Migrer d'un progiciel vers un autre

Les licences d'utilisation des progiciels sont le plus souvent silencieuses sur la fin des relations contractuelles. Comment se préparer au mieux au changement d'éditeur ?

Toutes les entreprises disposent de contrats de licence de progiciels, qu'elles ont plus ou moins négociés avec les éditeurs concernés. Toutes les entreprises font également évoluer leur stratégie informatique et sont donc amenées à changer de progiciels et d'éditeurs.

Dans la plupart des cas, ces licences d'utilisation sont relativement silencieuses sur la fin des relations contractuelles et la migration opérationnelle qui y est associée. En effet, même dans les cas où les redevances de licence sont annuelles, ces contrats ne prévoient habituellement que les hypothèses de résiliation pour faute de l'une ou l'autre des parties et par voie de conséquence de l'arrêt de l'utilisation par le client du progiciel qui lui a été concédé ("restitution" ou destruction des éléments objet de la licence).

Or, le basculement d'un éditeur vers un autre est une opération délicate (notamment dans son planning opérationnel) et mérite d'être anticipé et abordé avec précaution. A titre d'exemple, une entreprise ne peut se permettre de perdre ses données lors de cette opération et doit limiter les conséquences d'une rupture des services fournis.

Dans ce contexte, les entreprises utilisatrices peuvent-elles s'appuyer sur des textes existants ?

1. Les droits d'un client utilisateur sur les données

Dans la mesure où il s'agit de données concernant les activités du client (clients, fournisseurs, produits, chiffres, salariés, etc...), elles appartiennent à ce dernier et l'éditeur ne peut en aucun cas revendiquer une quelconque titularité sur ces données.

En revanche, l'éditeur est-il tenu de fournir une assistance ou un outil permettant la migration ou le transfert de ces données ? En l'absence de stipulation contractuelle, l'éditeur n'a aucune obligation de fournir une prestation d'assistance gratuite au client à la cessation du contrat. Il reste cependant soumis à des obligations générales issues du droit commun ou du droit de l'informatique, telles que la bonne foi ou l'obligation de conseil, d'information et de mise en garde.

C'est la raison pour laquelle certains contrats de licence et d'intégration (pour des progiciels structurant comme les ERP ou PGI) prévoient désormais une phase dite de "réversibilité". Ces clauses définissent tout particulièrement les modalités de son déclenchement, la nature de l'assistance fournie par le prestataire, sa durée et son coût éventuel. A titre d'exemple, il est généralement prévu que le prestataire doit "restituer au Client ses Données, sur supports magnétiques exploitables, dans leur toute dernière version, à la date choisie entre le Client et le Prestataire, ainsi que les fichiers et résultats des traitements effectués au titre des Prestations", et s'assurer que ces données sont restituées de manière complète, fiable et intègre.


2.
Les droits du client utilisateur

Les contrats de licence limitent légitimement les droits accordés ou concédés à l'utilisateur. En cas de cessation du contrat, le client peut-il s'appuyer sur des dispositions légales pour faciliter la migration ? A titre d'exemple, il peut être intéressant pour un client d'accéder à des informations sur la structure technique du progiciel utilisé pour opérer le basculement.

(a) Concernant les bases de données

La base de données est définie par l'article L. 112-3 du Code de propriété intellectuelle ("CPI"). Il s'agit d'un "(...) recueil d'oeuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen".

La directive CE n°96/9 du 11 mars 1996, transposée dans le Code de la propriété intellectuelle par la loi du 1er juillet 1998, fixe les règles de protection de la base de données, articulées en deux régimes, le droit d'auteur et le droit sui generis.

Le droit d'auteur tend à la protection de la "forme", c'est à dire la structure et l'agencement des éléments dans la base de données, alors que le droit sui generis protège l'investissement substantiel nécessaire à la constitution, la vérification ou la présentation du contenu de la base, seul le producteur pouvant se prévaloir de ce droit.

Un éditeur peut donc légitimement affirmer que "une base de données recèle son savoir-faire et bénéficie d'une protection légale".

Dans ce contexte et pour autant que le produit de l'éditeur puisse être qualifié de base de données, quels sont les droits du client ?

· Aux termes de l'article L. 122-5 du CPI, récemment modifié par la loi du 1er août 2006, l'auteur ne peut interdire :

"(...)

1) Les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, (...) et des copies d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde établie dans les conditions prévues au II de l'article L. 122-6-1 ainsi que des copies ou des reproductions d'une base de données électronique;

2) Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source ; (...)

3) Les actes nécessaires à l'accès au contenu d'une base de données électronique pour les besoins et dans les limites de l'utilisation prévue par contrat ;

(...)

Les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur".

· En vertu de l'article L. 342-1 du CPI, le producteur de la base de données peut interdire :

"1º L'extraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d'une base de données sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit ;

La réutilisation, par la mise à la disposition du public de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu'en soit la forme."

L'article L. 342-2 du CPI précise que le producteur peut également interdire l'extraction ou la réutilisation répétée et systématique de parties qualitativement ou quantitativement non substantielles du contenu de la base de données lorsque ces opérations "excèdent manifestement les conditions d'utilisation normale de la base de données".

· En revanche, aux termes de l'article L. 342-3 du CPI modifié par la loi du 1er août 2006, le titulaire des droits sur une base de données ne peut pas interdire :

"1º L'extraction ou la réutilisation d'une partie non substantielle, appréciée de façon qualitative ou quantitative, du contenu de la base, par la personne qui y a licitement accès ;

L'extraction à des fins privées d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d'une base de données non électronique sous réserve du respect des droits d'auteur ou des droits voisins sur les oeuvres ou éléments incorporés dans la base (...) ;

L'article L. 342-3 du CPI précise que dans un cadre contractuel, toute clause contraire au 1º, c'es-à-dire l'extraction ou la réutilisation de parties non substantielles par une personne ayant licitement accès à la base de données, est nulle".

Ces dispositions fixent également une limite aux exceptions, notamment qu'elles ne doivent pas créer un "préjudice injustifié aux intérêts légitimes du producteur de la base."

(b) Concernant le logiciel

Le logiciel est l'une des oeuvres protégées au titre de l'article L. 112-2 du CPI.

L'éditeur dispose de droits étendus (art. L. 122-6 du CPI) et les exceptions aux droits de l'auteur d'un logiciel sont rares. Ainsi, l'article L. 122-6-1 précise :

"I. Les actes prévus aux 1° et 2° de l'article L. 122-6 ne sont pas soumis à l'autorisation de l'auteur lorsqu'ils sont nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser, y compris pour corriger des erreurs. Toutefois, l'auteur est habilité à se réserver par contrat le droit de corriger les erreurs et de déterminer les modalités particulières auxquelles seront soumis les actes prévus aux 1°. et 2°. de l'article L. 122-6, nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser. II. La personne ayant le droit d'utiliser le logiciel peut sans l'autorisation de l'auteur observer, étudier ou tester le fonctionnement de ce logiciel afin de déterminer les idées et principes qui sont à la base de n'importe quel élément du logiciel lorsqu'elle effectue toute opération de chargement, d'affichage, d'exécution, de transmission ou de stockage du logiciel qu'elle est en droit d'effectuer.


III. La reproduction du code du logiciel ou la traduction de la forme de ce code n'est pas soumise à l'autorisation de l'auteur lorsque la reproduction ou la traduction au sens du 1°. ou du 2°. de l'article L. 122-6 est indispensable pour obtenir les informations nécessaires à l'interopérabilité d'un logiciel créé de façon indépendante avec d'autres logiciels, sous réserve que soient réunies les conditions suivantes :

1º Ces actes sont accomplis par la personne ayant le droit d'utiliser un exemplaire du logiciel ou pour son compte par une personne habilitée à cette fin ;

2º Les informations nécessaires à l'interopérabilité n'ont pas déjà été rendues facilement et rapidement accessibles aux personnes mentionnées au 1° ci-dessus ;

3º Et ces actes sont limités aux parties du logiciel d'origine nécessaires à cette interopérabilité.

Les informations ainsi obtenues ne peuvent être :

1º Ni utilisées à des fins autres que la réalisation de l'interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante ;

2º Ni communiquées à des tiers sauf si cela est nécessaire à l'interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante ;

3º Ni utilisées pour la mise au point, la production ou la commercialisation d'un logiciel dont l'expression est substantiellement similaire ou pour tout autre acte portant atteinte au droit d'auteur.

IV. Le présent article ne saurait être interprété comme permettant de porter atteinte à l'exploitation normale du logiciel ou de causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur."


Les droits d'extraction, d'observation, de décompilation prévues par le Code de la propriété intellectuelle peuvent donc, si nécessaire, être allégués par un client. Néanmoins, pour certains contrats de licence, la formalisation de l'arrêt des relations avec un éditeur peut se révéler importante.