A quoi sert la loi Lemaire sur le numérique ?

Aussi anecdotique soit-elle, la loi Lemaire a allumé une petite lumière dans la nuit de la loi sur le renseignement. La consultation ouverte pour l'occasion sera-t-elle suivi d'effets concrets ou n'était ce qu'un artifice de communication de plus ?

Axelle Lemaire n’y va pas par le dos de la cuillère : sa loi a pour but de créer la “République Numérique”, rien de moins. C’est ainsi que le gouvernement qualifie son projet de loi sur le numérique, enfin présenté le 26 septembre dernier après deux années de gestation douloureuse. Saluons l’ambition. Mais à l’arrivée, le compte n’y est pas. Vidée de sa substance et trahie par avance par la funeste loi sur le renseignement, celle-ci se résume à un catalogue de bons sentiments d’où émergent quelques bonnes idées.

Titre 1 - La circulation des données et du savoir. La France se décide enfin à se lancer dans l’open data, en retard d’une décennie sur le reste du monde. Mais elle le fait a minima, comme l’ont régulièrement dénoncé les activistes de l’accès aux données publiques.

Titre 2 - La protection dans la société numérique. La protection des données personnelles est une intention louable, mais seule, la France ne peut rien. Seul le cadre européen, voire mondial, peut permettre de défendre nos droits individuels face aux multinationales du web.

Titre 3 - L’accès au numérique. Là encore, les ambitions du gouvernement ont été revues à la baisse, puisque les questions d’éducation au numérique et de formation ont été évacuées du projet de loi.

Dans tout ceci, rien sur l’économie. Emmanuel Macron s’est battu avec succès pour que sa jeune camarade Axelle Lemaire ne vienne pas empiéter sur son territoire. C’est pourtant là que le défi est le plus grand : faire de la France le leader européen en matière numérique. Pourtant ce n’est pas une loi de plus qu’attendent les startupers, mais un environnement économique et juridique stable, favorable au développement de leurs projets. « Arrêtez de faire de nouvelles lois »  comme l’a très pertinemment demandé la jeune entrepreneuse Céline Lazorthes aux Députés qui l’auditionnaient. La démo-bureau-cratie française est hyper interventionniste, créant un environnement aussi complexe qu’instable, quand, par exemple,  le cadre fiscal et légal des affaires aux Pays-Bas n’a pratiquement pas changé depuis les années 70…

Loi renseignement vs Loi Lemaire : l’Etat schizophrène

Cette opération de communication ne fera néanmoins pas oublier ce qui restera comme la grande innovation numérique de ce gouvernement : la mise en place de la surveillance généralisée du peuple français, validée par un Conseil constitutionnel pourtant censé être le garant de nos libertés fondamentales. Le gouvernement veut bien protéger nos données personnelles contre les multinationales, mais se réserve un accès privilégié à notre vie privée. Une politique schizophrénique ou cynique, chacun appréciera.

La gauche, historiquement héraut de la défense des libertés individuelles, a succombé à la surenchère sécuritaire de l’après 11 janvier. Paralysée à l’idée de faire preuve de laxisme, elle s’est engagée résolument dans la voie de la surveillance de masse, deux ans seulement après les révélations tonitruantes d’Edward Snowden. Les bonnes intentions du projet de loi Lemaire ne changeront rien à cette cruelle réalité. Il y a malheureusement longtemps que la Gauche a abandonné la défense des vraies libertés, pour se consacrer à la seule distribution clientéliste de faux droits et d’allocations.

Consultation participative : innovation démocratique réelle ou artifice de communication ?

Pour tenter de cacher la misère, une consultation participative a été lancée pour « co-construire la loi ». Mais « seulement » 20,000 citoyens y ont participé, ce qui est à la fois beaucoup, dans l’absolu, et peu, compte tenu des enjeux. Le sujet est trop complexe et la protection des données et des droits individuels sur Internet n’est pas un enjeu suffisamment tangible. Après plusieurs décennies de bourrage de crâne collectiviste, les Français ont perdu l’instinct vital et la conscience de l’importance de défendre leurs libertés. La loi sur le renseignement aurait du les scandaliser et ils n’ont pas bougé.

Du reste, parmi les milliers de citoyens qui ont saisi l’opportunité qui leur a été offerte de donner leur avis, certains ont proposé de supprimer les dispositions de la loi renseignement les plus liberticides, dont les fameuses “boîtes noires” algorithmiques qui filtrent désormais l’ensemble de nos actes numériques. D’autres ont essayé de réintroduire des dispositions sur l’enseignement de la programmation à l’école.

Reste à voir si le gouvernement saura rebondir sur ces propositions ou si cette consultation participative inédite n’aura été qu’un nouvel artifice de communication. 

Arnaud Dassier
Entrepreneur, business angel
Animateur du groupe de réflexion programmatique d’Alain Juppé sur le numérique