Loïc Le Meur Loïc Le Meur (Seesmic) : "Les start-up de la Silicon Valley se mettent en ordre de bataille pour passer la crise"

Installé dans la Silicon Valley où il a créé Seesmic, Loïc Le Meur apporte son témoignage sur la réaction des start-up locales face à la crise économique. Pour lui, le Web s'en sortira mieux que les autres médias.

Quelle est l'atmosphère dans la Silicon Valley ?

L'ambiance est très morose. Il y a un vent de panique en ce moment car les entrepreneurs ont peur. Mais la Silicon Valley est souvent excessive. A la fois quand tout va bien et lorsque la situation se complique. Au moins 3 000 personnes ont perdu leur job au cours des 3 dernières semaines. Pourtant, tout le monde comprend qu'il faut le faire. Chez Seesmic, nous sommes passés de 30 à 20 employés pour nous préparer à affronter la crise. C'est un ordre de grandeur que l'on retrouve dans beaucoup de start-up qui licencient. Tout le monde cherche à réduire la voilure pour passer le cap.

Quelles conséquences anticipez-vous sur ces start-up ?

Je crains que cette crise dure au moins deux ans. Et comme il est devenu extrêmement difficile de lever des fonds en ce moment, tout le monde a mis un frein sur ses ambitions et donc ses dépenses. Les start-up se mettent en ordre de bataille pour durer. Certaines, comme Seesmic, ont levé suffisamment d'argent pour passer ce cap (lire l'article : Loïc Le Meur réunit une dream team de business angels pour Seesmic, du 15/02/08). Nous sommes en effet en mesure de tenir 3 ans sans réaliser de chiffre d'affaires (même si je compte bien en réaliser d'ici là!). Nous sommes donc dans une situation très confortable. Mais tout le monde n'a pas cette chance. Pour les autres, il faut impérativement réussir à atteindre la rentabilité le plus rapidement possible sous peine de mettre la clé sous la porte, car je le répète, lever de l'argent devient très compliqué.

Comment ont réagi les capitaux-risqueurs ?

Tous conseillent de réduire la voilure et deviennent très prudents. Certaines levées de fonds très importantes ont été réalisées récemment, mais elles ont été signées cet été. L'annonce des 22,7 millions de dollars levés par LinkedIn par exemple a été faite la semaine dernière mais le closing date d'août ! Les capitaux risqueurs concentrent dorénavant leurs efforts sur des sociétés déjà rentables. Celles là auront plus de chance que d'autres, mais les valorisations seront beaucoup plus faibles qu'il y a deux mois encore, et se feront au détriment des entrepreneurs. D'ailleurs, quand je vois les messages que font passer les fonds d'investissement dans la presse, je me demande s'ils ne soufflent pas le froid sciemment. Car il faut être lucide, la chute des valorisations les sert...

Cette crise ne vient-elle pas un peu tôt pour les start-up du Web 2.0 qui génèrent peu de chiffre d'affaires ?

Sans doute oui. Il y a deux mois, tout le monde était très agressif et se concentrait sur l'audience. Les start-up se disaient qu'il serait toujours temps de monétiser leurs services. Ce n'est plus le cas. Elles cherchent maintenant à monétiser leurs services avant de penser gagner de l'audience. Cela va sans doute pénaliser l'innovation. Jamais Youtube ou Facebook n'auraient pu en effet être là où ils en sont aujourd'hui dans le contexte actuel. Mais tout ça n'est qu'un mauvais cycle à passer. Et je pense qu'Internet souffrira moins que le reste de l'économie. Notamment les médias. D'abord parce que les usages continuent de migrer vers le Web, et qu'Internet bénéficie d'un avantage considérable par rapport aux autres médias : on peut mesurer les résultats d'une publicité, et les annonceurs savent donc pourquoi ils investissent.

Comment avez-vous vécu la crise de 2000 ? Que faisiez-vous à cette époque ?

 A l'époque j'avais créé un incubateur : Business Pace, via lequel j'avais investi dans une quinzaine de start-up. A cette époque, j'avais aussi participé au premier tour de LinkedIn. La crise d'aujourd'hui est très différente de celle de 2000. D'abord, celle d'aujourd'hui est plus large et concerne l'ensemble de l'économie. Ensuite, il y a beaucoup moins de projets insensés, les sociétés font soit des revenus soit de la croissance. Ce n'est pas un hasard, beaucoup de managers de sociétés Web aujourd'hui ont connu cette époque et se servent de cette expérience aujourd'hui pour réagir très rapidement. En 2000, beaucoup avaient attendu et regardé venir...

Votre conférence Le Web'08 prévue les 9 et 10 décembre à Paris ne souffre-t-elle pas de ces difficultés ?

Non, tous nos sponsors de l'année dernière nous ont suivi, et de nouveaux nous ont rejoints, comme Sun et MySpace. 700 participants sont déjà inscrits, nous en attendons entre 1 000 et 1 200, dont 300 capitaux risqueurs. Comme l'année dernière, 30 start-up ont été sélectionnées pour passer devant un jury. Parmi les invités de marque, nous accueillerons Marissa Meyer, vice-présidente de Google chargée des produits de recherche et des services utilisateurs, Chris De Wolfe, le fondateur de MySpace, ainsi que Paulo Coelho. Lui, c'est un blogueur fou passionné de réseaux sociaux. Il viendra expliquer comment il crée un contact permanent avec ses lecteurs par le biais de son blog.