JDN.
Comment ont été initiées les actions
en faveur des NTIC
au sein de la Mairie de Paris
?
Christian Sautter. Tout est
parti d'un constat : en mars 2001, quand Bertrand
Delanoë a été élu à
la Mairie de Paris, le développement économique
de la capitale connaissait un ralentissement et la pente
de l'emploi était mauvaise. La nouvelle équipe
a alors décidé de lancer
un programme, Paris Technopole, pour favoriser le développement
de nouvelles entreprises. Ce programme, déployé
avec l'appui de l'agence Paris Développement,
se penche sur trois domaines d'activité :
les NTIC, les biotechnologies et le secteur de la création
et de la mode.
Comment
le programme Paris Technopole s'articule-t-il avec les
schémas directeurs urbains
?
Pour chaque domaine d'activité,
une zone géographique de prédilection
a été établie dans une logique
de rééquilibrage économique. Les
initiatives concernant la création et la mode
sont localisées dans le centre de Paris, celles
sur les biotechnologies dans le Sud et l'Est, et celle
sur les NTIC dans le Nord et l'Est. Les 18ème
et 19ème arrondissements sont des zones à
fort potentiel pour les entreprises : le cadre
de vie s'améliore sans cesse, comme dans le quartier
du canal de l'Ourcq, les tarifs immobiliers restent
abordables et la proximité de la Petite Couronne
permet d'envisager plus facilement, si nécessaire,
l'implantation d'un site de production.
La
Cité des Sciences et de l'Industrie, installée
dans le 19ème arrondissement, est-elle l'épicentre
des actions en faveur des NTIC ?
D'une certaine manière, elle
pourrait le devenir. La Cité des Sciences et de l'Industrie
comporte un mystère : depuis son inauguration
en 1986, la quatrième travée du bâtiment,
située au Nord, n'a jamais été
exploitée. Cette fameuse quatrième travée,
de 25 000 m2, appartient à l'Etat. Elle
pourrait donc accueillir des initiatives en faveur des
nouvelles technologies.
Ce
pôle NTIC, centré sur le Nord-Est de Paris,
implique-t-il la vie des quartiers ?
Tout à fait : l'un de nos
objectifs est de mettre en place un cadre d'expérimentation
grandeur réelle. Les entreprises pourront y tester
de nouvelles applications et de nouvelles offres en
relation avec les populations, les gestionnaires d'équipements
et les services urbains. Il s'agit de créer un
quartier technologique urbain.
Quels
sont les moyens concrets mis en oeuvre pour aider les
entreprises innovantes ?
Nous avons actuellement neuf pépinières
ou incubateurs sur Paris. Ces différentes structures
disposent d'un parc immobilier de plus de 14 000
m2 et peuvent accueillir jusqu'à 164 entreprises.
En matière de NTIC, nous disposons notamment
de la pépinière Paris Cyber Village implantée
dans le 19ème arrondissement et qui compte 25
entreprises centrées sur l'Internet, les télécoms
et le multimédia. Nous venons également
d'inaugurer l'incubateur Télécom Paris
Entrepreneurs, développé en partenariat
avec l'ENST (ndlr : Ecole nationale supérieure
des télécommunications). La Ville
de Paris a apporté 456 000 euros à
ce projet qui devrait incuber 55 projets télécoms
d'ici 2005.
En
novembre dernier, la Mairie de Paris a signé
un bail pour exploiter les locaux de l'incubateur Republic
Alley. Que deviennent aujourd'hui ces locaux ?
Nous y avons
lancé l'incubateur République Innovation.
Celui-ci dispose d'une surface de 1 700 m2 pour
une capacité d'accueil de 25 entreprises. Cet
incubateur est centré sur le secteur de la création
et du design, mais aussi dans le domaine des prestations
technologiques.
Ces
différentes initiatives s'inscrivent dans un
autre plan plus global, lancé il y a tout juste
un an : Parvi, pour Paris Ville Numérique.
Quels sont les axes majeurs de Parvi ?
Aux côtés des initiatives
économiques, que nous venons d'aborder, Parvi
regroupe deux autres axes de développement :
l'Internet citoyen et l'amélioration de la gestion
de la ville. Ce programme comprend notamment le développement
des accès haut débit pour les écoles
situées en ZEP (Ndlr : Zone d'éducation
prioritaire) et la mise en place d'EPN. Ces Espaces
publics numériques, où des accès
Internet sont proposés, sont implantés
dans tout Paris. Nous en avons ouvert vingt-cinq à
ce jour.
L'Internet
citoyen passe-t-il par des actions en faveur du développement
de l'accès au sein des foyers ?
Un tiers des foyers parisiens dispose
aujourd'hui d'un accès Internet et, parmi eux,
la moitié est en haut débit. Pour améliorer
ce taux de pénétration, nous ne voulons
pas nous substituer aux opérateurs, ni aux fournisseurs
d'accès. Nous cherchons plutôt à
mettre en oeuvre une discrimination positive en proposant
des lieux de connexion publics et en favorisant la diversité
des technologies. La mairie du 3ème arrondissement
s'est ainsi dotée d'un hotspot Wi-Fi. Celle du
13ème étudie un projet similaire.
En
matière de "gestion de la ville", quels
sont les objectifs du plan Parvi ?
Il y a tout d'abord la remise à
plat du portail Internet de la Ville de Paris. Une nouvelle
version a été lancée en octobre
dernier et nous mettrons en ligne un portail entièrement
refondu dès l'automne prochain. Ce portail proposera
des formulaires en ligne et des téléprocédures
pour les usagers et les professionnels. Il y a également
la rénovation du site de l'Office de tourisme
de Paris, qui joue un rôle central de communication
auprès des touristes. N'oubliez pas que le secteur
du tourisme représente 10 % des emplois
dans la Capitale. Enfin, cette évolution concerne
la Ville de Paris en interne, où le papier reste
encore omniprésent. Nous passons du "pneumatique
au numérique" et nous nous ouvrons aux appels
d'offres en ligne.
A
Bercy, vous avez dû affronter la grogne en tentant
de réformer l'administration fiscale. Internet
reste-t-il à vos yeux un accélérateur
de réforme ?
L'écueil principal dans la révolution
numérique des organisations est de croire qu'il
suffit de plaquer Internet sur le préexistant pour que
la mutation se mette en marche. Or il n'y a rien de
pire que d'introduire la logique Internet dans un système
sans l'adapter en amont. Internet épouse alors
les méandres du système et devient à
son tour une usine à gaz. Internet est au contraire
un levier qui doit permettre de lancer une simplification
des procédures et un allégement des strates
hiérarchiques.
Cette
mutation Internet touche-t-elle également la
culture politique ?
La réponse est oui. Nous sommes
passés d'un système où le pouvoir
était lié au secret à un système
où le pouvoir est lié à l'information
rapide.
Plus
de 600.000 déclarations ont été effectuées
cette année par Internet pour l'impôt sur
le revenu. C'est un record. Que vous évoque ce
résultat ?
Cela démontre que l'Internet
est un succès et
que la dématérialisation peut marcher
quand on respecte une
logique de besoin. De la même manière,
Internet s'est rapidement imposé dans l'Europe
du Nord : face à la rudesse du climat, les
Suédois ou les Norvégiens ont rapidement
compris le avantages des services à distance.
Suivant cette logique, l'Internet français devrait
connaître un développement rapide en province.
A Paris, les services en ligne dédiés
aux handicapés, aux personnes malades et aux
seniors devraient aussi fortement se développer.
Je suis d'ailleurs très étonné
de voir à quel point notre économie délaisse
ce que les Japonais appellent la silver industry, c'est-à-dire
l'économie aux tempes d'argent, l'économie
dédiée aux seniors.
Dans
une tribune
publiée le 21 mars dernier dans le JDN, Laurent
Fabius, votre successeur à Bercy, estimait que
"l'intervention du politique est particulièrement
nécessaire" en faveur de l'Internet. Partagez-vous
ce point de vue ?
La révolution numérique
est en marche. Elle est indéniable et croire
que l'Internet est voué à l'échec
à cause de l'explosion de la bulle spéculative
est une grave erreur. Maintenant, il est vrai que dans
cette période de contraction, l'Etat a un rôle
majeur à jouer pour aider les entreprises et
les initiatives à franchir le cap. Mais dans
ce domaine, les actions sont plus importantes que les
grands discours.
Comment
jugez-vous les initiatives gouvernementales sur le plan
Internet ?
Tout ce qui est en faveur de la création
d'entreprises va dans le bon sens et permet d'entretenir
la culture de l'innovation. En revanche, les restrictions
sur les crédits dédiés à
la recherche m'inquiètent. C'est un mauvais signal,
et dans le domaine de la recherche, la compétition
internationale est très sévère.
L'innovation est un organisme vivant dans lequel il
faut prendre soin de renouveler en permanence les cellules.
Quelle
est votre analyse sur la situation économique
actuelle ?
Je pense que nous avons touché
le point bas. En matière d'économie, il
ne faut pas se leurrer, l'Europe reste largement remorquée
par les Etats-Unis. Or sur le plan politique, Bush a
des échéances très précises
avec les élections de 2004. Sa stratégie
devrait donc se focaliser sur la relance économique
dans les mois qui viennent. Mais les financiers, qui
sont devenus fous en visant des rendements de 15 %
et plus, ne doivent pas pour autant s'attendre à
une euphorie économique. Nous entrons dans la
dimension industrielle de la révolution numérique.
Et
dans cette révolution numérique, Paris
a un rôle à jouer ?
Paris est une technopole qui s'ignore,
quelque part en surfusion. Plus de 110 000 emplois
dépendent de l'innovation dans la capitale. Cela
représente 7 % des emplois dédiés
à la recherche au plan de l'Union européenne.
Paris intra-muros génère 10 % des
ressources économiques françaises liées
à l'innovation. La base est là. Il faut
maintenant inoculer la dynamique pour que Paris devienne
une capitale numérique de premier plan mondial.
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