Vivent les PME ! La désindustrialisation de la France n’est pas due qu’à une compétitivité en berne
Les causes de la désindustralisation de la France sont incomprises. Aussi, sa réindustralisation ne passera pas uniquement par un choc de compétitivité mais par le démantèlement des grands groupes industriels en de nombreuses PME cherchant des marchés de niche.
C’est ce qui a fait jusqu’à ce jour le succès de l’Allemagne et de l’Italie où pourtant les coûts sont similaires.
Depuis le commencement de la crise
financière en octobre 2007 se succèdent plans sociaux médiatiques, plans de
relance de l’économie européenne et programmes visant à améliorer la
compétitive de la France en particulier. Économie de services, notamment axés
autour du tourisme, la France, dit-on se désindustrialise quand nos voisins
européens au premier rang desquels l’Allemagne semblent renforcer leur
positionnement dans le secteur secondaire. Élus et représentants du patronat
estiment que ceci est dû à un retard de compétitivité français que d’aucuns
attribuent aux 35 heures ou encore à la dette publique et à la pression fiscale
que cela implique. Et si le problème était ailleurs ? Il semblerait que la
France n’ait pas intégré les mutations de l’industrie et reste attachée à un
modèle tombé en désuétude.
Déjà en 2002, Jean-Marie Messier prévoyait
la désindustrialisation de l’Europe en général et voyait en France le phénomène
se réaliser plus tôt. Selon lui, le vingt-et-unième siècle serait celui de la
fin du salariat et de la grande entreprise.
Cette dernière, véritablement née après
guerre, avait pour vocation première de reconstruire l’Europe. Puis, avec
l’avènement des Trente glorieuses, les économies ont connu un rythme de
développement très soutenu : les ménages s’équipaient en automobiles, électroménager
en même temps qu’ils découvraient le consumérisme. Afin de faire face à une
demande sans cesse croissante, il convenait de réaliser des économies
d’échelle en se constituant en grands groupes industriels. Travail,
capital physique et financier pouvaient ainsi être optimisés pour produire
plus. Aussi, en France, de grandes entreprises, soutenues par les pouvoirs
publics, ont-ils pu se développer. En 1970, à eux seuls, ces groupes
employaient près de 75 % de la main d’œuvre.
Aujourd’hui, la contrainte est tout autre
et fait émerger un nouveau paradigme industriel. Les marchés étant saturés, la
demande porte non plus sur des biens standardisés et homogènes mais des biens
personnalisés. Il n’est alors plus envisageable de produire sur les chaînes de
montage d’antan et d’optimiser son modèle industriel par une grande taille.
Dorénavant, il est attendu de l’entreprise qu’elle soit réactive et s’inscrive
sur des marchés de niche pour exister.
On comprendra aisément que sur des marchés
de niche il n’y ait pas de place pour de grands groupes industriels mais de
petites et moyennes entreprises. C’est ce que nos voisins européens ont
compris : l’Allemagne dispose d’un mittelstand conséquent tandis que
l’Italie compte plusieurs millions de PME opérant sur des marchés de niche.
En revanche, la France reste en marge de
ce mouvement en comptant, certes de nombreuses de PME, mais souvent
sous-traitantes de grands groupes. C’est ainsi qu’en Auvergne la plupart des
PME créées se développent dans l’écosystème Michelin et n’a autrement aucune
raison d’être, seulement d’alimenter le fabricant de pneumatiques. Lorsqu’une
grande entreprise traverse des difficultés, mécaniquement, toute l’économie
s’en trouve affectée.
Alors que le fait n’est pas nouveau,
patronat, pouvoirs publics, syndicats et citoyens continuent de promouvoir le
modèle de la grande entreprise. On peut voir deux idéologies derrière ce
phénomène.
La première est d’ordre politique et
traduit le jacobinisme qui caractérise depuis plus de deux siècles
l’organisation de la France : la grande entreprise, en créant un
écosystème autour d’elle, sécurise parce qu’elle centralise les structures
économiques. Compte tenu des relations étroites qu’ont toujours entretenues les
groupes industriels et les pouvoirs publics, on peut même déceler l’idée que l’État
conserve la main sur l’économie grâce à la grande entreprise.
La deuxième idéologie se veut pragmatique
et consiste à croire qu’une grande taille est un gage d’efficacité économique
et de sécurité. On y voit toujours l’idée que des économies d’échelle sont à
réaliser et que la chaîne de valeur doit sans cesse être optimisée. Mais
surtout, de manière implicite il est suggéré que la grande entreprise ne peut
faillir : too big to fail. C’est pourtant ce qu’on disait d’AIG ou encore
de Lehman Brothers lorsqu’ils ont fait faillite en 2008 !
L’industrie du vingt-et-unième siècle
repose sur un paradigme économique que les structures profondes de la France n’ont
pas intégrées : à la grande entreprise visant l’intégralité d’un marché se
substitue une kyrielle de PME opérant sur des niches. C’est parce qu’elles se
situent sur de tels marchés que ces entreprises peuvent être compétitives. Sur
un tel marché, le prix et donc le coût compte beaucoup moins que les
caractéristiques du produit et sa capacité à évoluer. Aussi, convient-il de
disposer de structures d’intelligence économique, d’innovation et de réactivité
par un tissu très resserré de PME.
La France se désindustrialise, non parce
qu’elle n’est plus compétitive, mais parce que son organisation industrielle
n’est plus en phase avec les structures du capitalisme du vingt-et-unième
siècle. La réindustralisation de la France ne passera pas uniquement par un
choc de compétitivité mais par le démantèlement des grands groupes industriels
en de nombreuses PME cherchant des marchés de niche. C’est ce qui a fait jusqu’à
ce jour le succès de l’Allemagne et de l’Italie où pourtant les coûts sont
similaires à ceux supportés en France.