Les virements instantanés imposés par l'UE vont-ils tuer la carte bancaire ?

Les virements instantanés imposés par l'UE vont-ils tuer la carte bancaire ? D'ici novembre 2017, les acteurs du paiement devront permettre aux particuliers de transférer des fonds en quelques secondes contre plusieurs jours aujourd'hui. De quoi marquer l'avènement du m-paiement.

En imposant l'instantanéité des virements bancaires, qui nécessitent aujourd'hui des délais de plusieurs jours, l'Union européenne pourrait complètement bouleverser les usages de paiement, favorisant le mobile au détriment de la carte bancaire. Un changement de paradigme qui remettrait en question, notamment, les sources de monétisation des banques et l'existence même d'acteurs comme Visa et Mastercard.

Rembobinons. Fin 2015, le Conseil européen des paiements fixe une feuille de route aux acteurs du paiement en vue de la mise en place d'un "système de paiements instantanés paneuropéen" dans le prolongement du SEPA, baptisée Instant Payments. Objectif : permettre aux européens d'effectuer des virements bancaires en 10 à 20 secondes, au lieu de plusieurs jours. L'Union européenne surnomme ce nouveau système "cashless cash", car il permettra d'obtenir l'instantanéité d'un échange en monnaie physique en passant par un virement. Le système dont les contours sont encore vagues sera affiné d'ici novembre 2016 (une concertation entre les acteurs impliqués est en cours) puis mis en œuvre au plus tard en novembre 2017.

"Les banques vont devoir refondre leurs interfaces et les prestataires de paiement réécrire une partie de leurs systèmes" 

"Les systèmes de compensation de chaque pays ainsi que les banques et les prestataires de paiement vont devoir s'adapter", commente Julien Maldonato, directeur industrie financière chez Deloitte. Les plus touchés par la réforme, les systèmes de compensation, ont tous répondu à l'appel d'offres de l'UE pour jouer un rôle clé dans la définition du standard qui sera mis en œuvre." En France, c'est le système Stet.core, qui gère 16 milliards d'opérations interbancaires et 5 000 milliards d'euros par an, qui essaie de peser dans les négociations.

Le chantier coûtera cher à tous les acteurs de la chaîne du paiement : "les banques vont devoir refondre leurs interfaces et les prestataires de paiement réécrire une partie de leurs systèmes, ajoute Julien Maldonato. Le calendrier est tendu et sera difficile à mettre en œuvre d'ici 2017 au vu des réalités très complexes." Nicolas Chatillon,  directeur du développement fonctions transverses du Groupe BPCE, reconnaît que "ce sera un changement majeur pour tous les organismes impliqués dans la banque de flux, qui vont devoir reconfigurer leurs systèmes" mais assure voir Instant Payments comme "une opportunité de lancer de nouvelles innovations".

Les virements instantanés pourront être une option bancaire

C'est que chaque banque pourra modeler la manière dont elle proposera les virements instantanés. La feuille de route générale de l'Union européenne ne précise pas qu'ils devront être obligatoirement offerts à tous les clients. Pour l'instant, "une souplesse est laissée aux banques sur le caractère obligatoire ou non de l'offre", décrypte Julien Maldonato. Chez BPCE, on explique par exemple que "les virements instantanés pourraient être dans un premier temps proposés sous la forme d'un produit supplémentaire pour les consommateurs qui en ont besoin".

Toujours est-il que le virement instantané semble devoir devenir la norme. Au niveau mondial, le réseau interbancaire Swift travaille dans le même sens et a lancé sa Global Payment Innovation Initiative (GPII) qui réunit 45 établissements bancaires pour travailler sur un nouveau standard du paiement et des transactions plus rapides. Preuve que le mouvement est en marche.

Sous pression, les banques acceptent d'évoluer

Et ce n'est pas pour déplaire aux banques, qui constatent une éclosion phénoménale de nouvelles solutions concurrentes de paiements alternatifs et plus rapides et reconnaissent la nécessité d'évoluer. La pression de néo-banques comme l'allemande Number26 qui affichent l'instantanéité de l'affichage des virements comme argument phare (même si l'argent n'arrive vraiment sur le compte que quelques jours plus tard) et de start-up qui utilisent la blockchain pour accélérer l'exécution des paiements, comme Ripple, se fait de plus en plus forte.

Offrir le virement instantané permettra aux banques de se mettre à niveau. "C'est bien sûr une bonne nouvelle pour le client qui pourra disposer immédiatement de l'argent qu'on lui vire sur son compte bancaire", se félicite Nicolas Chatillon, de BPCE. Tandis que pour les start-up plus agiles que les acteurs bancaires, "Instant Payments pourrait aussi être une opportunité de tenir les délais difficile à respecter pour les banques et se différencier", note Julien Maldonato, de Deloitte.

Une fois mis en place, le système de transferts de fonds instantanés pourrait surtout complètement bouleverser les usages des consommateurs. Le virement instantané va créer un nouveau moyen de payer sans délai, alors que jusqu'ici seule la carte bancaire le permettait.  Avec Instant Payments, il sera possible de payer chez un commerçant en m-paiement ou en peer-to-peer, non pas en passant par la carte bancaire (comme le fait par exemple Apple Pay) mais en se branchant directement à son compte bancaire.

"Le virement instantané est une énorme menace pour les transactions carte, observe Lionel Vincke, directeur du cabinet de conseil spécialisé en moyens de paiement Azzana Consulting. Il fait du m-paiement et du paiement P2P des alternatives sérieuses… Et plus sexy. Certes, les consommateurs sont encore réticents au paiement mobile, en France notamment, mais l'adoption viendra." Se pose donc la question, pour les banques, de la perte de revenus issue des transactions carte, qu'il faudra compenser en devenant des acteurs sérieux du m-paiement. Et se pose aussi celle de l'avenir des acteurs de cartes bancaires comme Visa et Mastercard, si ce moyen de paiement est voué à perdre en puissance face au virement direct…