Les capteurs de santé, le nouvel eldorado IoT des industriels

Les capteurs de santé, le nouvel eldorado IoT des industriels Intel et Qualcomm, pour ne citer qu'eux, voient dans les wearable tech le même potentiel que les smartphones autrefois.

Eviter un AVC en analysant en temps réel la fréquence cardiaque, limiter les conséquences du diabète en collectant fréquemment les données glycémiques… Dans un futur proche, toute une batterie d'appareils enregistreront nos données de santé grâce à des capteurs corporels, fixés sur des wearable grand public ou sur des équipements professionnels plus précis. La multiplication de ces objets connectés médicaux transformera (un peu) le métier des médecins, qui préviendront autant que possible les maladies au lieu de les guérir.

Qualcomm et Intel réalisent des investissements R&D dans les capteurs corporels

De nombreuses entreprises essayent actuellement de se positionner pour engloutir la plus grosse part possible de cet éléphantesque marché à venir. Selon un rapport de CB Insights, Intel et Qualcomm ont respectivement ravi la première et la deuxième place du classement des sociétés qui ont le plus investi dans l'IoT en 2015, via leurs filiales de capital-risque Intel Capital et Qualcomm Ventures.

Les deux groupes ont principalement misé sur des entreprises développant des capteurs corporels, analyse le document. Intel a pris des parts dans le spécialiste des trackeurs d'activité, Fitbit. Qualcomm Ventures a placé ses espoirs dans Sano Intelligence, un développeur de capteurs biométriques. Les deux géants de l'électronique confirment qu'ils réalisent actuellement en interne d'importants investissements en R&D dans les capteurs corporels, sans donner de chiffres plus précis.

237 millions de wearable en 2020

"Il est logique que ces sociétés misent sur l'IoT", avance Richard Phan, spécialiste des wearable et PDG de la société de conseil spécialisée dans l'IoT Inventhys. Historiquement, elles produisent toutes deux des microprocesseurs pour les ordinateurs, les tablettes et/ou les smartphones. Les objets connectés ont eux aussi besoin de ce type d'équipements pour fonctionner. Les fabriquer est un simple prolongement de leur cœur de métier.

En 2015, Qualcomm tirait déjà 10% de ses revenus de l'IoT

"La concurrence se renforce sur leur core business, car des concurrents chinois comme Huawei ou ZTE commencent à avoir une bonne connaissance du marché des smartphones et des tablettes. Intel et Qualcomm cherchent donc de nouveaux relais de croissance, comme les objets connectés", contextualise l'analyste. Une croissance qui ne se conjugue pas seulement au futur : "En 2015, nous tirions déjà 10% de nos revenus de notre activité IoT", affirme Jean Varaldi, directeur senior business développement chez Qualcomm France.

"Nos composants sont actuellement intégrés à 25 wearable différents, qui sont déjà commercialisés ou ont été annoncés", détaille l'opérationnel. Qualcomm est très investi sur ce segment de marché grand public, et pour cause : sa taille est de nature à aiguiser les appétits. En 2015, 78,1 millions de wearable ont été vendus dans le monde, soit deux fois plus qu'en 2014, selon le cabinet IDC. Ce volume devrait passer à 110 millions en 2016 et plus de doubler d'ici 2020. Il s'établira alors autour de 237 millions.

Des puces connectées intégrant un processeur

Intel et Qualcomm ont une stratégie B to B. Leurs clients sont les fabricants de wearable, pas leurs utilisateurs directs. Jean Varaldi cite pêle-mêle Samsung, LG, Sony ou encore le chinois Lenovo. Intel fabrique pour ces professionnels des puces "tout en un". Elles intègrent le microprocesseur et l'élément de connectivité wifi ou encore Bluetooth (fabriqués en interne), ainsi que les capteurs de santé (fabriqués par des partenaires). Sa puce Intel Curie, présentée au CES début 2015, fait la taille d'un bouton de veste et peut être intégrée à de multiples types de wearable.

La petite puce Intel Curie peut être intégrée à des wearable de toute taille. © Intel

Les capteurs intégrés à ces appareils grand public manquent pour l'instant de précision. Ils ne peuvent pas être utilisés dans le domaine médical à proprement parler. "Il suffit que vous parliez en gesticulant pour que votre montre connectée enregistre 2 000 pas supplémentaires sur votre journée", s'amuse le patron d'Inventhys Richard Phan.

Mais Intel veut changer la donne et développer des appareils précis de mesures biométriques grand public à un coût raisonnable. Objectif : permettre à ses potentiels futurs clients, des professionnels de la santé, de faire de la recherche sur de très larges échantillons de personnes à faible coût et de progresser dans le traitement des maladies chroniques.

Comme le rappelle une source interne, la firme de Santa Clara a racheté en mars 2014 Basis Science, spécialiste des bracelets de santé. La jeune pousse de San Francisco, créée en 2010, a développé des capteurs qui permettent de mesurer de façon très fine la fréquence cardiaque de leurs utilisateurs ou encore leurs mouvements. La société mère et sa nouvelle filiale ont travaillé ensemble sur la montre de santé Basis Peak, présentée en septembre 2014.

Les capteurs de la montre Basis Peak sont plus précis que la moyenne. © Intel

A l'automne de la même année, le groupe a annoncé un partenariat avec la fondation Michael J Fox, une association qui fait de la recherche contre la maladie de parkinson, dont souffre l'acteur de Retour vers le futur. Les deux organisations ont équipé des patients de Basis Peak pour enregistrer différentes données de santé (notamment leurs mouvements). Ces informations, collectées sur un grand nombre de malades, permettent aux chercheurs de mieux connaître les phénomènes corporels typiques qui accompagnent la maladie et donc d'en améliorer le traitement.

En parallèle de son engagement dans le monde des wearable grand public, Qualcomm s'intéresse aux capteurs de santé professionnels stricto sensu. "Ce marché est nettement plus réglementé que le précédent et demande des investissements à plus long terme", souligne Richard Phan. Pour se positionner dans ce champ, le groupe américain a racheté en septembre 2015 la société française Capsule Technologie, qui connecte des appareils biomédicaux (des électrocardiogrammes par exemple). Cette entité a été intégrée à la filiale médicale du géant de l'électronique, Qualcomm Life.

"Les industriels de la santé sont venus nous trouver il y a sept ans pour nous demander de connecter leurs équipements médicaux. Nous nous sommes mis à l'œuvre", raconte Laurent Vandebrouck, qui dirige Qualcomm Life Europe. Deux ans plus tard, le groupe développe des composants permettant de collecter, de stocker, de transférer et d'analyser les données de santé captées en temps réel par ces appareils.

"Les fabricants de machines médicales se sont tournés vers nous pour effectuer ce travail car ce n'est pas leur cœur de métier. Laisser un spécialiste, comme Qualcomm, gérer les problèmes de télécommunication de leurs appareils leur permettait de se concentrer sur leur activité principale", développe le dirigeant. Ces solutions sont vendues aux industriels en marque blanche. Ils les intègrent directement à leurs appareils, sans jamais mentionner le nom de Qualcomm.

Les données de santé stockées en France

La principale contrainte qui pèse sur ce segment de marché est la sécurité des données. "Nous respectons les réglementations mises en place à ce niveau par la Food and Drug Administration (agence américaine qui supervise le développement de nouveaux médicaments, NDLR) et ses équivalents en Europe. Pour respecter la législation française, particulièrement stricte, nous nous assurons que les données collectées soient stockées chez des hébergeurs tricolores, dont les équipements cloud sont installés sur le territoire", détaille Laurent Vandebrouck.

Qualcomm a créé un écosystème ouvert de 45 appareils médicaux connectés

Pour rentabiliser ses investissements, Qualcomm veut toucher un maximum de clients. L'entreprise connecte les appareils du plus grand nombre de fabricants possible. "Nous avons construit un écosystème ouvert de 45 appareils médicaux connectés. Les médecins qui veulent utiliser ces appareils peuvent facilement les combiner ensemble en fonction de la pathologie de leurs patients, sans se soucier des marques. Ils peuvent par exemple équiper les diabétiques d'un glucomètre, d'une balance et d'un tensiomètre connectés produits par des entreprises différentes", explicite le cadre dirigeant.

En plus des industriels qui intègrent directement sa solution à leurs produits, Qualcomm communique fréquemment avec des hôpitaux. Ils cherchent à suivre plus facilement leurs patients chroniques à distance et à limiter au maximum les admissions inutiles dans leurs services. Le groupe a par exemple développé un partenariat avec le CHU de Limoges, qui suit en direct les données de santé de 350 patients vivant en zone rurale, grâce à des appareils médicaux connectés.

Le groupe américain travaille également avec des assureurs. Ces acteurs développent des politiques de prévention pour leurs assurés souffrant de maladies chroniques, afin de limiter autant que possible de coûteuses interventions médicales.

Qualcomm et Intel sont bien partis pour devenir des sous-traitants clefs du marché de la santé de demain, que cela soit dans le champ de la médecine au sens strict ou des capteurs grand public, qui poussent leurs propriétaires à prendre soin de leur corps.