Les avancées de la nouvelle loi sur les noms de domaine

L'Assemblée nationale a adopté en première lecture une loi visant à définir le nouveau contexte juridique des extensions correspondant au territoire national. Eclairage sur ce nouveau texte comprenant quelques changements et suscitant deux interrogations

Courir un cent mètre en neuf secondes... avec un sac de pierres sur le dos. Voilà le défi que le Conseil Constitutionnel offrait au Législateur en octobre dernier dans sa décision n°2010-45 QPC sur les noms de domaine.

Neuf mois seulement pour rétablir un cadre juridique, c'est en effet déjà court, surtout sur un sujet qui ne présente pas d'enjeu politique majeur. Et le sac de pierres ? Il tenait dans ces deux mots exposant le motif de la décision du Conseil : « incompétence négative ». Le texte existant était jugé insuffisant, n'abordant pas des questions essentielles comme l'équilibre entre la liberté de communiquer, la liberté d'entreprendre et les droits de propriété intellectuelle. La tâche du Législateur n'était donc pas seulement de modifier un texte à la marge mais bien d'en inventer un nouveau, à partir de bien peu de choses.

A mi-parcours, force est de constater que le Législateur est dans les temps.

Un nouveau texte clair, lisible et complet
Grâce à l'intervention de deux députés en pointe sur les technologies de l'information, Mme Laure de la Raudière et M. Lionel Tardy, l'Assemblée Nationale a en effet voté le 14 janvier, en première lecture, un article du projet de Loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques qui propose un nouveau cadre législatif des noms de domaine. Le projet est déjà l'ordre du jour du Sénat pour le 10 février prochain.

 Le texte proposé est, en outre, clair, lisible et complet. D'une part il répond aux exigences du Conseil Constitutionnel en rappelant le nécessaire respect des libertés fondamentales, et d'autre part il apparaît tout à fait applicable au quotidien, en clarifiant de nombreux aspects sur lesquels la jurisprudence tergiversait.

Ainsi, ces neuf nouveaux articles (L.45 à L.45-8) reprennent et consolident des principes fondateurs de la gestion des noms de domaine : le principe du premier arrivé premier servi par exemple, ou encore la responsabilité du choix du nom de domaine qui incombe au demandeur. Ce dernier point est particulièrement important pour ne pas conduire au retour des enregistrements « papier ».

Le nouveau texte clarifie également les conditions dans lesquelles seront gérés les litiges sur les noms de domaine, toujours nombreux tant chacun est attentif, légitimement, à la protection de son identité et de ses droits sur Internet. L'expérience ayant montré à quels point ces litiges sont souvent complexes (par exemple avec des noms de commune comme Bio, Vittel ou Lanquetot), le nouveau texte améliore l'équilibre entre protection des marques, des noms de collectivités et l'intérêt légitime des titulaires.

Quelques changements et deux interrogations
L'adoption du texte apportera aussi son lot de changements même s'ils ne sont pas fondamentaux. Les personnes physiques de moins de 18 ans pourront ainsi enregistrer des noms de domaine. La liste des nouveaux enregistrements de noms de domaine devrait être rendue accessible, même s'il reste à déterminer dans quelles conditions. Les procédures pour réclamer le transfert ou la suppression d'un nom de domaine devront désormais être homologuées par le Ministre.

C'est donc un texte déjà bien avancé qui sera examiné prochainement par le Sénat. Deux questions demeurent cependant ouvertes sur le champ d'application de cette Loi, et la réponse à ces questions pourrait avoir de sérieuses conséquences.

Tout d'abord la Loi  s'appliquera-t-elle directement aux domaines de premier niveau dits « ultramarins », c'est-à-dire le .re pour la Réunion, le .mq pour la Martinique, et la demi-douzaine d'autres codes qui attendent depuis 2004 la désignation officielle d'un office d'enregistrement ? Si la réponse est positive, on pourrait voir une ouverture de ces domaines de premier niveau, pour l'instant confidentiels, voire gelés depuis des années, aux entreprises et particuliers européens d'ici à la fin de l'année 2011.

La seconde interrogation est un risque d'interprétation. En l'état du texte, certains pourraient considérer qu'il s'applique aux futurs domaines de premier niveau créés auprès de l'Icann, l'organisme de coordination des noms de domaine au niveau mondial, par des collectivités françaises, comme .paris ou .bzh. S'ajouterait alors à la lourdeur du processus de sélection par l'Icann la nécessité d'une désignation, sans doute par mise en concurrence, par le Ministre français. Un bel imbroglio juridique en perspective, qui paralyserait certainement ces projets. Il faut espérer que le Sénat lèvera cette incertitude en clarifiant la rédaction.

 On le voit, le Législateur a lancé en un temps record un travail salutaire de clarification du cadre législatif des noms de domaine. Il reste encore de nombreuses étapes à franchir mais on peut désormais sérieusement espérer que les conséquences de la censure du Conseil Constitutionnel, qui avait suscité beaucoup de craintes, soient positives au global pour l'ensemble du secteur des noms de domaine en France.