Affaire Google vs. Bottin Cartographes, la Cour d'Appel de Paris sollicite l'Autorité de la concurrence

Nouvel épisode dans le feuilleton judiciaire qui oppose Google à la Société Bottin Cartographes qui avait déjà gagné contre le géant californien en le faisant condamner en 2012 pour abus de position dominante dans le domaine des services de cartographie.

La Cour d'Appel de Paris a rendu le 20 novembre 2013 son arrêt suite à la contestation de Google.
La société Bottin Cartographes (Bottin) est spécialisée dans le secteur de la cartographie multimédia, réalise des cartes destinées à être intégrées au site Internet de ses clients, (collectivités locales, grandes enseignes de distribution …).
Google à partir de "Google Maps" a développé un service similaire à celui de Bottin, décliné sous deux présentations gratuite -Google Maps API- et payante en service enrichi-Google Maps API  Premier - et proposé aux entreprises éditrices de sites Web.
Deux modèles économiques sont usuels sur Internet : le gratuit, basé sur l'analyse de données et financé par la publicité et le payant. En l'espèce, Google Maps API était proposé par Google, gratuitement mais sans financement par la publicité.
Ceci fut considéré par BOTTIN comme "une pratique de prédation relevant à la fois de l'abus de position dominante et de la pratique de prix abusivement bas".

Bottin assigna Google Inc. et Google France devant le Tribunal de Commerce de Paris. Un jugement du 31 janvier 2012 condamna Google Inc. et refusa de mettre hors de cause Google France en considérant qu'il y avait "pratique de prix prédateurs constitutive d'un abus de position dominante mais non pratique de prix abusivement bas".
Les sociétés Google firent appel. La Cour d'Appel refusa de surseoir à statuer en attendant le résultat de plaintes similaires déposées contre Google, devant la Commission Européenne et l'Autorité allemande de la concurrence.
La Cour, après avoir analysé l'activité de Google France a considéré que celle-ci a une activité d'intermédiation en matière de vente de publicité en ligne, d'assistance marketing et de services supports au profit de la société Google Ireland et ne pouvait être mise hors de cause.
Elle examina ensuite l'abus de position dominante. Le marché concerné –qui n'était pas contesté par les parties – était celui de la publicité en ligne et de la cartographie en ligne permettant la géolocalisation des points de vente sur les sites Web des entreprises (ci-après le marché de la géolocalisation).
Les services des deux sociétés étant jugés substituables.
Les données du dossier permettaient de considérer que Google avait 40 à 60 % du marché de la géolocalisation, ce qui lui donnait une position prééminente en plus d’avoir une position dominante sur le marché de la publicité en ligne.
La Cour fit application de la jurisprudence permettant de considérer qu'il peut y avoir prohibition des abus commis sur un marché connexe de celui sur lequel l'opérateur est dominant, et s'attacha à rechercher s’il y avait connexité entre le marché de la publicité en ligne et celui de la géolocalisation.
Dans la mesure où la société Google qualifiait ces marchés de "marchés bifaces" et où Google Maps est en accès libre sur le moteur de recherche Google, il fut jugé que les deux services sont connexes et ce d'autant plus que Google prétendait financer sa vente à prix nul du service Google Maps API, par les revenus de Google Maps et Google Maps API Premier.

Y avait-il alors abus par prédation sur le marché connexe de la géolocalisation ?

La Cour se référa à la jurisprudence de la Cour de Justice depuis les arrêts AKZO de 1991 et rappela que la preuve de la "prédation" peut être apportée en comparant le prix de vente par rapport au coût moyen variable de l'entreprise.
Google prétendait couvrir les coûts de son service API par les revenus tirés des clients de la version payante Google Maps API Premier. Cette position fut contestée par Bottinqui prouva que les cartes obtenues dans le cadre du service Google Maps API étaient différentes des cartes de Google Maps, expliquant que  dès lors que ces cartes étaient modifiées, un  travail générant un coût n'avait pas été pris en compte par Google et devait être réintégré dans les coûts pertinents.
Google, reprochant à Bottin de ne pas apporter la preuve de la prédation, s'est vue rétorquer par la Cour d'Appel qu’elle n'avait versé aucun élément comptable au motif du secret des affaires.
La Cour examina ensuite une étude économique non contradictoire produite par Google mais ne fut pas convaincue de l’absence de prédation, disant qu'elle ne pouvait se contenter de trois pages "conclusives, plus que démonstratives".
Faute d'éléments suffisants pour statuer, la Cour a transmis le dossier à l'Autorité de la Concurrence afin que celle-ci examine s'il y avait abus de position dominante, non seulement au regard du droit national, mais également du droit européen de la concurrence.
L'analyse à venir de l'Autorité de la Concurrence va s'ajouter à la longue liste des débats entre Google et les Autorités de Concurrence.