Le marché de l'aide à domicile doit-il être uberisé ?

Le marché des services à domicile aux personnes dépendantes représente 12 milliards d'euros en France. Il semble un client idéal pour l'uberisation, qui concerne de plus en plus de pans du secteur tertiaire. Mais est-ce possible et est-ce même souhaitable ?

C’est la grande mode de l’uberisation. L’entreprise californienne Uber a, depuis quelques années, révolutionné le marché du transport urbain en proposant, via une application, des chauffeurs indépendants, disponibles immédiatement, qui vous conduisent où vous voulez pour un prix raisonnable. Le paiement est dématérialisé, et vous pouvez noter votre chauffeur pour améliorer la qualité du service. Même si le système n’est pas accepté par les acteurs existants, on peut noter de manière factuelle que cette innovation a créé de l’activité pour des chauffeurs VTC, amélioré la qualité du service rendu au consommateur et baissé son prix. Depuis, on a vu logiquement  fleurir de nombreuses initiatives pour apporter des innovations comparables dans d’autres pans du secteur tertiaire : la livraison de nourriture à domicile, les services de proximité, le ménage etc... Le marché des services à domicile aux personnes dépendantes (12 milliards d’euros en France contre environ 3 milliards pour les taxis) semble à première vue un client idéal pour l’uberisation. Plusieurs startups se sont d’ailleurs lancées dans ce domaine aux Etats Unis (Hometeam, HomeHero, Honor) en 2015 et l’on commence à observer des initiatives similaires France. Mais l’aide à domicile aux personnes dépendantes peut-elle vraiment être uberisée ?

Si l’on entend par uberisation un service rendu par des indépendants, mis en relation avec des clients via une platforme, alors on peut dire que non, le marché de l’aide à domicile ne peut pas être uberisé.

Légalement c’est impossible. Pour vendre une prestation d’aide à domicile, il faut une autorisation du département dans lequel on exerce l’activité. Cette autorisation est soumise au respect strict du cahier des charges, reprécisé récemment dans le décret no 2016-502 du 22 avril 2016, et qui ne prévoit pas l’exercice de l’activité par un auto-entrepreneur. Le législateur et les départements cherchent à voir se développer des acteurs professionnels, attentifs à la qualité, et on les voit mal, dans un futur proche, délivrer en masse des autorisations à des auto-entrepreneurs. 

“Freelanciser” l’aide à domicile ne résoudrait pas forcément les problèmes du secteur. Les emplois d’aide à domicile et d’auxiliaires de vie sont précaires (salaires bas, temps partiel, risque de rupture des contrats dans le cadre de l’emploi direct auprès des particuliers...) et peu valorisés. Le secteur peine ainsi à attirer et retenir des profils qualifiés et motivés. Le fort turnover impacte négativement les marges des entreprises et crée de l’insatisfaction chez les bénéficiaires. Pour inverser la tendance et améliorer le cadre de travail, il faut tendre vers le CDI à temps plein, qui, aujourd’hui en France à ce niveau de salaire, est le seul cadre qui permet de se projeter, de louer un logement, de bénéficier de mécanismes de protection en cas de coup dur. Dans le contexte actuel, créer de l’activité pour des auto-entrepreneurs payés à un niveau proche du SMIC dévaloriserait encore plus le métier et serait contre-productif.

Comparaison n’est pas raison et le raisonnement par analogie a ses limites. Les marchés du transport urbain et de l’aide à domicile sont en réalité bien différents. Le secteur des taxis a été libéralisé au profit des VTC alors que le nombre de licences avait été, pendant longtemps, gardé très bas par rapport à la demande. Cette libéralisation rapide permet aujourd’hui de créer de l’activité rémunératrice (entre 1500 et 4000 euros par mois) pour des milliers d’auto-entrepreneurs. Ces derniers s'accommodent ainsi sans peine du statut d’indépendant et de la flexibilité du métier, d’autant plus que cela leur permet de l’exercer parfois de manière temporaire ou en complément d’autres activités. A terme, l’augmentation de l’offre va peut être paupériser le métier et diminuer la qualité du service mais ce sera globalement au bénéfice des consommateurs qui sont, pour ce qui est du transport, principalement sensibles au prix. On est content d’aller d’un point A à un point B pour le prix le plus faible, et l’on continuera à utiliser Uber même s’il n’y a plus de bonbons dans les accoudoirs, ou si le chauffeur ne porte plus de costume. Sur le marché de l’aide à domicile, la situation est tout autre. Il n’y a pas de monopole à libéraliser qui créerait rapidement de l’activité bien payée pour des indépendants prêts à avoir un emploi moins protégé. Il y a surtout des bénéficiaires, et un système médico-social, qui sont très attentifs à la qualité du service tout en sachant que les tarifs, contraints par le montant du SMIC, ne peuvent pas baisser. 

Si l’on entend par uberisation le fait d’utiliser la technologie pour améliorer le suivi de la qualité, faire des gains d’efficacité, alors oui il y a bien sûr des choses à faire. Les smartphones et les outils collaboratifs peuvent fluidifier la gestion des plannings et des interventions, en impliquant les auxiliaires. Ils donnent l’opportunité d’échanger quotidiennement entre collègues alors même que chacun travaille au domicile de ses bénéficiaires. Cela permet enfin d’améliorer la communication avec les familles des personnes âgées, souvent à distance et friandes d’informations rassurantes sur leurs proches. Mais attention, la technologie pour la technologie ne résoudra aucun problème. Elle ne se traduira en bénéfices pour le marché que si il elle renforce l’engagement des auxiliaires, principal facteur de qualité du service.

C’est aussi la leçon qu’on peut tirer de l’étude des exemples américains. HomeHero, Hometeam et Honor offrent ainsi maintenant un statut d’employé aux “Caregivers” qu’elles font travailler, alors que deux d’entre elles avaient commencé en offrant un statut d’indépendant. Elles n’ont par contre pas pour autant renoncé à innover dans ce domaine en utilisant la technologie au service de l’empowerment des “Caregivers”. 

Inspirons-nous de leur exemple !