Jean-Louis Chaussade (Suez Environnement) "Si j'investis en Europe, ne soyez pas surpris"

Le directeur général de Suez Environnement, géant français de la gestion de l'eau et des déchets, détaille sa stratégie pour 2014.

Avec un résultat net en forte hausse, malgré un chiffre d'affaires qui baisse de 3% sur un an, Jean-Louis Chaussade affiche son optimisme quant à l'avenir de Suez Environnement, groupe de services à l'environnement qui emploie près de 80 000 personnes à travers le monde.

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Jean-Louis Chaussade, directeur général de Suez Environnement. © SUEZ ENVIRONNEMENT, Stéphane de Bourgies, Abacapress

JDN. Malgré une baisse de votre chiffre d'affaires, vous avez tenu vos objectifs 2013. Quelle est votre principale source de satisfaction ?

Jean-Louis Chaussade. A vrai dire, j'en ai plusieurs. Nous avons démontré notre capacité à nous adapter et à résister à la crise. Comment ? Nous avons accentué nos efforts en matière de rationalisation et de baisse des coûts et priorisé nos investissements de sorte à n'investir qu'un milliard d'euros. Ma conviction est que nous sortirons bientôt de la crise et que nous en sortirons même plus forts que nous y sommes entrés. Par ailleurs, nous avons emporté une myriade de contrats en 2013. C'est aussi le cas début 2014. Enfin, Suez Environnement poursuit son adaptation et sa transformation. Nous sommes en train de prospecter de nouveaux marchés, comme ceux du smart water – un marché qui va des compteurs intelligents à la gestion des épisodes pluvieux en passant par la recherche systématique des fuites dans les réseaux – du recyclage, des nouveaux contrats à l'international ou encore de l'eau industrielle. C'est une extension de notre business à d'autres métiers, ce qui suppose une adaptation de l'entreprise.

"Nous sortirons bientôt de la crise et nous en sortirons même plus forts"

Cela suppose des ajustements importants en termes de compétences, non ?

Ces transformations passent effectivement par une adaptation de nos organisations et des ressources humaines. Ce sont, pour certains d'entre eux, des nouveaux métiers. Nous devons donc soit recruter, soit former nos collaborateurs, soit faire un mix des deux. C'est d'ailleurs souvent ce qui se passe. Le processus de formation est intense et la courbe d'apprentissage est très importante. Il nous faut nous assurer que nous sommes capables de développer ces nouveaux business, de comprendre leur mode de fonctionnement et les logiques économiques qui les animent et, en même temps, de les adapter à la culture de l'entreprise. Prenons l'exemple du recyclage : en 10 ou 15 ans nous sommes passés de la collecte et la mise en décharge à la collecte, le tri, la valorisation matière, la valorisation énergétique, la valorisation organique et la mise en décharge de ce qu'il est impossible de valoriser. Demain, sur la matière, il faudra entrer chez les industriels, les aider à collecter les produits sur leur ligne de production dont ils ne veulent pas, trouver avec eux un moyen de les utiliser et faire des mix entre des produits recyclés d'un côté et des produits vierges de l'autre. On entre donc dans la production industrielle et cela mobilise des compétences autres que celles mobilisées par les collaborateurs qui attendent les déchets à la porte pour les collecter et les emmener trier ailleurs. C'est une transformation profonde dont l'aspect RH est très important.

"Nous recrutons chaque année 5 000 à 6 000 personnes dans le monde"

Est-ce que cela veut dire que Suez Environnement va recruter en 2014 ?

En 2013, les effectifs du groupe ont baissé en Europe mais augmenté à l'international. Ils sont donc globalement stables, ce qui est déjà une belle réussite. Nous recrutons chaque année 5 000 à 6 000 personnes dans le monde. Si les métiers que nous venons d'évoquer croissent de manière significative dans les années qui viennent, bien sûr que nous recruterons encore plus que nous l'avons fait pendant ces années de "disette économique". Cela dépendra aussi de l'évolution de l'économie. Une entreprise comme Suez Environnement ne demande qu'à recruter mais, pour cela, il faut qu'elle ait des marchés. Si nous avons des marchés, nous recruterons.

Quel est votre principal regret concernant l'exercice 2013 ?

Celui de ne pas avoir remporté encore plus de contrats. La stratégie de développement de Suez Environnement passe par plus de commercial, plus de développements à l'international et plus de gains de part de marché en Europe. Nous avons été bons, mais nous aurions pu être encore meilleurs. Nous nous sommes vus confier l'assainissement de Marseille. C'est un magnifique contrat, mais nous n'aurions pas dit "non" si l'opérateur nous avait aussi confié l'eau.

"Nous avons été bons, mais nous aurions pu être encore meilleurs"

Incinération mal vue, gestion privée de l'eau critiquée par les municipalités... La France est-elle encore un marché porteur pour Suez Environnement ?

Le marché de l'incinération est mal vu, c'est vrai, mais on ne pourra pas continuer indéfiniment à refuser les sites d'enfouissement et la valorisation énergétique. Il y a peut-être d'autres technologies que l'incinération à considérer : on entend beaucoup parler de la méthanisation et de la gazéification notamment. Nous allons trouver de nouvelles méthodes, mais la France ne pourra pas ne pas utiliser la production d'énergie comme un moyen de valoriser ses déchets. A un moment donné, il faut trouver des exutoires. Mais je ne suis pas inquiet. Il va simplement falloir créer les conditions d'un consensus dans les années qui viennent.

Quant à la gestion privée de l'eau, elle fait effectivement l'objet de critiques, mais il ne faut pas oublier qu'il y a des personnes qui apprécient la distribution d'eau et qui ne disent rien. On entend beaucoup parler des quelques contrats, qui se trouvent plutôt chez nos concurrents d'ailleurs, remis en régie, mais très peu de ceux qui sont passés en délégation de service public. Je ne suis pas fondamentalement inquiet concernant le marché français. La seule chose que je constate, c'est que cela fait plusieurs années que nous vendons plus de volume d'eau en Espagne qu'en France. Les chiffres d'affaires que nous enregistrons en France et en Espagne se rapprochent progressivement.

"La France ne pourra pas continuer indéfiniment à refuser les sites d'enfouissement et la valorisation énergétique"

La revalorisation des déchets est-elle devenue définitivement un meilleur vecteur de croissance que la gestion de l'eau ?

Il est clair qu'à l'international, que ce soit en Chine, en Inde, au Moyen Orient ou au Maghreb, la problématique des déchets s'impose comme la problématique phare des années à venir. L'émergence des classes moyennes a fait que les gens ne veulent plus vivre dans des régions contaminées, ce qui laisse présager qu'il y aura des appels d'offres dans ces zones. A nous d'être capables d'offrir des équipements, des systèmes et des services adaptés. A nous d'adapter nos business models à l'international. Nous l'avons déjà fait. Au Maroc, il y a dix ans, Suez Environnement n'enregistrait aucun chiffre d'affaires sur le segment des déchets. Fin 2014, avec tous les contrats que nous sommes en train de remporter, nous dépasserons les 60 millions d'euros en année pleine. Même chose au Moyen Orient, où il y a de nombreuses possibilités, et aussi en Chine et ailleurs en Asie. Oui, le déchet prend progressivement le relai de l'eau, mais l'eau n'a pas fini sa trajectoire.

Chine, Inde, Maghreb... Laquelle de ces zones présente le plus fort potentiel de croissance et comment comptez-vous en profiter ?

C'est assez variable d'une année sur l'autre. Ce qui est sûr, c'est que la stabilité de la croissance de la Chine au-dessus de 7%, conjuguée au fait que nous sommes déjà fortement implantés dans le pays, nous offre des options de croissance à court terme plus fortes qu'ailleurs. Mais nous sommes aussi très implantés au Maroc et au Moyen Orient. Nous sommes également en train de développer les services liés à la distribution d'eau en Inde.

"En Chine, en Inde, au Moyen Orient et au Maghreb, la problématique des déchets s'impose comme la problématique phare des années à venir"

Quelles sont les prochaines zones dans lesquelles vous comptez vous implanter ?

Nous avons déjà investi beaucoup de zones, y compris en Europe. On entend peu parler de notre activité dans le déchet à Varsovie. Pourtant, nous réalisons un chiffre d'affaires de l'ordre de 150 millions d'euros en Pologne. Plus qu'un pays, le prochain continent auquel nous devons nous intéresser est l'Afrique. Beaucoup de choses se passent en Afrique centrale. C'est une zone qui bouge énormément avec une population qui augmente. Les besoins y sont considérables. Après l'Asie, le prochain continent à prendre la route du développement accéléré sera sans doute l'Afrique.

Avez-vous déjà un calendrier pour vous développer en Afrique ?

Nous avons des projets à l'étude, mais je n'aime pas donner de calendrier. Nous ne savons pas encore très bien à quel rythme l'Afrique va se développer ni combien de temps les négociations peuvent durer. Mais nous avons un intérêt certain pour l'Afrique. Et cela débouchera sans aucun doute sur des contrats à moyen terme.

L'an dernier vous préveniez que vous seriez "très sélectif dans les investissements" ? Avez-vous renoncé à certaines opérations ?

Je n'ai renoncé à aucune opération importante pour le groupe et j'ai investi là où je pensais que j'obtiendrais la meilleure rentabilité. J'ai été sélectif certes, mais rien d'autre que sélectif.

2014 sera-elle encore raisonnable de ce point de vue ?

Pour obtenir une croissance d'EBITDA supérieure ou égale à 2% sur le socle de l'entreprise il faut investir entre 1 et 1,2 milliard. Etre raisonnable, c'est se situer dans cet ordre de grandeur. Mais si nous voyons des opportunités passer, avec la flexibilité financière qui est aujourd'hui la nôtre, nous n'hésiterons pas à utiliser cette capacité d'investissement.

"Nous portons un intérêt certain à l'Afrique et cela débouchera sans aucun doute sur des contrats à moyen terme"

Quels sont les trois prochains projets les plus importants pour l'avenir du groupe ?

Nous avons des projets importants aux Etats-Unis. Nous en avons aussi en Chine. Nous en avons d'autres ailleurs, mais dont le degré de formalisation est si faible que je ne peux pas me permettre d'en parler. Je n'ai pas peur d'investir en Europe, donc si j'investis en Europe, ne soyez pas surpris. Et je n'ai pas peur non plus d'investir dans un certain nombre de pays quand je pense que c'est bon pour leur environnement, en particulier dans des pays juridiquement matures, comme l'Australie, ou dans des pays où nous avons déjà des partenariats de bonne qualité. La Chine, par exemple.

Pour finir, une question que le JDN aime bien poser aux dirigeants qu'il rencontre : si vous deviez créer une entreprise aujourd'hui, ce serait dans quel secteur ? Le feriez-vous en France ?

L'environnement est un secteur magnifique dans lequel j'ai eu la chance de faire toute ma carrière. Ce n'est pas un secteur que je voudrais quitter. Donc si je devais recommencer, je referais ce que j'ai fait et je rejoindrais le secteur de l'environnement. Est-ce que je le ferais en France ? J'aime mon pays, il regorge d'atouts, de gens dynamiques et imaginatifs. Il faut juste être capable de réduire progressivement nos pesanteurs. Comment ? En procédant d'abord à une simplification administrative. Plus de 400 000 normes et réglementations s'appliquent en France ! Il faut demander aux législateurs français de supprimer deux normes avant d'en créer une. Il faut également aussi améliorer la compétitivité de la France, ce qui passera par une baisse des charges et pour cela, il faut réduire les dépenses publiques. Nombre de nos voisins l'ont fait. On commence à s'y mettre et il faut aller jusqu'au bout.