La cyberadministration et de la modernisation des États africains

Le e-gouvernement est un enjeu clé de modernisation des États dans les pays émergents ? C'est d'ailleurs une question clé qui en Afrique prend tout son sens.

Les pays africains sont entrés dans l’ère de révolution numérique ; tous les canaux sont concernés, les chiffres en témoignent : le taux de pénétration d’Internet en Afrique est passé de 3,6% à 15,3% entre 2007 et 2012 d’après l’Union internationale des télécommunications, et le taux de pénétration en téléphonie mobile [1] est passé de 20 % en 2008 à 35 % en 2014 d’après la GSMA, l’association mondiale des opérateurs de téléphonie mobile. L’Afrique subsaharienne est la région du monde qui connaît la progression la plus rapide en matière de téléphonie mobile.
À un niveau plus qualitatif, des applications africaines ont été primées en 2012 à Barcelone au congrès mondial de la téléphonie mobile. L’Afrique est aussi le berceau d’innovations technologiques majeures dont les avatars sont aujourd’hui en cours de déploiement en Europe : parmi celles-ci, on peut mentionner le mobile money, apparu au Kenya en 2007, ainsi que de nombreuses applications de télémédecine et de télé-éducation. Les pays émergents africains ont su tirer parti du saut technologique, accédant, certes plus tardivement que les pays développés, mais directement aux technologies les plus avancées.
Internet, le mobile, les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont apparus dans les habitudes des Africains. Parallèlement, les études des économistes montrent qu’une croissance forte est associée aux TIC, les TIC constituant une source de diversification pour des économies tournées vers l’export de matières premières. Ainsi, une croissance de 10 % du taux de pénétration d’Internet dans une économie émergente peut se traduire par une hausse du PNB de 1 à 2 points.
Face à ces évolutions, les gouvernements africains se sont lancés dans l’aventure de la cyberadministration, pour renforcer l’efficacité de l’État et améliorer la qualité de service. C’est par exemple la direction résolument prise par la République du Congo, dont le Ministre des Postes et Télécommunications, Thierry Moungalla déclarait dès 2012 que « le projet e-gouvernement permettra […] de moderniser l’État, de mettre en réseaux l’ensemble des administrations, de rapprocher l’État vis-à-vis des citoyens. Ceci permettra également au Congo, qui veut devenir un hub technologique, de disposer d’infrastructures de haut niveau et d’une administration performante. »[2]
De fait, aujourd’hui, une grande partie des projets majeurs de modernisation dans les États développés, comme dans les États émergents, sont des projets de cyberadministration. Ceci invite à se demander si les facteurs clés traditionnellement évoqués pour expliquer le succès d’une réforme dans le secteur public sont applicables en tout ou partie dans le cas de la cyberadministration.
Afin de répondre à cette question, il faut rappeler au préalable, ce que l’on entend par cyberadministration. C’est tout d’abord un écosystème, au sein duquel les relations entre tous les acteurs impliqués –administrations, secteur privé, usagers particuliers et entreprises- sont régulées ; c’est ensuite une feuille de route stratégique et opérationnelle, qui fixe une vision à court, moyen et long terme des projets à mettre en œuvre ; c’est encore une cible technologique et applicative, i.e. un ensemble d’applications et d’équipements mobile, réseaux, ordinateurs répondant aux besoins des acteurs ; ce sont enfin des usages, c’est-à-dire des habitudes de travailler pour les agents et des habitudes de consommer un service pour les usagers.
Dans ce cadre, si l’on considère l’Afrique, et plus spécifiquement les pays d’Afrique centrale, force est de constater que si les recettes traditionnelles appliquées pour la conduite d’un projet de réforme dans le secteur public restent valables, la cyberadministration emporte avec elle une vraie révolution du fonctionnement des administrations, en requérant une coordination forte entre les acteurs impliqués et une réorientation des activités de l’administration vers l’usager.
L’observation des expériences de modernisation du secteur public dans les pays émergents enseigne, que six clés sont nécessaires pour ouvrir la porte du succès d’une réforme. Ces six clés ouvrent également les portes de la cyberadministration, comme l’illustrent les cas ci-dessous. 
Un projet de modernisation publique doit en premier lieu allier vision stratégique partagée et déclinaison opérationnelle rigoureuse. Une stratégie claire et visible est en effet garante de l’obtention du soutien des équipes impliquées. C’est dans cette perspective qu’il faut lire le schéma national de développement du système d’information de l’administration gabonaise, élaboré en 2012, qui décline sur cinq ans, une feuille de route de développement des TIC pour toutes les administrations.
En second lieu, pour réussir un projet de modernisation publique, une pratique éprouvée consiste à mettre en place un pilotage par les résultats, aux niveaux national et local. L’évaluation des actions menées et l’analyse des coûts permettent de mieux gérer les fonds publics, d’éclairer les décideurs et de responsabiliser l’ensemble des acteurs, administrations et usagers. C’est ce principe qui a prévalu au Maroc à la réalisation du Baromètre du Développement International, dans le but de révéler les attentes et perceptions des entreprises vis-à-vis de l’administration, et ainsi d’orienter ses actions.
En troisième lieu, la modernisation de l’État nécessite d’identifier et de mobiliser les compétences critiques. La gestion des ressources humaines est en effet essentielle à la réussite d’un projet : il faut anticiper les besoins pour savoir si les agents publics peuvent y répondre, et ménager un volant de sous-traitance si nécessaire. A titre d’illustration, ce point peut être corroboré par l’exemple tanzanien : l’un des fondements de la réussite du projet d’implémentation d’un système intégré de gestion financière en Tanzanie a été l’accompagnement des agents utilisateurs du nouveau système, via des transferts de compétence et l’organisation de formations.
En quatrième lieu, les projets de modernisation publique doivent imaginer des dispositifs de mise en œuvre pragmatiques : cela passe par des dispositifs expérimentaux pour préparer la généralisation du dispositif, et par des campagnes de sensibilisation et de communication auprès des agents et des usagers pour favoriser la diffusion des réformes. C’est ce mode du pas à pas qui a été retenu par le Botswana pour identifier les dispositifs de médecine sur mobile les plus efficaces et les généraliser.
 
Les deux autres clés du succès d’une réforme dans le secteur public sont la construction d’un projet fédérateur dans la durée, et le développement d’une approche centrée sur les usagers. Ces deux clés sont le cœur de la révolution que constitue la cyberadministration.
 
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Chronique co-écrite par Jean-Michel Huet, Partner BearingPoint, Diane de Pompignan, Manager BearingPoint, Grégoire Cottet, consultant BearingPoint

[1] Nombre d’utilisateurs uniques de la téléphonie mobile divisé par la population totale
[2] Entretien à l’Agence Ecofin le 26 mai 2012