Jérôme Filippini (SGMAP) "La gratuité de l'accès aux données publiques restera la règle"

Récemment nommé à la tête de l'organisme en charge de la politique Open Data et des systèmes d'information de l'Etat, Jérôme Filippini esquisse les contours de la politique du gouvernent en matière de transformation numérique.

JDN. Vous venez d'être nommé à la tête du secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP). En quoi consiste cette entité ?

jerome filippini
Jérôme Filippini, secrétaire général pour la Modernisation de l'Action publique. © S. de P. SGMAP

Jérôme Filippini. Le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique est un nouvel outil, rattaché directement au premier ministre et mis à la disposition de la ministre chargée de la réforme de l'Etat, Marylise Lebranchu. Il regroupe en son sein l'ancienne direction générale de la modernisation de l'Etat, laquelle devient la direction interministérielle pour la modernisation de l'action publique (Dimap), et plusieurs services qui étaient dédiés à la transformation numérique de l'Etat. S'ajoutent également la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication (Disic), la DSI de l'Etat que je dirigeais depuis février 2011 et la mission Etalab, chargée de favoriser la mise à disposition des données publiques en vue de leur réutilisation.

Pourquoi fondre ces services en une seule structure ?

La création du SGMAP traduit la forte volonté gouvernementale de changer les méthodes, notamment en matière de transformation numérique. Notre objectif est de passer d'un système où ces services étaient "sur le dos" des administrations, qui devaient vérifier l'application de réformes destinées à générer des économies, à un système davantage basé sur la "confiance" et sur la bonne prise en compte en amont des sujets de la transformation numérique. 

"Le service public doit devenir numérique par principe"

Etalab va-t-il être fondu dans le SGMAP ou conservera-t-il son existence propre ?

La mission Etalab  continuera d'exister en tant que telle et conservera son expertise. Il y aura auprès de moi un directeur de la mission Etalab qui sera nommé prochainement. Nous allons également garder et intensifier Dataconnexions (le programme de promotion et d'incitation de la communauté Open Data à la réutilisation des données publiques, ndlr.), même si nous avons repoussé la tenue du prochain événement Dataconnexions2, pour laisser le temps aux porteurs de projets de réutilisation de données publiques de déposer leur candidature, avant le 20 décembre. Nous allons en revanche multiplier les événements destinés à faire connaître les services d'Etalab avec des formules qui pourront être différentes de celle de Dataconnexions.

Le 20 décembre, le gouvernement présentera également une feuille de route qui doit tracer les orientations de son projet en matière de modernisation de l'action publique ? Quelles seront-elles ?

Depuis une quinzaine d'années, les administrations sont entrées dans l'ère des services en ligne. Un très grand nombre de services publics sont aujourd'hui adossés à un téléservice. Le gouvernement souhaite que l'on franchisse un cap en la matière : il s'agit de passer d'une administration électronique qui était parfois trop centrée sur la simple dématérialisation des procédures à une démarche de design de services qui, dès leur conception, intègrent le numérique au coeur de la réflexion sur les interactions avec les usagers. Le service public doit aujourd'hui être numérique par principe, sans pour autant laisser de côté une partie de la population qui ne veut ou ne peut pas recourir à ce canal.

Le deuxième enjeu, c'est la stratégie d'ouverture des données. Le gouvernement souhaite dépasser le stade de la simple mise à disposition des jeux de données sur un portail. C'était la première étape d'Etalab avec le lancement de Data.gouv.fr. Nous devons désormais travailler au développement de tous les autres aspects du gouvernement ouvert, à savoir la transparence de l'action publique, la confiance en sa puissance et l'association des usagers à la conception de tels services..

Comment se traduira cette politique ?

Nous allons prioritairement travailler sur les données à plus forts enjeux - démocratiques, sociaux et économiques - et faire en sorte que la mise à disposition ne s'apparente pas à une simple cueillette des jeux de données les plus faciles à mettre à disposition. Pour servir les usagers, nous voulons nous concentrer sur ceux qui ont le plus fort potentiel de création et d'innovation.

Beaucoup d'acteurs de l'écosystème Open Data pointent la faible réutilisation des jeux de données publiés par Etalab et la nécessité de passer d'une approche d'offre à une approche de demande...

"L'Open Data sera un fil rouge de l'action gouvernementale"

Une première étape de l'Open Data a permis de faire prendre conscience de la valeur pour la société des données publiques. Mais nous nous rendons compte que malgré ces initiatives, leur réutilisation est en deçà de nos attentes. On pourrait en tirer deux conclusions : soit dire que ce n'était pas une bonne idée et qu'il faut arrêter là, soit intensifier nos efforts, comprendre encore mieux l'écosystème et être encore plus ouvert dans notre démarche. Dans ce sens, nous nous efforcerons de recueillir davantage l'avis des réutilisateurs de données. Beaucoup plus en amont. Pour cela, nous devons aussi travailler avec les administrations pour les mettre en confiance. C'est un gros travail de pédagogie ! Enfin, notre rôle est aussi technique. A partir du moment où l'on s'oriente vers la réutilisation, il faut parfois faire évoluer les systèmes d'information pour permettre un service pérenne et de qualité.

La Caisse nationale d'Assurance maladie a récemment mis en demeure le site Fourmi Santé pour lui interdire la publication des données concernant les tarifs des médecins. La Cnam a-t-elle eu raison d'agir ainsi ?

Nous ne sommes qu'au début de l'histoire de l'Open Data. Il y a du frottement et de la friction parfois, mais il est bon qu'il y ait du débat. Il doit contribuer à ce qu'à l'avenir, tous les acteurs, publics comme privés, aient une compréhension mutuelle de l'intérêt réciproque de l'Open Data. Cela veut dire qu'il faut que tout le monde se mette autour de la table et s'entende.

Quels seront vos outils pour cela ?

L'exemple et la pédagogie. En la matière, les exemples britanniques et américains nous enseignent que la plupart des organismes publics qui ont vraiment joué le jeu de l'Open Data en ont profité d'une manière ou d'une autre. Au-delà de la mise à disposition de données, nous devons jouer ce rôle pédagogique, mettre en avant les pionniers pour qu'ils en convainquent d'autres. Ce pourra notamment être l'un des objectifs à venir de Data.gouv.fr.

Certains acteurs de l'écosystème Open Data craignent une remise en cause du principe de gratuité des données publiques. Ont-ils raison de s'inquiéter ?

Le dispositif juridique de l'Open Data est clair : la gratuité est la règle, la redevance n'est qu'une exception dans un nombre de cas bien précis. Ce principe est équilibré car il préserve les acteurs dont la commercialisation des données représente un historique important, et oblige tous les autres à respecter le principe de la gratuité. Le gouvernement a, dès la prise de fonctions du premier ministre Jean-Marc Ayrault, réaffirmé que l'Open Data serait l'un des fils rouges de l'action gouvernementale. Il n'y a aucune raison de craindre la remise en cause de ces principes.

Séverin Naudet, qui dirigeait Etalab depuis sa création, vient d'en quitter la direction. Ses positions critiques à l'égard de la politique numérique du candidat Hollande pendant la campagne présidentielle ont rendu inaudible l'action de la mission qu'il dirigeait. Dans quel état récupérez-vous Etalab ?

Je n'ai aucun commentaire à faire sur cet épisode. Le temps du passé ne m'intéresse pas. Je me focalise sur ce que nous allons faire dès aujourd'hui, et à l'avenir. 

"La France fait partie du peloton de tête de l'Open Data mondial"

Etalab était conçu pour fonctionner comme une start-up au sein de l'Etat. Son intégration dans le SGMAP ne risque-t-elle pas de nuire à sa souplesse ?

Etalab demeurera une structure agile,  qui doit interagir, au sein du SGMAP, avec une multitude d'acteurs. Cette inclusion entre la Dimap et la Disic, c'est l'assurance que l'on travaillera ensemble, beaucoup mieux, demain, au service de la modernisation de l'action publique.

Alors que Data.gouv.fr s'apprête à fêter son premier anniversaire, quel regard portez-vous sur la place de la France dans le monde de l'Open Data ?

Il y a quelques années, quelques initiatives locales mises à part, la démarche Open Data n'était pas connue. Elle est aujourd'hui une priorité nationale du gouvernement. Nous proposons aujourd'hui sur Data.gouv.fr plus de 355 000 jeux de données, sur l'ensemble des thématiques ministérielles. Quand on se compare aux autres pays qui se sont ralliés au mouvement Open Data, je pense que la France fait aujourd'hui partie du peloton de tête de l'Open Data mondial. L'important, aujourd'hui, est d'intensifier l'effort d'ouverture des données publiques pour que cela se traduise immédiatement dans la réalité.

Beaucoup de collectivités locales disposent déjà, ou s'apprêtent à lancer, de leur propre portail Open Data. Chose qui crée un éclatement de l'offre de données publiques. Le rôle d'Etalab ne serait-il pas de centraliser toutes celà en un guichet unique ?

L'Etat n'a pas à se mettre en posture de donneur d'ordres ou de leçons à l'encontre des collectivités territoriales qui ont été parmi les premières à avoir pris des initiatives en matière d'Open Data. Nous devons en revanche travailler avec elles aux meilleures interactions possibles afin que le destinataire final en bénéficie concrètement. Je suis certain que nous aurons sur ce point un excellent accueil de la part des collectivités territoriales, à condition qu'on les respecte.

Normalien, diplômé de Sciences-Po Paris et de l'Ena Jérôme Filippini a été nommé le 31 octobre dernier secrétaire général pour la modernisation de l'Action publique. Il débute sa carrière en 1996 comme auditeur à la Cour des comptes, avant de devenir secrétaire général adjoint de cette institution en 1999, puis secrétaire général de la préfecture du Tarn-et-Garonne, de 2001 à 2003. Il rejoint ensuite la direction de la logistique à la préfecture de police de Paris jusqu'en 2006. Sous-directeur de l'organisation et du fonctionnement des services déconcentrés à la direction de l'administration pénitentiaire au ministère de la Justice, puis avocat général à la Cour des comptes pendant deux ans, il prend, de 2009 à 2011, la direction des systèmes d'information et de communication du ministère de l'Intérieur. De 2011 à 2012, Il est directeur, adjoint au secrétaire général du gouvernement et directeur interministériel des systèmes d'information et de communication (Disic).