La blockchain au pays des Helvètes

La blockchain au pays des Helvètes "Crypto Valley", paiements en bitcoin, législation pro-blockchain… En quelques mois, la Suisse s'est fait un nom dans le secteur. Tour d'horizon des initiatives.

L'Estonie lui volerait presque la vedette. Entre son système administratif décentralisé et son ambition de lancer une crypto-monnaie nationale, le pays balte s'est imposé comme la référence de la blockchain en Europe. Mais un autre état multiplie les initiatives dans la blockchain : la Suisse. La technologie derrière le bitcoin a plusieurs points communs avec ce petit pays aux 8 millions d'habitants. Le plus significatif est la décentralisation. Chacun des 26 cantons suisses dispose de sa propre constitution et de son propre parlement. Ils sont responsables de plusieurs domaines comme l'éducation, la police, les hôpitaux ou encore la fiscalité. Les cantons prélèvent certains impôts et non la Confédération (l'équivalent de l'Etat français).

"Notre système politique ressemble beaucoup à la blockchain puisque le pouvoir est décentralisé"

"C'est un système qui ressemble beaucoup à la blockchain puisque le pouvoir est décentralisé", souligne Anthony Lesoismier, cofondateur de SwissBorg, une start-up suisse qui développe une banque privée basée sur la blockchain. "Un citoyen suisse accepte plus volontiers qu'un technicien (un politique, ndlr) n'ait pas la main sur une décision, ce que nous n'arrivons pas trop à faire en France", concède Antoine Yeretzian, cofondateur de Blockchain Partner (ex-Blockchain France).

La Suisse a choisi de s'intéresser particulièrement aux crypto-monnaies, le cas d'usage le plus répandude la blockchain. La ville de Zoug en a fait son cheval de bataille. Située au sud de Zurich, cette commune accepte le bitcoin comme moyen de paiement pour ses services publics. Pour le moment, le montant des transactions ne peut pas excéder les 200 francs suisses (174 euros). Décentralisation oblige, le conseil municipal a pris cette initiative sans en demander l'autorisation à la capitale suisse. Si le test est un succès, la ville pourrait augmenter les montants acceptés et élargir le champ de l'expérience en 2018. 

Le paradis de la " Crypto Valley "

La petite ville de Zoug (et le canton en général) est aussi connue pour sa fiscalité attractive. Elle compte 29 000 habitants et… 30 000 entreprises ! "On trouve beaucoup de holdings de grandes sociétés. Plusieurs sociétés américaines qui cherchaient un pied-à-terre en Europe s'y sont installées", précise Antoine Yeretzian. Le canton espère attirer la prochaine génération de la finance dont font partie les start-up de la blockchain. Début 2014, Johann Gevers, un Sud-africain à la tête d'une plateforme de transactions de monnaie virtuelle, a inventé le terme de "Crypto Valley", clin d'œil évident à la Silicon Valley. Une association du même nom a été créée en 2017 et compte à ce jour plus de 220 membres (entreprises et particuliers).

La fondation Ethereum, a même posé ses bagages dans le canton de Zoug. "Lorsque j'ai entendu qu'Ethereum était en quête d'un emplacement idéal, je les ai invités à Zoug et les ai persuadés des avantages de s'implanter ici", a raconté Johann Gevers au journal Le Temps. Cette effervescence passe par un plan de communication offensif. "Il y a beaucoup de marketing et de branding autour de la "Crypto Valley". Il est clair que ce canton veut se faire un nom sur le sujet", tempère Antoine Yeretzian. 

La ville de Zoug accepte le bitcoin comme moyen de paiement pour ses services publics

Zoug n'a pas le monopole de la blockchain en Suisse. Le registre du commerce genevois teste actuellement la blockchain Ethereum. Jusqu'à présent, cette administration ne délivrait que des extraits commerciaux sous forme papier, envoyés par courrier ou à retirer en guichet. Si le pilote est un succès, les citoyens genevois pourront commander en ligne un extrait numérique et un extrait traditionnel en papier. Les documents délivrés pourront aussi être vérifiés en ligne via un service de validation. Le canton de Genève participe à un autre projet blockchain en collaboration avec l'association digitalswitzerland qui vise à "faciliter la création d'entreprises et de dynamiser le tissu économique Suisse", lit-on dans un communiqué de l'administration genevoise. Un projet qui rappelle le programme d'e-residency d'Estonie, qui permet à des étrangers d'obtenir une identité numérique qui leur permet d'accéder notamment à des services de création d'entreprise.

Un régulateur pragmatique

Le bon développement de ces projets est facilité par le législateur suisse. "D'un point de vue régulation, la Suisse prône le principe de neutralité. Elle n'est pas dans une démarche d'interdire les choses. La Finma (l'équivalent de l'ACPR en France, ndlr) est assez pragmatique sur le sujet. Elle sait que la blockchain est une vague qu'il ne faut pas louper", explique Cyrus Fazel, CEO de Swissborg. "Elle s'est penchée assez tôt sur ces problématiques, en particulier sur les crypto-monnaies", reconnait Antoine Yeretzian. Le gendarme financier suisse n'hésite pourtant pas à faire des rappels à l'ordre, notamment sur les dérives des ICO, ces levées de fonds en crypto-monnaies. La plupart de ces opérations sont réalisées dans le canton de Zoug (via des fondations) pour des raisons fiscales. 

Dans un récent communiqué, la Finma a mis en garde les entreprises ou personnes souhaitant procéder à une ICO : "leur devoir est de s'assurer qu'elles respectent les obligations découlant des lois qui s'appliquent à leur cas". Elle explique qu'en fonction des caractéristiques des ICO, le droit de la surveillance peut s'appliquer sur certains points. Comme par exemple dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. "Si la création de jetons par l'organisateur de l'ICO correspond à une émission de moyens de paiement, alors la loi sur le blanchiment d'argent s'applique", précise l'organisme. Le petit paradis de la "Crypto-Valley" risque d'être bousculé.