Presse et internet : quel avenir ?

En péril depuis des années, la presse ne cesse de chercher des solutions pour se réinventer. L'Internet et la gratuité de l'information ont bousculé l'ADN de ce secteur bien plus encore que celui de la banque ou du retail. Quelles sont les perspectives pour les acteurs de ce marché ?


  • La première révolution de l’Internet est celle d’avoir offert du contenu gratuit en grande quantité.
  • La deuxième révolution a été de mettre à disposition des internautes, des outils de production de contenu, ce qui a contribué à développer l’offre de contenu.
  • La troisième révolution a été de favoriser les relations entre internautes essentiellement par le biais des réseaux sociaux. Ces liens ont organisé la verticalisation de l’offre de contenu par le biais des wiki par exemple.
  • Enfin si on doit en citer une dernière, la quatrième révolution est de faciliter les précédentes en ouvrant de nouveaux accès à l’internet : mobile, tablette, IPTV, consoles de jeu, liseuse, etc.

Ces révolutions successives ont eu pour effet sur le contenu de le dévaloriser en inversant l’équilibre de l’offre et de la demande. De moins en moins de consommateurs achètent la presse et il est très compliqué – utopique ? nous en parlions - de leur faire acheter du contenu sur internet.
Le pêché originel, celui d’avoir valorisé les activités internet non sur le produit mais sur l’audience, a engendré la mise en ligne d’importants volumes de contenus gratuits.
Autre raison ayant justifié cette démarche, l’accès à l’internet il y a vingt était excessivement coûteux. Les entreprises de télécommunication et les fournisseurs d’accès facturaient la connexion à internet au temps passé. S’il fallait en plus que les internautes paient l’accès aux contenus, Internet n’aurait jamais rencontré le succès qu’il connait aujourd’hui.
Histoire de dramatiser le tableau, les revenus publicitaires sur Internet comme sur le papier baissent. Même si quelques modèles ont la cote comme la publicité vidéo ou celle sur les mobiles et les tablettes, ces formats représentent des volumes très faibles qui ne compensent pas les pertes accusées sur les media historiques.
Les rares titres affichant un succès – relatif – sur la vente de contenu en ligne génèrent tous des revenus relativement faibles comparés aux pertes subies sur les métiers historiques. Quelques pureplayers réussissent à vivre de ce modèle (ex : Mediapart).

A l’aune de ces constats, que peut on conclure pour les éditeurs dont le modèle économique est basé sur la vente de contenu ?
1) Que ce modèle a vécu.
Même s’il fait vivre encore bon nombre de titres, la presse papier est celle d’une génération de consommateurs vieillisants qu’il est très difficile de renouveler. Il y aura toujours des lecteurs de presse papier mais jamais en aussi grand nombre ni à la même fréquence que par le passé. Le contenu a perdu sa valeur et ne suffit plus à rentabiliser sa production quelle qu’en soit la forme.
Les revenus actuels ne doivent pas être considérés comme les moyens de faire fonctionner les entreprises mais comme ceux d’assurer leur avenir. La stratégie est donc de réduire au maximum les budgets de fonctionnement afin de maximiser les investissements en diversification, il en va de l’avenir de ces entreprises.
Certains groupes de presse quotidienne régionale ont entamé une course à l’audience en rachetant des titres. Cette stratégie peut fonctionner si on imagine que le groupe survive à une conduite du changement assez radicale, ce qui est loin d’être gagné.
Pour générer des bénéfices, la mutualisation des moyens et la réduction des coûts de production demeurent les seules pratiques envisageables pour ces entreprises. Cette démarche engendre une perte d’identité des titres, qui a un impact négatif sur les ventes puisqu’avec la proximité ce sont les seuls bénéfices clients. La baisse des ventes induit celle de l’audience et celle du chiffre d’affaires publicitaire.

Cette stratégie ne me paraît pas viable à long terme car de toute façon elle se fondait sur un modèle de la presse dépassé. On voit aujourd’hui les difficultés que rencontrent le groupe Hersant ou News Corp. celui de R. Murdoch.

2) Que la solution n’est pas dans la reproduction en ligne du modèle historique.
Le bimedia est une chimère, ce n’est pas l’avenir mais une simple bouteille d’oxygène. Reprenant en particulier les arguments de la baisse des revenus publicitaires, des faibles revenus de la vente de contenu en ligne, on comprend aisément que l’avenir d’une entreprise ne réside pas dans cette stratégie. En lien direct avec le précédent argument, ce n’est pas de porter sur internet un modèle moribond qui permettra la résurrection.

3) Que certaines innovations laissent entrevoir un avenir radieux !
Quels seraient les ingrédients d’un projet média d’avenir ? On peut lire les bilans d’initiatives mediatiques a succès qui laissent à penser que la presse a sa place dans la société à condition qu’elle accepte de se réinventer.
- une marque « différente », forte : on pourrait citer de nombreux exemples de blogs ou d’initiatives media qui se sont imposés ces dernières années par la force de la marque. Sur un territoire qu’il soit thématique ou géographique, la valeur d’une marque historique est forte mais elle porte la charge de son histoire. Sur de nouveaux produits, elle apportera plus efficacement un gage de sérieux à de nouvelles marques que la possibilité de conquérir de nouveaux territoires avec son patrimoine.
- un contenu « différent » : à l’image d’OWNI, le journalisme se réinvente. Les sources, la forme, le traitement, les média, la fréquence, le ton, etc. tout ce qui faisait le journalisme est bousculé par un changement de repère temporel qu’imposent les média digitaux. Le « plus » est devenu la religion. Plus rapide, plus fréquent, plus complet, plus expert, plus nombreux, plus, plus… ces contraintes engendrent sur le contenu des transformations intéressantes qu’il faut explorer : le datajournalisme, le microblogging, le crowdsourcing, le social-journalism, etc.

- un média « différent » : chaque support correspond à une envie de lecture. Le papier se lit plutôt le soir ou le matin, dans une configuration sédentaire, au calme. Sa consommation se densifie aussi le week-end, c’est devenu un média « plaisir » qui permet de « prendre son temps ». Le site internet est utilisé lui pour la mise à jour en continu, au bureau, dans la journée, particulièrement entre midi et deux, dans une configuration sédentaire. Le mobile lui s’utilise le matin ou en fin d’après midi lors des déplacements, en mode nomade. La tablette s’utilise en second écran plutôt le soir en mode sédentaire. Mais tout cela pour accéder au même titre par un ou plusieurs lecteurs.
On voit bien que la rédaction d’un article tel qu’il est entendu par un journaliste ne suffit plus pour traiter d’un sujet. C’est une « enveloppe » ou un « dossier » qui doit être ouvert chaque jour sur un sujet, afin de l’alimenter de plusieurs versions d’un article, de vidéos, de photos, de liens, de fichiers pdf, etc. tout cela pour répondre aux différents modes de consommation en acceptant – pour le journaliste – de ne pas en maîtriser la restitution.
C’est aussi du côté des ventes éditeurs qu’il faut changer de stratégie, on ne vend plus du papier uniquement. On vend des moments d’accès au contenu dans une logique d’offre up-selling. Enfin côté régie, on peut par exemple vendre la répétition d’un message publicitaire sur différents supports pour un même lecteur. Cette répétition peut avoir plus de valeur que le fait de toucher plus de lecteurs.

- une publicité « différente » : servie certainement par une proximité plus grande entre l’éditeur et la régie au service de produits publicitaires plus efficaces et mieux valorisés. Une publicité différente car plus innovante commercialisée à l’efficacité.

- un métier « différent » : le contenu n’a plus assez de valeur pour suffir à rentabiliser sa production. Le contenu sert à vendre un support, de l’information et de l’infomerciale mais il peut aussi servir à vendre d’autres services, d’autres produits. Le contenu génère de l’audience, il faut que cette audience soit adressée par différentes offres commerciales, les sites de presse à l’image des portails doivent devenir des plateformes « d’intermediation » ou "d'infomediation". Vous trouverez une brillante introduction à ce concept ici ou plus récemment .