Jared Simon (HotelTonight) "Nous allons tripler notre activité en France cette année"

L'application de réservation de dernière minute a entrepris une ambitieuse expansion internationale sans se laisser impressionner par Booking Now, explique son cofondateur.

JDN. Quels sont vos grands chantiers du moment ?

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Jared Simon, cofondateur et directeur des opérations d'HotelTonight © S. de P. HotelTonight

Jared Simon. Nous devons tout d'abord accroître notre notoriété. Les gens qui utilisent l'application l'adorent. Il nous faut donc la marketer et diffuser la bonne parole. Notre deuxième grand chantier est celui de l'internationalisation. Nous avons ouvert quatre nouveaux bureaux dans les six derniers mois, à Paris, Berlin, Toronto et Sydney. Et notre nouveau VP International, Amir Segall, est basé à Paris. Enfin, nous continuons de travailler sur notre produit. Nous sommes les seuls spécialisés à la fois dans le mobile, les hôtels et la dernière minute. Cela nous permet de développer beaucoup de services qui tirent parti de cette spécialisation.

Lesquels par exemple ?

Il y a deux mois nous avons lancé les offres localisées. Les hôtels veulent qu'on leur apporte des clients qu'ils n'auraient pas touchés sinon. Notre spécialisation nous permet d'utiliser le contexte de l'utilisateur - sa localisation bien sûr, mais aussi l'heure du jour, la météo, le trafic routier, que sais-je...- pour lui proposer l'offre la plus susceptible de lui plaire. Ainsi, si un utilisateur ouvre l'application à 17h30, sans doute désire-t-il un hôtel pour le soir-même. Nous permettons donc aux hôtels dans son périmètre immédiat de lui pousser une offre spécifique, adaptée à ses besoins puisque nous l'avons très bien qualifié. Imaginons qu'un hôtel sache qu'une bonne partie de ses clients viennent de Londres, de New York et d'Europe du Sud. Si à une période il constate avoir moins de clients Newyorkais, il peut à travers HotelTonight cibler les consommateurs là-bas. C'est un outil puissant pour attirer les clients que l'on souhaite, ceci sans devoir offrir un discount à tout le monde. Nous avons toute une série de produits fabuleux de ce genre que nous allons dérouler cette année.

Pourquoi seraient-ils impossibles à proposer sans votre spécialisation ? Booking Now, la nouvelle application de réservation de dernière minute de Booking, peut utiliser le même type de données que vous et s'appuyer en outre sur de très riches historiques de relation client comme sur une base d'hôtels bien plus large que la vôtre...

Mais Booking doit aussi gérer les réservations à l'avance, maintenir sa plateforme Internet... Et les hôtels doivent employer des outils très complexes pour se connecter à Booking. Notre proposition de valeur est très différente. HotelTonight propose une expérience basée sur notre curation d'hôtels, choisis un par un. A l'inverse, les consommateurs se rendent sur Booking pour y voir toutes les offres et non pas une sélection. Ce qui signifie aussi que les hôtels y font face à l'ensemble de leurs concurrents. Sur HotelTonight, ils sont bien moins nombreux et les établissements que nous mettons en avant changent tous les jours. Car à l'inverse de Booking, il n'est pas possible de rechercher un hôtel. N'apparaissent que ceux que nous poussons. Cela permet de discounter beaucoup plus, sans qu'il y ait d'impact sur la clientèle habituelle de l'hôtel. C'est aussi pour cette raison que nos tarifs sont inférieurs.

"Notre proposition de valeur n'est pas du tout la même que celle de Booking"

Mais ce n'est pas qu'une question de prix. En retenant un établissement sur HotelTonight, le consommateur a l'assurance qu'il fera un bon choix, puisque nous l'avons sélectionné. Il n'a pas besoin de lire des pages et des pages de reviews, qui ne lui donneront en outre aucune garantie. De plus, notre application met les hôtels en avant de façon très valorisante, avec des photos optimisées pour le mobile et des descriptions amusantes écrites par nos propres équipes. Nous vendons aux utilisateurs de la simplicité, de la rapidité et une expérience fantastique. Une grande différence avec Booking.

Puisque votre modèle repose sur la sélection d'un nombre restreint d'hôtels, ne risque-t-il pas dans quelque temps de plafonner votre croissance ?

Non, car nous avons tellement personnalisé l'expérience que nous pouvons avoir 100 hôtels partenaires sur une ville comme Paris et n'en afficher que 15 pour chaque client. Nous les faisons tourner.

Encore faut-il que votre base de clients ou sa fréquence d'utilisation continue d'augmenter... Est-ce le cas ?

Oui. Mondialement, notre application a été téléchargée 13 millions de fois, dont 2,5 millions en Europe, et cette base continue à croître.  L'appli est utilisée autant par des voyageurs de tourisme que d'affaires et avec des fréquences d'utilisation très semblables, même si les premiers voyagent moins. Il y a par exemple des gens qui consultent HotelTonight à la place de Facebook lorsqu'ils ont un temps mort, lorsqu'ils font la queue quelque part, pour découvrir de nouveaux hôtels qui les inspirent.

Que représente la France dans votre activité ?

Nous l'avons lancée il y a deux ans depuis Londres mais n'avons ouvert un bureau parisien qu'à la fin de l'année 2014. C'est parce que nous avons moins investi sur le marché français pour l'instant qu'il est très sous-représenté dans notre activité. Il offre donc une très belle marge de progression. En 2014, les réservations en France ont déjà crû de 305%. Mais rien que depuis janvier elles ont encore doublé, notamment grâce à l'ouverture d'Aix-en-Provence, Avignon, Montpellier et Toulon. Et nous prévoyons cette année de doubler le nombre de villes françaises que nous couvrons, pour atteindre 24 destinations. En 2015, nous pensons au moins tripler notre activité dans l'Hexagone. En outre, nous venons d'ouvrir le Maroc depuis Paris et comptons y attaquer d'autres villes que Marrakech.

"Nous n'allongerons pas la période de réservation au-delà de 7 jours avant la nuitée"

Pourquoi avoir choisi de baser vos activités internationales à Paris ?

D'une part parce qu'Amir Segall voulait y être basé, d'autre part parce qu'il nous a semblé que c'était idéal. Cette situation géographique est évidemment préférable à San Francisco ou Sydney mais - peut-être parce que Paris est la première destination touristique au monde, peut-être parce qu'il y a des voyageurs provenant de toute la planète...- c'est aussi un très bon endroit pour manager l'international. Je ne saurais pas dire précisément quels bénéfices on en retire, mais cela a indéniablement changé notre philosophie sur notre expansion. Ce qui ne nous empêche pas de nous appuyer sur la force du marché américain et de bénéficier des innovations technologiques conçues à San Francisco.

En outre, puisque nous avons beaucoup d'ambitions pour la France, il est naturel d'y associer des moyens. Londres est notre plus gros marché en dehors des Etats-Unis uniquement parce que nous nous y sommes lancés il y a longtemps. Mais nous attendons autant de Paris et de Berlin.

Dans l'immédiat, quelles sont vos prochaines destinations dans le monde ?

Nous avons lancé la Russie le 16 avril avec Moscou et St Petersbourg et nous rajouterons quelques villes des environs d'ici l'été. Ce marché est géré depuis Berlin. Quant à notre nouveau bureau de Sydney, il prépare l'ouverture du service en Australie dans les trois mois qui viennent.

Après le Maroc, envisagez-vous d'autres pays d'Afrique du Nord ?

Tout-à-fait, à condition que la stabilité politique du pays soit avérée. En réalité, nous nous décidons surtout en fonction des destinations que recherchent les voyageurs, que nous mettons en regard de la proportion de réservations de dernière minute dans ces pays, de la pénétration de l'Internet mobile et, plus largement, de si nous jugeons que ces marchés nous sont favorables.

"Nos copycats ne répliquent que la surface de notre application, pas l'expérience client"

Le peu de connexions data des voyageurs hors de leur pays freine-t-il votre croissance ?

Pas vraiment. Et de toute manière, cela progresse dans le monde entier. Aux Etats-Unis, les forfaits data marchent bien sûr dans tout le pays, donc aucun problème là-bas pour les utilisateurs américains. Dans les autres cas, le Wifi suffit généralement, d'autant qu'il ne faut que quelques instants pour réserver sur HotelTonight, puis que les informations de réservation sont disponibles hors connexion. En outre, beaucoup aussi réservent depuis chez eux juste avant de partir, surtout depuis que nous avons étendu la période de réservation à 7 jours avant la nuitée.

Envisagez-vous de prolonger encore cette période ?

Non. Réserver deux ou sept jours avant la nuitée, c'est la même démarche de dernière minute. Deux mois avant, c'est très différent. Nous nous en tiendrons à une semaine.

Vous êtes confrontés à des concurrents locaux dans chaque pays que vous attaquez. Entravent-ils votre progression ? Etes-vous parfois tentés d'en acquérir ?

Nous avons en effet des dizaines de copycats dans le monde, en France notamment. Ils voient notre application, se disent qu'elle est très simple et la répliquent. Mais le gros de notre travail ne se perçoit pas en surface. La connectivité avec les hôtels, l'infrastructure anti-fraude, la plateforme de support client que nous avons bâtie... Tous ces éléments sont vitaux pour que l'expérience client soit excellente et que l'utilisateur revienne. Les copycats ne copient que la surface. Si nous en rencontrions avec une philosophie proche de la nôtre et qui bénéficient d'une meilleure traction que nous sur un marché, nous envisagerions de les racheter. Mais ce n'est jamais arrivé. Nous avons d'ailleurs déjà réalisé des acquisitions, comme celle la start-up de réservation de restaurants PrimaTable, dont nous avons intégré la technologie. D'autres rachats de ce type pourraient tout-à-fait se produire à l'avenir.

Jared Simon est cofondateur et directeur des opérations d'HotelTonight. Diplômé en philosophie de l'Université du Texas à Austin et titulaire d'un MBA de la Kellogg School of Management de la Northwestern University, il débute sa carrière en 1996 en tant qu'analyste au Crédit Suisse. En 1998 il entre chez Budget Group comme responsable du développement corporate. Après son MBA, il rejoint Orbitz en 2003 en tant que directeur de Lodging.com, puis est nommé vice-président finance et développement corporate de TurnHere en 2006. En 2010 il cofonde HotelTonight avec Sam Shank et Christopher Bailey.