Joseph Lubin (Ethereum) "Nous ouvrons officiellement notre bureau en France"

Le cofondateur du protocole blockchain nous en dit plus sur ConsenSys, son start-up studio spécialiste de la création d'applications décentralisées sur Ethereum, créé en 2014.

JDN. Pourquoi avez-vous décidé d'ouvrir un bureau en France ?

Joseph Lubin, CEO de ConsenSys et cofondateur d'Ethereum. © Joseph Lubin

Joseph Lubin. Il est déjà ouvert depuis quelques mois mais nous le lançons officiellement maintenant. Nous avons choisi la France car il y a ici beaucoup d'enthousiasme autour de la blockchain et de la fintech en général. On sent un vrai désir d'accélérer sur ces sujets et d'explorer tous les bénéfices de cette technologie. Il y aussi de très bons ingénieurs en France. Enfin, ConsenSys compte déjà trois spokes (projets, ndlr) dont une partie des ingénieurs sont à Paris. Un projet est même basé ici. Il s'agit de VariabL, une plateforme de trading de produits dérivés sur Ethereum, qui est partiellement disponible pour le moment. A terme, VariabL proposera des tokens stables, c'est-à-dire des actifs qui auront un cours stable par rapport à n'importe quelle monnaie. Les deux autres projets sont PegaSys, qui est en fait notre groupe interne d'ingénierie de protocole, et Linnia, un projet qui permet de gérer les données longitudinales de santé d'une personne via un système de gestion d'identité qui s'appelle uPort. Celui-ci permet d'encrypter toutes les données auxquelles on est attaché et de les divulguer de façon sélective dans les situations qu'on souhaite. Cette technologie pourra ensuite être appliquée à d'autres industries comme l'automobile.

Combien de personnes travaillent chez ConsenSys France ?

L'équipe est pour l'instant composée de 20 personnes, avec une majorité d'ingénieurs, mais nous espérons passer à 40 aussi vite que possible. Nous sommes très impatients de recruter de nouveaux talents, que ce soit des ingénieurs, des cryptographes, des computer scientists mais aussi des entrepreneurs qui peuvent driver des projets. Nous avons fait venir une personne de notre bureau de Singapour pour driver l'équipe et recruter ces talents.

Quels sont vos objectifs pour ConsenSys France ?

Les équipes françaises vont construire une communauté, développer des partenariats et créer de nouveaux produits. En fait, ce sont les mêmes objectifs que les autres bureaux de ConsenSys dans le monde (ConsenSyS est aussi présent à Bucarest, Londres, Dubaï, New York, San Francisco et Toronto, ndlr). Pour résumer, nous cherchons à construire de meilleurs systèmes économiques et politiques, en particulier grâce à Ethereum. Ce protocole permet notamment de réaliser des transactions de confiance, effectuer des accords automatisés, faire du stockage décentralisé... A terme, nous souhaitons créer un web décentralisé où il y aura un protocole qui offrira des services à des consommateurs de la même façon que les entreprises le font aujourd'hui. Avec à la clé moins de monétisation de la part des intermédiaires.

Comment comptez-vous y parvenir ?

Notre start-up studio va nous permettre de construire tout un écosystème composé de projets qui seront interopérables. Ensuite, nous comptons multiplier nos missions de consulting auprès des entreprises et des organisations gouvernementales pour les aider à construire et déployer des solutions de blockchain publiques ou privées. En France, nous sommes engagés avec des agences du gouvernement. Nous avons également contribué à la consultation de l'AMF sur la régulation des ICO (initial coin offering, levée de fonds en crypto-monnaies, ndlr). 

"Nous souhaitons que l'équipe passe de 20 à 40 personnes aussi vite que possible"

Nous faisons aussi du consulting pour les grandes entreprises. Parfois, nous leur fournissons des technologies mais nous préférons co-construire avec elles de nouvelles plateformes, de nouveaux outils et produits. Nous avons de belles références dans l'industrie énergétique, précisément dans le gaz et électricité, dans la banque et l'assurance et la supply chain. Nous avons d'ailleurs travaillé avec des grands groupes en France mais nous ne pouvons pas encore dire lesquels.

Avez-vous d'autres sources de revenus que le consulting ?

Nous faisons des audits de sécurité pour des projets et nous aidons certains à réaliser leur lancement de token. Nous avons également monté la ConsenSys Academy dans laquelle nous proposons des formations pour les entreprises et les développeurs freelances. Nous commercialisons aussi des logiciels. Notre suite d'outils de développeurs Truffle a été téléchargée plus 272 000 fois. Cela devient un gros business pour nous. Nous commercialisons aussi Infura, une plateforme qui fournit un accès sécurisé, fiable et scalable à Ethereum. Il faut savoir qu'aujourd'hui Ethereum enregistre 150 millions de transactions et 4,5 milliards de requêtes par jour, c'est considérable.

Vous avez monté un fonds de 50 millions de dollars. Dans quels types de projets investissez-vous ?

Au début, nous investissions seulement dans des projets internes pour les rendre plus matures et référents dans le milieu. Depuis un an, le monde de la blockchain a explosé. Nous investissons donc dans des projets qui n'ont pas vocation à rentrer dans ConsenSys, même s'ils sont focalisés sur Ethereum, et dans des projets qui ne sont pas sur Ethereum mais sur une technologie complémentaire qu'on veut utiliser ou soutenir.

Dans combien de projets avez-vous déjà investi ?

Pour l'instant, cinq et d'ici une semaine, nous en aurons huit. Le montant de l'investissement dépend du projet. Nous n'avons pas encore investi dans des projets français mais nous aimerions.

Pourquoi Ethereum est-il une bonne plateforme pour développer une application ?

Ethereum est le système blockchain le plus décentralisé, donc le plus fiable, et le plus programmable. C'est aussi le plus scalable en termes d'efforts humains. Avant Ethereum, vous aviez besoin des "prêtres" du protocole pour construire un nouveau cas d'usage. Ethereum sépare la couche de protocole de la couche applicative donc vous n'avez plus besoin d'eux pour construire les différentes applications.

"Je pense que la Chine a fait un bon choix en suspendant les ICO"

Nous avons permis à des millions de développeurs de travailler au niveau applicatif et d'utiliser des outils très similaires à des applications web ou mobiles. Il existe aussi une deuxième raison qui pousse les projets à se construire sur Ethereum : le lancement de token. Ce mécanisme de financement se fait presque exclusivement sur Ethereum.

Les ICO ont fait beaucoup parler d'elles en 2017 car elles permettent de lever des montants importants en très peu de temps. Ces derniers mois, le taux de succès de ces ICO ne cesse de baisser. Comment l'expliquez-vous ?

Environ 99% des start-up qui se lancent échouent. Il se passe la même chose pour n'importe quelle nouvelle technologie. La beauté du mécanisme d'ICO est que cela démocratise la formation de capital et la capacité des gens à acheter des tokens. Cela permet à une petite équipe d'entrepreneurs de commencer un projet. Cela va être un énorme moteur de croissance des économies mondiales. Il y a des bons projets mais aussi des mauvais projets et même des cas frauduleux. ConsenSys et d'autres personnes dans l'écosystème blockchain essaient de nettoyer tout ça. La faible barrière à l'entrée qui consiste à mettre en ligne une page web, indiquer une adresse pour recevoir des tokens est problématique. Je pense que la Chine a fait un bon choix en suspendant les ICO parce qu'il y avait trop de pages web copiées et de projets frauduleux. Nous travaillons actuellement sur un projet qui sera une sorte de grande base de données sécurisée où toutes les données importantes de chaque ICO devront être divulguées. Nous travaillons également sur un autre projet avec des analystes qui évaluent ces opérations de financement. Je pense que tout cela réunit nous permettra de construire une industrie de l'investissement plus juste, de meilleure qualité et plus démocratisée.