Faits et foutaises dans le management

 

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La loi des systèmes foireux est plus forte que la loi des nazes

 

"Nous avons souligné que les managers, les consultants, les gourous, la presse – et presque tout le monde en fait – ont des jugements excessifs, en bien ou en mal, sur la contribution des individus aux résultats de l'organisation. Cette croyance erronée dans l'omnipotence des bons et des méchants est largement due à une erreur de raisonnement commise par la plupart des Occidentaux. Elle a été révélée il y a plusieurs décennies par le psychologue Lee Ross qui a mis en évidence, d'une part l'importance excessive accordée à la personnalité, aux préférences et aux efforts individuels pour tenter d'expliquer ce que les individus (ainsi que les groupes et les organisations) font et la raison pour laquelle ils le font, d'autre part la sous-estimation de l'environnement, de la culture ou du système.

 

 
Si vous embauchez à tour de bras des candidats qui paraissent à la hauteur et se révèlent rapidement nuls, cessez de les accuser de tous les maux. ©
 

Cette erreur de raisonnement est partiellement due au fonctionnement de la perception humaine. Lorsque nous examinons une situation, par exemple une entreprise, nous voyons des individus – des individus qui agissent, bien ou mal, et prennent des décisions. Le contexte dans lequel leurs actions et leurs décisions interviennent, le secteur d'activité et l'environnement économique global, les actions de tous les acteurs que nous ne voyons pas, sont moins évidents et moins parlants. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que nous tenions les individus exagérément responsables des actions et de leurs conséquences et minimisions les conditions dans lesquelles ils agissent.

 

Une conséquence insidieuse de cette erreur de perception fondamentale est ce que nous appelons le syndrome de la fuite de l'intelligence. Une entreprise recrute à la chaîne des candidats apparemment brillants pour leur confier le même poste mal conçu au sein du même système mal conçu. Chaque nouveau titulaire du poste semble intelligent et sensé jusqu'à ce qu'il commence à travailler et se mette alors à faire l'idiot. Nous avons observé ce syndrome pour la première fois chez des collègues proches qui avaient accédé à des postes de doyen et doyen associé dans des Business Schools.

 

Leurs responsabilités sont énormes, mais leur autorité et leurs moyens insuffisants. Les exigences des étudiants, des enseignants, de leurs supérieurs hiérarchiques, des chefs de départements, des entreprises et des anciens élèves sont immenses, irréalistes et contradictoires. Ces doyens ont une mission difficile, voire impossible, à effectuer correctement. Mais cela n'empêche pas les principaux responsables de la communauté universitaire de focaliser leur attention sur la personnalité et les compétences des candidats au lieu de s'intéresser à leur fonction, impossible à remplir. Aux yeux de la plupart des observateurs, il semble que les candidats soient vidés instantanément de toute leur intelligence, de tout leur bon sens et de toutes leurs compétences dès l'instant où ils deviennent doyens. Nous avons observé plus haut une situation quasiment identique à la NASA où le comité d'enquête sur l'accident de la navette Columbia a été consterné de voir que, malgré un renouvellement presque complet du personnel, le même système avait produit les mêmes erreurs dix-sept ans auparavant – un système au sein duquel les individus intelligents ont du mal à agir intelligemment.

 

"Les systèmes inefficaces sont beaucoup plus destructeurs que les individus incompétents"

Attention ! Ne vous méprenez pas sur nos propos. Il existe des individus incapables ou qui refusent de remplir la mission qui leur est confiée. Les individus incompétents sont nuisibles aux organisations et il y aura toujours des brebis galeuses à recycler, à transférer à d'autres postes ou, le cas échéant, à congédier. Mais la loi des nazes est une demi-vérité dangereuse et nous lui préférons la loi des systèmes foireux. Pourquoi ? Parce que les systèmes inefficaces sont beaucoup plus destructeurs que les individus incompétents et qu'ils peuvent transformer un génie en idiot. Alors essayez de concevoir autrement vos systèmes et vos postes avant de décréter que tel ou tel employé est un bon à rien. Et si vous embauchez à tour de bras des candidats qui paraissent à la hauteur et se révèlent rapidement nuls, cessez de les accuser de tous les maux et changez le système, du moins si vous souhaitez stopper la fuite de l'intelligence."

 

Extraits de Faits et foutaises dans le management, J. Pfeffer et R. Sutton (Vuibert), p.100 à 102.

 


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