Laurent Michaud (Idate) "La consolidation des éditeurs de jeux vidéo sur mobile va être longue"

Laurent Michaud, chef de projet Loisirs numériques à l'Idate évoque les conséquences du mobile et des réseaux sociaux sur le marché du jeu vidéo.

JDN. Les mobiles et les réseaux sociaux ont-ils redistribué les cartes dans l'industrie du jeu vidéo ?

Laurent Michaud. Plus qu'une redistribution, nous sommes surtout passés d'un jeu de 32 cartes à 52 cartes. A chaque fois qu'un nouveau segment de marché s'est créé dans le secteur du jeu, de nouveaux acteurs sont arrivés, comme Zynga sur les réseaux sociaux ou Rovio sur le mobile. Mais ces acteurs ne remettent pas en cause un Ubisoft sur son marché. Ce qui risque de réellement redistribuer les cartes, c'est la convergence des plateformes. La prochaine console portable de Playstation, la 'PS Vita', intègrera la 3G et permettra de télécharger des jeux, comme on peut déjà le faire sur mobile. Le marché des jeux vidéo sur smartphone va donc petit à petit converger avec celui sur consoles portables. Nintendo avec sa DS va de plus en plus être concurrencé par Apple, avec son iPhone, même si leur cible n'est pas la même.

Quel est le poids du jeu vidéo sur mobile et sur réseaux sociaux aujourd'hui ?

Selon l'Idate, le marché du jeu vidéo sur mobile pèse 5,2 milliards d'euros et celui du online gaming (réseaux sociaux, MMO...) est de 13,3 milliards d'euros, dont 3,4 milliards d'euros pour les jeux 'sociaux'. A côté, celui du PC offline est évalué à 2,7 milliards d'euros, celui des consoles portables à 5,4 milliards d'euros et le marché des jeux sur console de salon à 14,6 milliards d'euros.

A quel point les jeux sur mobile ou sur réseaux sociaux concurrencent-ils les jeux vidéo classiques ?

En se créant de nouveaux segments, le marché du jeu vidéo crée des surplus de marché en trouvant de nouvelles cibles. C'est ce qui s'est passé sur mobile. Les smartphones ont converti au jeu des gens qui avaient abandonné la console ou qui ne jouaient pas. C'est parce qu'il n'a cessé de convertir de nouveaux publics que le marché global du jeu vidéo n'a cessé de croître ces 10 dernières années. Mais il commence à y avoir une concurrence de temps et d'argent. Lorsqu'un même jeu est présent sur deux plateformes, un iPhone et une DS, par exemple, le consommateur à tendance à choisir la plateforme où le jeu est le moins cher.  

Comment s'adaptent les grands du secteur ?

Un acteur comme Electronic Arts fait de la croissance externe pour se placer sur ces nouveaux marchés. Il l'a fait sur PDA et il le fait maintenant sur mobile et sur réseaux sociaux où il a déjà racheté, notamment, Playfish pour 275 millions de dollars et PopCap pour 750 millions de dollars. De leur côté, Sega, Konami et Ubisoft ont investi assez tard dans ces domaines, comme ils avaient déjà investi tardivement dans le online.

Comment vont se consolider ces secteurs ?

Dans les réseaux sociaux, il existe une quinzaine de sociétés importantes et 3000 beaucoup plus petites dont la plupart n'édite qu'un jeu. Dans le mobile, les parts de marché sont beaucoup plus morcelées. Avec l'iPhone, le nombre d'éditeurs a explosé. La consolidation va donc être longue. Electronic Arts va sans doute participer à ce phénomène, mais un acteur comme Zynga a aussi tout intérêt à se développer davantage sur mobile pour diminuer sa dépendance à Facebook.

Les écosystèmes de Facebook et Apple sont-ils favorables aux acteurs ?

Facebook et Apple sont des acteurs majeurs de la chaîne de valeur, il est donc normal qu'ils soient rétribués. Sur le circuit traditionnel, un développeur peut espérer toucher 10% des revenus issus de la vente de son jeu. Aujourd'hui, il touche entre 30 et 60%, donc beaucoup plus. Ces écosystèmes sont bénéfiques pour les créateurs. Mais ces univers apportent une nouvelle difficulté. L'offre d'un créateur est aujourd'hui noyée dans un grand volume de jeux. Il est difficile de faire ressortir son jeu du lot, comme de se différencier en termes de gameplay. Il faut sans cesser se réinventer pour rester visible.

Comment les fabricants de consoles vont-ils se réinventer pour faire face à cette nouvelle concurrence ?

Ils vont faire des efforts sur une amélioration de l'expérience des joueurs en allant beaucoup plus loin que la Wii. D'une certaine manière, les consoles viseront de plus en plus les 'hard core gamers', les autres préférant jouer sur leur mobile ou leur tablette. Mais ils espèrent tout de même toucher des joueurs plus occasionnels en apportant d'autres types de jeux téléchargeables sur console via Internet.

Titulaire d'un master d'ingénierie économique et financière, Laurent Michaud est chef de projet Loisirs numériques à l'Idate. Entré à l'Idate en 2000, il est responsable des études sur l'électronique grand public, le foyer numérique, les jeux vidéo, la musique et leurs phénomènes connexes : évolution des usages, nouveaux usages et terminaux, innovation technologie, piratage, protection des contenus et gestion des droits.