L’Etat américain et les crises financières de 1929 à 2008 : un grand retour vers le futur

Tout au long du XX° siècle, l’Etat américain a eu des attitudes très différentes face aux nombreuses tempêtes financières qu’il a connu depuis 1929.

On peut résumer son attitude par l’image d’une vague de volonté politique dans les années 1930 qui apporte une vraie régulation du secteur financier américain, suivi d’une dérégulation lente mais massive, qui précède, et favorise, la crise des subprimes en 2007, celle-ci rappelant par sa puissance et certains de ses mécanismes la crise de 1929.
D’ailleurs, après 2007 la vague de régulation semble être revenue, la volonté affichée des autorités américaines ayant été celle de réguler le secteur financier pour éviter de vivre à nouveau une telle crise.

En effet, après la crise financière de 1929, l’administration Roosevelt réagit brutalement en mettant en place le Glass Steagal Act en 1933. Cette loi permet de séparer strictement les banques commerciales et les banques d’investissement, tandis que la « réglementation Q » impose un plafonnement des rémunérations des comptes, et limite donc l’intérêt pour un acteur économique d’augmenter ses prises de risque pour obtenir toujours plus de gains. Cet arsenal juridique est ensuite complété par de nouvelles lois dans le sens d’une plus grande transparence sur les marchés (avec le Securities Act de 1933), la mise en place de ratios de solvabilité pour contrôler la fiabilité des acteurs financiers (grâce à l’Investment Company Act de 1940), ou encore la création d’un « Gendarme de la bourse », la Securities and Exchange Commission (SEC) (créée avec le Securities Exchange Act de 1934).
Mais après-guerre, l’Etat américain s’est désengagé et a progressivement fait le choix de la dérégulation du monde financier.
En effet, les premières crises financières modernes, celles du crédit en 1966, 1970 et 1974, ont été résolues par la Réserve fédérale qui accepte d’abandonner ses politiques monétaires restrictives pour répondre à la demande de crédit de l’économie réelle. Elle devient alors l’actrice privilégiée des résolutions des crises financières suivantes comme la crise  inflationniste de 1980-1982 ou le krach américain de 1987. Dans le même temps, l’Etat détricote l’œuvre de Roosevelt, notamment en abolissant la réglementation Q en 1986 et le Glass Steagal Act en 1999, ce qui autorise à nouveau la fusion des banques de détail et de celles d’investissement. Le Financial Services Modernization Act de 1999 met quant à lui fin aux segmentations géographique et industrielle du marché.

C’est pourquoi à la fin des années 1990, on peut dire que le lobby bancaire a réussi à imposer une dérégulation presque totale, ce qui a fait du secteur financier un secteur instable, fragile et opaque, comme avant 1929. D’ailleurs au début de la crise des subprimes à l’été 2007, George W. Bush et son administration ne prennent pas la mesure de la gravité de la situation. Ils se contentent d’abord de mobiliser la Federal Housing Administration (survivance de la législation Roosevelt, créée en 1934) pour tenter de venir en aide aux ménages surendettés. De son côté, courant 2008, la Réserve fédérale américaine ne sauve pas la banque Lehman Brother conformément à la volonté du gouvernement américain. Ce n’est que dans l’œil du cyclone que l’Etat américain se réengage vraiment et met en place, en septembre 2008, le plan Paulson, appuyé sur l’Emergency Economic Stabilization Act of 2008, qui lui permet de prendre des parts dans les institutions financières les plus fragiles pour une valeur totale maximale de 700 milliards de dollars tandis que la Réserve fédérale injecte une masse de dollars nouveaux, de manière continue, dans l’économie réelle.

Ensuite, depuis 2010, l’Etat américain semble mimer un retour à la réglementation du secteur financier à la manière de Roosevelt. Mais l’efficacité de son action reste très limitée. L’élément phare de cette nouvelle vague de régulation est la loi Dodd-Frank (Dodd-FrankWall Street Reform and Consumer Protection Act) de juillet 2010. Elle prévoit une série de mesures sensées permettre d’accroitre le contrôle des autorités américaines sur le système financier. Mais la mise en place de ces mesures reste hésitante.

Ainsi, en juillet 2011, si la naissance d’un bureau de protection des consommateurs de produits financiers (le « Consumer Financial Protection Bureau ») est une réussite, elle ne parvient pas à effacer le demi-échec d’un retour à une séparation des activités de dépôt et d'investissement qui ne se fera finalement pas. Cette dernière idée a en effet été remplacée par l'amendement Merkley-Levin qui instaure simplement un plafond d'activités d’investissement pour les banques de dépôt.
En revanche, l’idée d’en terminer avec le « too big to fail » en ramenant les banques à des tailles humaines, évitant un trop gros danger pour le secteur en cas de faillite d’une de ces banques, a été abandonnée au profit de l’agence fédérale FDIC (pour Federal Deposit Insurance Corporation) qui, en plus de garantir les dépôts bancaires américains à hauteur de 250 000 dollars, se voit chargée d’organiser le démantèlement de tout établissement bancaire en faillite afin d’éviter, en théorie, les mouvements de panique sur les marchés et les faillites de banque en cascade.

Cette régulation sera-t-elle efficace ?

Et surtout, sera-t-elle maintenue à l’avenir ? Rien n’est moins sûr. Les dirigeants américains d’après-guerre semblent ne rien avoir appris de la crise de 1929 et des méfaits de la dérégulation financière, mais au moins partaient-ils d’une situation où le monde financier avait été solidement corseté par la législation Roosevelt.
Il est difficile à croire que les timides mesures qui sont effectivement mises en place depuis 2008 et la mauvaise volonté des autorités américaines tiendront si le système financier américain, ou mondial, entre dans un nouvel ouragan dans les prochaines années.

Pascal de Lima et Gwenaël Le Sausse