Multi-SIM, un challenge pour les opérateurs des marchés émergents

Phénomène peu connu en Europen surtout dans son ampleur, le Multi-SIM atteint des sommets dans les pays émergents et notamment en Afrique. C'est un enjeu majeur pour les opérateurs en termes d'offres, de fidélisation et de reconnaissance client.

Si dans les pays développés les opérateurs essayer de développer l'utilisation de cartes SIM multiples pour une même ligne, dans le cadre d'un usage Data, dans les marchés émergents la problématique est tout autre : les opérateurs voudraient limiter le nombre de clients Multi-SIM qui sont équipés de plusieurs cartes  et donc de lignes dans le cadre d'un usage voix. En effet ceci constitue un problème majeur, en termes notamment de fragmentation de revenus, de relation, et de relation client avec pour conséquence une fluctuation forte des revenus par client.
Les clients peuvent ainsi utiliser une carte SIM et s'en débarrasser pour en prendre une nouvelle lorsque l'offre promotionnelle expire. Ce phénomène est accentué par des revendeurs qui poussent la vente de nouvelles cartes SIM en lieu et place de recharges, afin d'obtenir des commissions plus élevées.

Ce phénomène est lié à 3 types de facteurs

  • Le premier facteur est l’offre, les opérateurs peuvent proposer des offres compétitives qui utilisent des promotions pour attirer le chaland, avec en réponse d'autres promotions de la part des concurrents, la promotion devenant le mode nominal tarifaire. C’est le cas du Maroc avec le phénomène de la "double double recharge" par exemple.
    A ce titre se développent aussi des prix différentiés en on-net et off-net, avec un pricing on-net très bas,
    ce qui entraine l'achat de plusieurs cartes SIM pour une utilisation différentiée selon l'opérateur du client qui est appelé.
    Par ailleurs, les opérateurs proposent des prix bas voire la gratuité pour l'activation de cartes SIM. 
  • Second facteur, la demande puisqu’il s’agit d’un marché de type prépayé dans lequel les clients sont très sensibles au prix, où les contraintes au changement de carte SIM ne sont pas perçues comme des barrières.
  • Troisième facteur, l'environnement avec des problèmes de qualité de service, et de couverture notamment en Afrique sub-saharienne, avec la couverture réseau qui n'est pas homogène dans un même pays pour des raisons techniques, juridiques ou politiques , les clients privilégiant tel ou tel réseau selon leur localisation géographique.
    Traditionnellement, les opérateurs raisonnent en termes de lignes et de parts de marché, avec un jeu à somme nulle en termes de churn: les clients sont chez un opérateur A, et un seul, et churnent pour un autre opérateur B. Le phénomène Multi SIM change la nature même du marché, les clients faisant des arbitrages sur plusieurs critères en ce qui concerne tel ou tel promotion opérateur. Dès lors l'indicateur de part de marché "lignes" n'est plus pertinent, les clients ayant plusieurs lignes à leur disposition. Il convient ainsi de se focaliser sur la part de revenus que peut capter l'opérateur sur le budget télécoms du client (Wallet share). Dans un tel marché il y a destruction de valeur pour les opérateurs historiques ou puissants, notamment lorsque les habitudes de consommation intègrent une composante "chasseur de primes" très importante. A l'inverse, il y a création de valeur lorsque les clients peuvent utiliser leur téléphone avec une SIM A alors qu'il ne pouvait le faire avec une SIM B.
Plusieurs stratégies sont possibles afin d'adresser ce phénomène selon la position de l'opérateur sur son marché ainsi que le degré de développement du Multi-SIM sur le marché. Un opérateur leader sur son marché, doit limiter la progression du Multi-SIM si ce dernier est naissant, en lançant des actions préventives afin de fidéliser ses clients et réduire l'attrait d'une deuxième carte SIM. Ceci passe par des actions de promotion classiques (abondance on-net importants par exemple), d'attribution de bonus (SMS, crédit voix..) au cours du temps mais aussi par une véritable excellence opérationnelle en termes de support client ou de richesse de l'offre.
Dans le cas d'un marché où le Multi-SIM est très développé, il s'agit alors de maximiser la part du budget télécoms qui est captée par le biais d'actions d'animation "below the line" afin d'attirer les clients vers les promotions offertes, qui doivent différentes de celles proposées par la concurrence (heures d'utilisation, durée de vie des recharges doublées ou triplées, etc.). Pour un opérateur alternatif la stratégie est plus directe, il s'agit d'attirer le client afin de capter la partie la plus importante de son budget, avec des promotions sur la base des heures d'appel (heures creuses/heures pleines), du jour de la semaine, des zones géographiques ou de groupes d'utilisateur.
Quel que soit le cas de figure l'approche doit être déclinée selon le type de clients, entre "churners chroniques" et les utilisateurs utilisant une carte SIM comme carte SIM principale. Ainsi dans un marché mature en termes de Multi-SIM, la moitié des clients churnent au bout d'un mois en moyenne, avec un tiers supplémentaire dans le mois qui suit, soit 80 % de la base.
Le solde des clients constituant alors le cœur de cibles des actions de rétention et de fidélisation.
Pour les "churners chroniques" il s'agit alors pour les opérateurs de se positionner comme opérateur de la SIM secondaire, en essayant de garder le client le plus longtemps sur le réseau avec des actions de promotion limitées dans le temps comme le doublement du crédit d'appel pendant quelques jours par exemple, l'attribution de bonus si la carte est utilisée de manière quotidienne par exemple.

Jean-Michel Huet, Directeur Associé BearingPoint et Tariq Ashraf, BearingPoint