Elections présidentielles : les médias étrangers et les utilisateurs de réseaux sociaux vont-ils être condamnés ?
Les sanctions prévues par la loi française en cas de diffusion anticipée de résultats ou de sondages pendant les élections présidentielles pourraient s'appliquer aux médias étrangers et aux utilisateurs de réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter.
Toute personne – organe de presse ou internaute – qui divulgue des résultats ou des sondages d’opinion en violation des interdictions applicables en matière d’élections, risque des sanctions pénales prévues par le Code électoral.
L’article L.52-2 du Code électoral interdit la communication « par
la voie de la presse ou par tout moyen de communication au public par voie
électronique » de tout résultat d’élection, partiel ou définitif,
avant la fermeture du dernier bureau de vote. Ces dispositions visent par
exemple la publication d’estimations basées sur le dépouillement dans certains
bureaux de vote représentatifs fermant à 18 heures. L’auteur d’une telle
communication au public encourt une amende de 3 750 euros (article L.89 du Code électoral).
Par ailleurs, la loi du 19
juillet 1977, modifiée en 2002, interdit « la publication, la diffusion et le commentaire » la veille de
chaque tour de scrutin ainsi que le jour de celui-ci, de tout
sondage d’opinion ayant un rapport direct ou indirect avec, notamment, une
élection présidentielle. Les opérations de simulation de vote réalisées à
partir de sondages d’opinion sont également visées (à partir, notamment, de sondages
de sortie des urnes et de sondages d’opinion réalisés par téléphone le jour du
vote). Tout contrevenant à cette interdiction s’expose à une amende de 75 000
euros (article L.90-1 du Code électoral).
La rédaction de ces textes est
suffisamment large pour englober tout type de communication au public, qu’il
s’agisse de la presse écrite ou en ligne, des services audiovisuels ou
radiophoniques, ou de la publication de messages sur des blogs et sur les
réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter.
La simple publication d’un lien
vers des résultats ou sondages publiés en violation de la loi, ou un retweet,
constituent également l’infraction puisqu’il s’agit d’une diffusion ou d’une
communication au sens de la loi.
De même, au titre du régime de la
responsabilité des hébergeurs prévu par la directive européenne sur le commerce
électronique 2000/31/CE du 8 juin 2000 et par la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN), l’hébergeur pourrait également être
reconnu pénalement responsable s’il avait connaissance de l’information
illicite ou si, après en avoir eu connaissance, il n’a pas agi promptement pour
la retirer ou en rendre l’accès impossible.
Au vu de la jurisprudence actuelle,
la responsabilité de Facebook ou de Twitter s’apparenterait à celle d’un
hébergeur. C’est ainsi que se sont prononcés les juges dans une décision du 13
avril 2010 rendue par le tribunal de grande instance de Paris. Il est également
intéressant de relever que la Cour d’appel de Pau a considéré le 23 mars 2012,
dans une affaire impliquant Facebook Inc., que les tribunaux français étaient
compétents bien que les conditions générales d’utilisation de Facebook
donnaient compétence aux tribunaux californiens et désignaient la loi de l’État
du Delaware.
Les dispositions du Code
électoral sont également susceptibles de s’appliquer à des organes de presse
étrangers et à des internautes résidant à l’étranger. À la suite du premier
tour des élections présidentielles du 22 avril 2012, la Commission des sondages
et la Commission Nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l'élection présidentielle (CNCCEP) ont
ainsi conjointement saisi le Parquet de Paris de faits délictueux concernant à
la fois des médias et des particuliers étrangers. Le Parquet aurait ouvert une
enquête à l’égard de deux médias belges, un média suisse, un site internet de
Nouvelle-Zélande ainsi qu’un journaliste belge qui aurait diffusé des
estimations sur Twitter.
Les médias étrangers et
utilisateurs de réseaux sociaux publiant résultats et sondages depuis
l’étranger au mépris de la loi française pourraient en effet voir leur responsabilité
pénale engagée, dès lors qu’aux termes de l’article 113-2 du Code pénal, une
infraction est réputée commise en France lorsque l’un de ses éléments
constitutifs a eu lieu sur ce territoire.
Dans son rapport « l’Internet et les réseaux numériques »
publié en 1998, le Conseil d’Etat avait déjà recommandé que la loi pénale
française s’applique au contenu illicite publié sur un site Internet accessible
en France, quel que soit sa source dans le monde, dès lors que la réception par
l’internaute sur le territoire français est un élément constitutif de
l’infraction en application de l’article 113-2 du Code pénal.
Le tribunal de grande instance de
Paris a par la suite indiqué, à propos du délit d’apologie de crime de guerre,
que la mise à disposition d’un site « qui
peut être vu et reçu sur le territoire national et auquel l’internaute peut
accéder […] caractérise l’élément de
publicité nécessaire à la constitution du délit », ce qui « suffit donc à emporter la compétence des tribunaux français et l’application de la
loi pénale française » (TGI Paris, 26 février 2002).
En matière de divulgation de
résultats ou de sondages sur Internet, la possibilité d’avoir accès à
l’information illicite en France devrait donc suffire à constituer le délit,
quel que soit le lieu d’origine de la divulgation, puisque l’un des éléments
constitutifs du délit a bien lieu en France.
Dans son communiqué de presse du 23 avril 2012, la CNCCEP a indiqué « qu’en
règle très générale, les grands médias français ont respecté cette interdiction »
de publication des résultats et des sondages d’opinions. La menace de la
diffusion anticipée des résultats des élections provient donc principalement
des médias étrangers et des utilisateurs de réseaux sociaux. Les internautes
sont à cet égard moins menacés de poursuites pénales que les médias. En effet,
l’explosion des réseaux sociaux rend la sanction de l’ensemble des actes de
diffusion des internautes théorique et démontre que la loi n’est plus adaptée
aux nouveaux modes de communication. La solution pourrait être, à l’instar de
la Belgique et de la Suisse, la fermeture de l’ensemble des bureaux de vote à
la même heure.
Pour l’heure, en dépit du
communiqué de presse de la CNCCE recommandant la modification du décret du 22
février 2012 portant convocation des électeurs pour l’élection du Président de la République afin « que soit fixée à 20 heures le 6 mai prochain
la fermeture de l’ensemble des bureaux de vote de métropole », le
gouvernement français a indiqué que les horaires de fermeture des bureaux de
vote resteraient inchangés au second tour au motif que « on ne change pas les règles du jeu entre les deux tours d’une élection
présidentielle ».
Par Sabine LIPOVETSKY, Avocat Associé, Kahn & Associés, et Hélène CARRIER, Kahn & Associés