Accusée de servir à Daesh pour communiquer, l'appli Telegram doit-elle être interdite ?

Accusée de servir à Daesh pour communiquer, l'appli Telegram doit-elle être interdite ? L'application de messagerie vient de supprimer 78 comptes de l'Etat islamique. Prisée des membres de Daesh, elle l'est aussi des iraniens qui se protègent de la censure d'Etat.

En 2013 a commencé à émerger une nouvelle application de messagerie instantanée, aux côtés des Whatsapp, Viber, Snapchat, Messenger et consorts. Fondée à Berlin par les frères Durov, Telegram a rapidement connu une croissance rapide grâce à l'accent mis sur la sécurité et la confidentialité, à l'heure des scandales liés à la surveillance généralisée de la NSA. Il faut dire que ses créateurs ont les moyens, puisqu'ils financent ce projet avec les 300 millions de dollars qu'ils ont empochés lors de la vente de Vkontakte, le Facebook Russe dont ils sont à l'origine. Sur son créneau, Telegram n'est pas seul. D'autres applications de messageries cryptées ont d'ailleurs vu le jour à la même période, comme Wickr, qui a levé 9 millions de dollars en mars 2014, ou bien Secret, qui a finalement fermé en avril dernier après avoir recueilli 35 millions de dollars.

En février 2014, Telegram assure dans un tweet être l'application la plus téléchargée dans 48 pays et gagner près de cinq millions d'utilisateurs par jour. Elle est la sixième application gratuite la plus téléchargée aux Etats-Unis. En mai 2015, l'application revendique plus de 62 millions d'utilisateurs actifs chaque mois, contre 900 millions pour Whatsapp, dont les fondateurs se considèrent comme des concurrents sérieux. Pavel Durov estime que l'application rachetée par Facebook "craint" : "vous ne pouvez pas y envoyer de documents et ce n'est pas privé", déclare-t-il en septembre dernier lors de la conférence Techcrunch Disrupt. Telegram, de son côté, permet de chiffrer facilement toutes ses conversations et de détruire ses messages au bout d'un temps prédéfini, mais aussi d'envoyer des documents et de créer des conversations de groupes contenant jusqu'à 200 membres.

Daesh invite ses membres à télécharger Telegram

Autodestruction des messages

Une aubaine pour qui veut échanger sans être surveillé. Mais ces derniers mois, des voix s'élèvent pour dénoncer l'utilisation de Telegram par des membres de Daesh pour communiquer en toute confidentialité, hors du radar des services de renseignement. Daesh a d'ailleurs posté un message sur l'un de ses sites pour encourager ses membres à utiliser l'application et la paramétrer de manière à ce que les messages s'autodétruisent automatiquement après un certain temps. C'est aussi notamment sur Telegram que l'Etat islamique a revendiqué les attaques parisiennes du 13 novembre et avant cela, l'attentat contre l'avion civil russe dans le Sinaï. Avantage non négligeable pour les terroristes : Telegram assure disposer de serveurs dans de nombreux pays pour éviter toute coupure gouvernementale.

"La confidentialité plus importante que la peur"

Interviewé en septembre dernier à TechCrunch Disrupt au sujet de la présence de Daesh sur l'application par un journaliste lui demandant si "cela l'empêchait de dormir", Pavel Durov s'est défendu : "C'est une bonne question, a-t-il déclaré. La confidentialité est au final plus importante que notre peur de voir des catastrophes survenir, comme des attaques terroristes. Pour ce qui est de Daesh, oui, il y a une guerre en ce moment au Moyen-Orient. Au final, Daesh trouvera un moyen de communiquer avec des portables, et si ça ne leur paraît pas suffisamment sécurisé, ils trouveront quelque chose d'autre. Il ne faut pas que l'on se sente coupable. Nous faisons ce qui est juste, c'est-à-dire protéger la vie privée de nos utilisateurs."

Anonymous veut s'attaquer aux groupes terroristes sur Telegram

Indépendance vis-à-vis des autorités

Mais Telegram n'est pas utilisé que par des terroristes. L'application permet par ailleurs à des populations vivant sous dictature de communiquer sans craindre d'être opprimées par l'appareil d'Etat. 20 millions d'iraniens l'utilisent par exemple pour sortir du radar de la censure. Au point que les autorités iraniennes ont demandé à ses créateurs de collaborer pour leur permettre de surveiller ce qui se dit sur l'application. Pavel Durov a catégoriquement refusé d'obtempérer.

En attendant, Anonymous a annoncé suite aux attaques du 13 novembre avoir repéré sur Telegram des groupes de discussion liés à Daesh. Mercredi 18 novembre, face à la vague de critiques adressées à l'application après les attentats de Paris, Telegram a annoncé la fermeture de 78 chaînes utilisées par les djihadistes pour communiquer. Une première pour la messagerie sécurisée. Les blocages concernent des chaînes dans douze langues. Tous les comptes officiels de l'EI ont notamment été suspendus ainsi que son agence de presse. Reste à savoir si les gouvernements occidentaux vont également  se pencher sur le sujet.