Projet de loi pour une République numérique : révolution ou écran de fumée ?

Annoncé comme une grande avancée démocratique, le "Projet de loi pour une République numérique" a été adopté par l’Assemblée Nationale le 26 janvier (356 voix pour, 1 voix contre).

Près de 21 000 participants ont déposé plus de 8 500 arguments, amendements et propositions de nouveaux articles sur internet. Le texte se décompose en 3 volets : « Circulation des données et du savoir », « Protection des citoyens dans la société numérique » et « Accès de tous au numérique ».


Circulation des données et du savoir : Une ouverture des données publiques afin de favoriser une « économie de la donnée »

Le premier volet est consacré au domaine aussi prometteur que controversé de l’ouverture des données publiques (Open Data), qui consiste à imposer la diffusion des données détenues dans le cadre d’une mission publique, pour tous et gratuitement. Il s’agissait d’un thème très attendu, dans le contexte de la chute récente de la France de la 3ème à la 10ème place du classement de l’Open Data Index, du fait du nombre important de données non publiées, ou seulement accessibles moyennant redevance.

 

Le projet de loi propose ainsi d’élargir l’accès aux données publiques en introduisant le principe de « donnée d'intérêt général ». Derrière ce concept, c’est de l’élargissement de l’ouverture des données dont il est question, en incluant celles détenues par des acteurs privés et dont l'accès représente un fort enjeu d'intérêt général.

 

La définition de ces « données d'intérêt général » reste assez floue pour conserver un grand nombre d’exceptions, telles que La Poste, l’INSEE ou l’IGN, qui restent hostiles à une ouverture de leurs données. A ce titre, le texte s’inscrit dans la lignée de ses prédécesseurs (loi NOTRe et loi Open Data de Clotilde Valter) en prônant une ouverture des données sous conditions, permettant ainsi à certains de continuer à monnayer leurs données. Pas de grande révolution, donc, du côté de l’Open Data français.

 

 Affirmation d’une série de nouveaux droits pour protéger la vie privée des citoyens

Ce deuxième volet prévoit d'accroître les droits des consommateurs, notamment concernant leurs informations personnelles. Ainsi, les mineurs pourront bénéficier d’une procédure accélérée pour le « droit à l’oubli ». Le projet introduit également la notion de « mort numérique » qui permettra la gestion des données personnelles d’un individu après son décès.

 

La « loyauté des plateformes » devra permettre à tout individu d’avoir accès aux méthodes de référencement des moteurs de recherche, réseaux sociaux et autres plateformes publiques. Cependant, se pose la question de l’adaptation des géants du web tels que Google et Facebook à ces nouvelles exigences de transparence.

La CNIL se verra également octroyer davantage de pouvoir, avec la possibilité d’infliger des amendes pouvant aller jusqu’à 20 millions d’euros (contre 300 000 aujourd’hui).

Enfin, le texte prévoit une régulation des avis en ligne. Ces derniers constituent une source d’informations de plus en plus importante chez les utilisateurs.

 

 Développement de l’accès à tous au numérique

Le troisième axe de ce projet de loi est marqué par la volonté de réduire la fracture numérique actuelle (selon le Credoc, 16% des français n’ont pas accès à internet chez eux). Selon Axelle Lemaire, Secrétaire d’État chargée du numérique « Internet est un besoin essentiel, au même titre que l’accès à l’eau ou à l’électricité ». Ainsi, les connexions internet du grand public ne pourront plus être coupées en cas de facture impayée.

 

De plus, de nouveaux usages seront développés, comme les recommandés électroniques ou le paiement par SMS. En revanche, l’obligation d’accessibilité de tout site internet pour les personnes âgées ou handicapées ne fait actuellement pas partie du projet de loi, alors qu’il s’agit des populations les plus touchées par la fracture numérique.

 

En définitive, même s’il est issu d’une démarche novatrice, le texte présenté en conseil des ministres semble un peu timide, voire incomplet. Symbole de ce projet, la consultation populaire n’a pas répondu aux principales attentes des citoyens, avec le rejet des propositions les plus plébiscitées par les internautes, comme donner la priorité aux logiciels libres dans le service public ou permettre des actions de groupe pour l’atteinte au droit sur les données personnelles.

 

Le texte n’a cependant pas fini d’évoluer. En effet, ce sont plus de 700 amendements qui ont été déposés en conseil des ministres. De nombreuses autres modifications sont également à prévoir lors des navettes successives entre l’Assemblée Nationale et le Sénat, qui étudiera le texte au printemps 2016.