Franck Guiader (AMF) Fintech : l'AMF n'adoptera pas la régulation britannique du "bac à sable"

Le directeur de la division Fintech, innovation et compétitivité, fraîchement créée à l'AMF, décrit sa stratégie visant à booster la compétitivité du secteur en France.

Franck Guiader © AMF

JDN. L'AMF a annoncé la création d'une division Fintech, innovation et compétitivité (FIC). De quels moyens est-elle dotée et quel est son rôle ?

Franck Guiader. Quatre personnes travailleront à terme à temps plein pour la division FIC, en lien avec la filière fintech de l'AMF que je pilote et qui, elle, compte déjà 25 personnes, des experts qui peuvent être consultés sur des sujets ad-hoc (sur la cyber-sécurité, les robo-advosors, le big data, la blockchain…). Notre rôle est de travailler avec les acteurs du secteur pour identifier les sujets importants, les prioriser puis, si besoin, les porter au niveau européen. La division fintech de l'AMF se penchera sur les sujets " marchés et titres " tandis que son pendant à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) réfléchira aux sujets bancaires et assurantiels.

Votre but est de créer un cadre propice à l'innovation et au développement des entreprises du secteur. Concrètement, comment allez-vous les accompagner ?

Nous étudions l'impact de l'innovation sur les acteurs traditionnels que l'on régule depuis longtemps et qui sont en pleine transition numérique, type sociétés de gestion, banques, assurances… ainsi que les changements induits par les start-up qui développent de nouveaux services. Nous voulons accompagner ces deux types d'acteurs. Lorsque les innovations ne s'insèrent pas dans la régulation actuelle, comme la blockchain, nous construisons des groupes de travail avec tous les acteurs pour influencer l'évolution réglementaire au niveau européen et international. Et quand des directives européennes rendront obsolètes certaines spécificités réglementaires françaises qui avaient été mises en place pour combler des manques, nous pourrons envisager de  le déverrouiller.

Deux à trois fois par an, le forum fintech qui réunit de nombreux acteurs du secteur nous permettra d'identifier les sujets à travailler. Enfin, au troisième trimestre, nous allons lancer un portail d'aiguillage pour aider les porteurs de projet à savoir à quel régulateur s'adresser et répondre à leurs questions.

La division est censée "'identifier les sujets de compétitivité et d'innovation importants et nécessitant un positionnement du régulateur, en France comme à l'international." Avez-vous déjà dégagé un certain nombre de sujets ?

Nous allons devoir travailler sur les robo-advisors  pour voir comment la notion de conseil doit évoluer : aujourd'hui, ils s'insèrent dans la réglementation existante mais la perception par l'internaute du conseil sur Internet ou dans une agence n'est pas la même. A terme, les exigences du régulateur sur l'algorithme et la documentation en ligne pourraient être différentes de celles des réseaux physiques.

"L'AMF est très favorable à l'utilisation de la blockchain pour plus de transparence"

L'ACPR et nous regardons aussi de près le sujet blockchain pour évaluer les risques et opportunités : on reçoit les porteurs de projet qui veulent savoir si leur technologie est conforme aux règles de protection du client, de transparence… On réfléchit aussi souvent avec eux à un nœud auquel on pourrait accéder pour auditer. On est très favorable à plus de transparence et de traçabilité sur les opérations grâce à la blockchain mais on étudie les risques techniques associés.

Un autre sujet phare est celui du big data : on se positionne dans les grands groupes de réflexion internationaux et européens pour assurer, notamment, la protection des données personnelles des internautes.

Plusieurs entrepreneurs du secteur réclament que la France suive l'exemple britannique en adoptant le principe du "sandbox" qui permet aux sociétés innovantes de bénéficier d'une réglementation spécifique. L'AMF y est-elle favorable ?

Il n'y a pas de raison d'avoir une réglementation à deux vitesses et d'opposer acteurs traditionnels et start-up. L'approche anglo-saxonne revient à alléger la réglementation pour certaines sociétés, au cas par cas, selon une sélection faite par le régulateur. En France, nous préférons appliquer le principe de proportionnalité, selon lequel la régulation dépend de la taille et de la nature des activités de la société, et donc les risques encourus. Toutes les sociétés de la même taille et de même nature d'activité bénéficient ainsi des mêmes règles.

"Nous offrons un accompagnement réglementaire aux start-up"

Pour aider les start-up, l'AMF choisit plutôt de leur offrir un accompagnement réglementaire car elles ont peu d'expérience et de moyens. Nous leur expliquons au mieux les statuts juridiques existants et les aidons à aller progressivement vers la régulation. Parfois les entrepreneurs pensent qu'ils ont besoin de statuts contraignants alors que d'autres plus simples peuvent leur convenir. On aide aussi les start-up à développer leur activité à l'international, pour décrocher un passeport européen par exemple.

L'un des problèmes souvent évoqué par les entrepreneurs est la longueur d'obtention de l'agrément, qui pénalise une société innovante, censée être agile et rapide…

Les délais ne sont souvent pas si longs : par exemple, pour agréer un robo advisor, cela peut prendre deux ou trois mois seulement, pour un fonds d'investissement quelques semaines… Cela dépend évidemment de la nature du projet et du soin apporté à la préparation du dossier d'agrément.

"Ce qui bloque l'octroi d'agrément, ce sont les dossiers mal préparés"

Pour l'agrément bancaire, par contre, il suffit souvent de quelques mois au Royaume-Uni contre plutôt un an et demi en France…

Je pense que la principale difficulté jusqu'à présent était qu'il n'y avait pas assez d'investisseurs en France sur ce secteur. Ce qui bloque l'octroi d'agrément, c'est bien souvent un dossier mal préparé avec des pièces manquantes. Au Royaume-Uni, les fintech étaient jusqu'alors très bien financées, soutenues par des avocats et experts pour monter rapidement de très bons dossiers. C'est pour ça qu'ils obtiennent rapidement l'agrément. Mais c'est en train de changer car de plus en plus de VC sont prêts à financer les fintech françaises. Des fonds d'investissement français spécialisés dans le secteur fintech sont en train de se développer très nettement et vont aider à rattraper le retard sur ce sujet.

Le Brexit pourrait être une opportunité pour asseoir Paris en tant que capitale européenne de la finance. Comment l'AMF peut-elle y contribuer ?

Nous travaillons pour que Paris devienne un pôle financier attractif pour les entreprises étrangères et propice à l'internationalisation des entreprises françaises. C'est par exemple le but du groupe FROG (French Routes & Opportunities Garden) créé en février, qui prend des mesures concrètes pour développer l'attractivité de la place de Paris pour les sociétés de gestion. Le groupe de travail a notamment déjà déverrouillé plusieurs spécificités françaises en termes de régulation qui n'étaient plus utiles. Et d'ici la fin de l'année, l'AMF annoncera d'autres évolutions concrètes pour déverrouiller certains points, en apportant des éclairages sur la proportionnalité  ainsi que des adaptations de notre régulation.

Franck Guiader démarre sa carrière en 2001 au sein de la banque Lazard où il participe à des mandats de restructuration et de conseil aux gouvernements. Il rejoint ensuite BNP Paribas où il se voit confier le développement des produits d'investissement et de mandats de gestion d'un portefeuille de clients institutionnels, puis le groupe Euronext. En décembre 2011, il rejoint la Direction de la régulation et des affaires internationales de l'AMF au sein de la division "Régulation de la gestion d'actifs", dont il devient directeur en février 2015. Franck Guiader est diplômé du Magistère Banque Finance et d'un Master II de Techniques financières de l'Université Panthéon Assas. Il est aussi diplômé de Neoma Business School et enseigne la réglementation financière européenne à l'Université Panthéon Sorbonne et à l'Institut de Haute Finance.