAR pour notifier son congé est une obligation légale. Aux termes de l'article 15.1 de la loi n 89-462 du 6 juillet 1989 : « Le congé doit être notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou signifié par acte d'huissier. Ce délai [de préavis] court à compter du jour de la réception de la lettre recommandée ou de la signification de l'acte d'huissier».

 

Un différend survient alors entre le propriétaire et la locataire quant à la date de départ du préavis. Pour la locataire c'est le 28 août, date d'envoi du mail. Pour le propriétaire c'est le 10 septembre, date de réception de la LRAR.

 

A l'appui de ses prétentions, la locataire produit un mail qui lui aurait été envoyé par le propriétaire le 13 octobre, dans lequel ce dernier confirmait avoir bien reçu le congé le 28 août 2006, et accepté de faire courir le délai de préavis à compter de cette date.

 

Le propriétaire dénie être l'auteur de ce mail du 13 octobre. Dénégation facile, il est vrai, puisque rien n'est plus aisé que de fabriquer un faux mail, surtout lorsqu'on en produit une simple impression papier.

 

2. Le mail produit par la locataire et dénié par le propriétaire est-il recevable ?

Aux termes de l'article 287 du Code de Procédure Civile : « Si la dénégation ou le refus de reconnaissance porte sur un écrit ou une signature électroniques, le juge vérifie si les conditions, mises par les articles 1316-1 et 1316-4 du code civil à la validité de l'écrit ou de la signature électroniques, sont satisfaites ».

 

De façon fort étonnante, la Cour d'appel de Dijon semble ignorer la disposition. Ne se livrant à aucune vérification, elle décrète, dans son arrêt à juste titre cassé, que le mail litigieux bénéficiait d'une présomption de fiabilité. Dès lors, puisque le propriétaire ne communiquait aucun élément de nature à combattre cette présomption, il devait être reconnu comme l'auteur dudit mail.

 

C'était gravement méconnaître les dispositions légales et réglementaires relatives à la signature électronique. Seules bénéficient de la présomption de fiabilité édictée par l'article 1316-4 du Code Civil certaines signatures qui, conformément au décret n°2001-272 du 30 mars 2001, mettent en oeuvre une « signature électronique sécurisée » (établie grâce à un dispositif sécurisé de création de signature) et un « certificat électronique qualifié », répondant aux exigences définies par le décret.

 

En l'espèce, il est bien évident que le mail dénié par le propriétaire ne pouvait prétendre à cette présomption. C'était un simple mail, qui, comme tous les mails envoyés au travers des messageries couramment disponibles, n'était pas signé électroniquement. Et l'eût-il été, il n'aurait certainement pas bénéficié de la présomption édictée par l'article 1316-4 puisque les offres de signature sécurisées sont encore quasiment inexistantes sur le marché des particuliers.

 

Dès lors, le mail soi disant envoyé par le propriétaire ne bénéficiait d'aucune présomption de fiabilité. Dès lors que le propriétaire contestait en être l'auteur, il revenait à la locataire de démontrer la valeur probante de ce mail qu'elle produisait, bien opportunément, à l'appui de ses présentions. Conformément aux termes de l'article 1316-1 du Code Civil, cette démonstration passait par l'identification de son émetteur, et l'assurance que le mail n'avait pu subir aucune altération.

 

Cette démonstration est bien entendu impossible à rapporter, s'agissant d'un simple mail envoyé au travers d'une messagerie grand public.

 

C'est bien la raison pour laquelle, dans toutes les applications professionnelles comportant des échanges dématérialisés (contrats bancaires, contrats de location automobile, etc.), les professionnels concernés se donnent le plus grand mal pour mettre en oeuvre des procédés permettant de sécuriser leurs échanges, de façon à pouvoir apporter la démonstration, en cas de litige, de l'imputabilité du document et de sa garantie d'intégrité.

 

En l'occurrence, la conclusion de cet arrêt est une simple application des dispositions légales sur la signature électronique et sur la charge de la preuve : si un simple e-mail est contesté par son prétendu auteur, ce mail ne bénéficie d'aucune présomption de fiabilité. Il ne sera donc pas recevable, dès lors que la partie qui s'en prévaut n'est pas capable d'apporter la preuve qu'il provient bien de cet auteur et n'a pu subir aucune altération.

 

3. Le recours à la LRAR électronique est-il une solution ?

Les locataires « branchés » pourraient se dire qu'il leur reste une solution pour ne pas prendre la plume et aller à la poste : utiliser la LRAR électronique, introduite à l'article 1369-8 du Code Civil par l'ordonnance du n° 2005-674 du 16 juin 2005.

 

Et bien ils seront là encore déçus, car bien que plusieurs offres de LRAR électroniques soient disponibles sur le marché, elles ne peuvent être utilisées lorsque le recours à la LRAR est imposé par la loi, dans les situations où il est nécessaire de présumer de la fiabilité des informations relatives à l'identité de l'expéditeur et du destinataire, et de la remise du document.

 

Nous sommes ici très exactement dans ce cas de figure. Dans la mesure où la réception de la lettre de congé fait démarrer le délai de préavis, la loi prévoit le recours à la LRAR (ou à la signification par huissier) afin d'éviter les différends relatifs au point de départ du préavis.

 

Mais la LRAR électronique ne peut pas encore être utilisée dans ce cas puisque, cinq ans après l'ordonnance, le gouvernement n'a toujours pas édicté les décrets d'application de l'article 1369-8. Or, ces décrets sont indispensables pour fixer les modalités techniques auxquelles doivent répondre les LRAR électroniques qui présenteront la même présomption de fiabilité qu'un LRAR postal. Le Conseil d'Etat, saisi de cette question, a confirmé dans son arrêt rendu le 22 octobre 2010 (Document Channel c/ Premier Ministre et ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi), le caractère indispensable des décrets d'application de l'article 1369-8, et a enjoint le premier ministre d'édicter les décrets en question dans un délai de 6 mois.

 

Il s'en suit que la LRAR électronique ne peut pas encore être utilisée par les locataires pour notifier leur congé à leur bailleur. Il faudra, pour cela, attendre la parution des décrets et la commercialisation d'offres de LRAR électroniques conformes aux préconisations du décret. Et si, de plus, le bailleur n'est pas un professionnel, il devra préalablement avoir accepté l'usage de la LRAR électronique.

 

4. Lorsque le recours à la LRAR est obligatoire, un mail envoyé avant la réception du courrier peut-il produire un effet juridique ?

La réponse de la Cour de Cassation est négative. Dès lors que la loi de 1989 prévoit explicitement que le délai de préavis court à compter de la réception de la LRAR, ce point de départ ne saurait être modifié par un simple accord des parties.

 

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Références :
C.Cass, Civ1, 30 septembre 2010, n° pourvoi 09-68555
Conseil d’Etat, 22 octobre 2010, n° 330216