Jaïna Capital "Il nous reste encore 86 millions d'euros à investir"

Un an et demi après sa création, le fonds de Marc Simoncini a investi 14 millions d'euros sur 16 start-up et souhaite répartir ses investissements tant en amorçage qu'en capital développement.

JDN. Quel bilan tirez-vous de vos 18 premiers mois d'investissements de Jaïna Capital, votre stratégie a-t-elle évoluée ?

Marie-Christine Levet. A l'origine, nous avons réalisé la majorité de nos investissements en amorçage, sur des montants allant de quelques centaines de milliers à 1,5 million d'euros. Ce fut le cas pour pour AppsFire, Ifeelgoods, Made.com, Restopolitan Monnier Frères ou encore Plyce. Six de ces investissements se sont d'ailleurs réalisés à l'étranger. Nous avons ensuite réalisé deux investissements dans des sociétés plus matures, avec déjà plusieurs années d'existence : Lentillesmoinscheres.com et l'agence media Online Keyade.

Aujourd'hui nous nous structurons autour de deux branches : l'une en amorçage et l'autre en capital risque et capital développement, visant des sociétés online déjà existantes en France et/ou à l'international, voire des sociétés "brick and mortar" qui souhaitent aller vers le digital. Jusque là, nous avons investi 14 millions d'euros, et ce à un rythme d'une opération par mois. Il reste encore 86 millions d'euros à investir, c'est donc encore le début.

Charles-Henry Tranié. Toute l'équipe de Jaïna vient du monde du consumer et chacun de nous a lancé des marques grand public. Nous souhaitons poursuivre notre développement dans ce sens. La redéfinition de cette stratégie nous permettra d'investir jusqu'à 10 millions d'euros sur un dossier s'il est vraiment porteur. Nous n'avons pas de contraintes puisque le fonds fonctionne un peu comme un family office, dont les 100 millions sous gestion proviennent exclusivement de Marc Simoncini. Cela favorisa les investissements atypiques. Cette structure nous donne toute latitude pour être réactifs dans nos processus de décision et réaliser des investissements atypiques tant en France qu'à l'étranger.

Comment envisagez-vous la nature de vos collaborations avec les autres investisseurs ? L'idée de la création d'un second fonds est toujours à l'ordre du jour ?

Marie-Christine Levet. Un second fonds avait été évoqué, mais nous allons finalement conserver une structure unique qui travaillera au capital-développement et à l'amorçage. Nous sommes ouverts au co-investissement avec d'autres fonds et avons réalisé de nombreux co-investissements avec d'autres fonds d'entrepreneurs qui ont le même ADN que nous comme Kima Ventures de Xavier Niel et Jérémie Berrebi, Jacques Antoine Granjon, Dotcorp des frères Rosenblum ou encore Profounders Capital en Angleterre, avec qui nous avons investi dans Made.com. L'essentiel est de travailler avec des gens qui sont dans le même rythme d'investissement que nous. Notre particularité, c'est d'avoir une capacité à évaluer les dossiers très rapidement et d'investir là où nous avons une expérience opérationnelle, en BtoC, en BtoBtoC, dans les médias, les services e-commerce ou les applications mobiles.

Charles-Henry Tranié. Il y a des dossiers plus technologiques que l'on regarde où nous n'avons pas forcément d'expertise. Mais systématiquement, quand on sent qu'un autre partenaire dans notre écosystème peut y apporter quelque chose, on le met en relation avec l'entrepreneur, que ce soit un dirigeant d'une autre société ou un fonds d'investissement.

Cette période de crise semble inquiétante quant aux possibilités de sorties...

Charles-Henry Tranié. Quand on investit on se pose tout de suite la question de la sortie, ce qui n'est pas forcément dans la logique d'un entrepreneur. Mais il est encore trop top pour parler de sorties chez Jaïna. Nous envisageons des sorties sur une échelle de cinq à sept ans après être rentrés dans le capital de la société. Cela peut être même trois ans en fonction des opportunités. Mais si l'on reste une dizaine d'années au capital d'une start-up Web, c'est qu'il y a un problème.

Marie-Christine Levet. Nous sommes très satisfaits des performances du fonds, notamment en raison du succès que rencontrent nos sociétés dans l'e-commerce, et d'autant plus satisfaits au regard de la situation économique actuelle. Mais comme toute société, les start-up risquent de souffrir du marasme économique. Il est important que toutes les incitations notamment fiscales qui entretiennent un écosystème favorable pour les start-up soient maintenues...
 

Jaïna a investi dans l'optique en ligne tout comme Alven Capital l'a fait avec Happyview.fr. Quel est le potentiel de ce marché ?

Charles-Henry Tranié. Jaïna a pris une participation dans Lentillesmoinscheres.com dans le but de créer un groupe d'optique en ligne et de lancer le site de vente de lunettes sur internet Sensee.com. L'arrivée d'acteurs nouveaux dans ce secteur va permettre d'ouvrir le marché de l'optique en ligne en France. A l'étranger, ce marché est déjà ouvert et connaît une réelle croissance dans de nombreux pays, dont les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne. En France, le marché de l'optique sur Internet est pour l'instant marginal mais pourrait atteindre 100 millions d'euros d'ici 5 ans, soit 5 % des 5 milliards d'euros du marché actuel. Le but de Sensee est de de diviser par deux la facture optique des Français, qui changent bien moins souvent de lunettes que dans d'autres pays.

Marie-Christine Levet. Depuis notre entrée au capital, Lentillesmoinscheres.com a doublé son chiffre d'affaires. En période de crise, les internautes sont à l'affut de bons plans permettant d'économiser leurs dépenses courantes.

Vous investissez également dans le mobile. Ne craignez-vous pas un risque de démultiplication d'applications, rendant leurs usages encore plus éphémères ?

Marie-Christine Levet. Nous croyons en la convergence du social du mobile et du local, comme le promettent les bons plans géolocalisés. Plyce s'était basé à ses débuts sur un modèle semblable à Foursquare. Mais il était difficile à monétiser sur le marché français, nous nous sommes donc recentrés sur une logique de bons plans géolocalisés. Le mobile, c'est un pont entre le monde virtuel et le monde physique. Avec Plyce, on promet aux marchands de faire rentrer des clients potentiels dans leur magasin. Charge à eux de les convertir par la suite.

Charles-Henry Tranié. L'enjeu d'un service mobile est de savoir trouver les nouveaux usages face à la démultiplication d'applications. Le succès d'une application repose sur la pertinence de son usage pour l'utilisateur final. Dans ce sens nous croyons à l'intérêt des bons plans géolocalisés proposés par Plyce, qui enregistre près d'un million d'utilisateurs.

Diplômée d'HEC et d'un MBA de l'INSEAD, Marie-Christine Levet a débuté sa carrière dans le conseil en management chez Accenture, avant de rejoindre Disney puis PepsiCo. En 1997, elle prend la tête de la version française du moteur de recherche Lycos. En 2001, elle prend la présidence de la société Club-Internet, revendu en 2007 à Neuf Cegetel. En 2008, elle prend la direction générale du groupe Tests. En avril 2010, elle rejoint Marc Simoncini pour développer Jaina Capital. Elle est par ailleurs administratrice de la société Iliad. 

Diplômé de l'Edhec, du DESS Droit des Affaires Paris V et d'un Executive MBA de l'INSEAD, Charles-Henry Tranié a commencé sa carrière à l'Assemblée Nationale comme assistant parlementaire. En 1997, il cofonde une web agency spécialisée dans les sites de e-commerce. Après une expérience comme avocat en fusion-acquisition chez Linklaters, il est recruté en 1999 par le fonds de capital risque Viventures, adossé au groupe Vivendi Universal. Il rejoint en 2001 le bureau de San Francisco où il participe aux investissements dans l'internet. En 2005, il revient en France et participe au lancement, en tant que Directeur du développement et des relations opérateurs, du 118 218, qui devient le leader du marché des renseignements téléphoniques. En mars 2010, il rejoint Marc Simoncini pour développer Jaina Capital.