"Ça rame !" râle encore un salarié en attendant que la page
d'un site Web se charge. Mais sait-il que le débit n'est pas illimité et
que la bande passante a un coût ? L'usage d'Internet a des fins personnelles
représente certes du temps que le salarié ne passe pas à travailler.
Mais il implique également des coûts techniques, sans compter les risques informatique et juridique. Bref, le sujet de la régulation de l'Internet en entreprise
est bien plus compliqué qu'il n'y paraît de prime abord.
Aujourd'hui, de nombreuses entreprises ont décidé de réguler l'utilisation du
mail et du Net à des fins personnelles. Certaines, notamment
dans le secteur bancaire, ont tout interdit, allant jusqu'à proscrire
l'envoi de mails vers l'extérieur. Principal argument mis en avant : la sécurité informatique, un point hautement sensible dans l'univers de la finance.
Sans atteindre cet extrême, la majorité des entreprises ont décidé de mettre en place des limites sur les usages du Net de leurs salariés. Selon
l'enquête en ligne du Journal
du Management (lire les résultats), 70 % des entreprises régulent désormais l'Internet. Pour 49 %, cette régulation passe par un bridage technique de
l'accès. Un bridage plus ou moins fort, notamment selon le niveau hiérarchique des salariés.
Chez Easynet, opérateur de service Internet pour les entreprises,
l'accès au Web est en revanche resté totalement libre, principalement pour des raisons
professionnelles. "Nous considérons que les salariés doivent être
sensibilisés à cet outil, justifie Régis Bryman, responsable marketing
et communication. 70 % de nos salariés sont des cadres. Ils sont obligés
de rendre un travail. Si l'un d'entre eux passe beaucoup de temps
sur Internet pour des raisons personnelles, nous le remarquons rapidement."
Surtout, pour
Easynet, le coût et l'encombrement de la bande passante n'est pas
un obstacle majeur. "Nous serions plus vigilants si nous n'avions pas une
bande passante si forte, poursuit Régis Bryman. Pour certaines entreprises, le débit garanti
coûte 1 000 à 5 000 euros par mois. L'utilisation du Web à usage personnel
peut tout à fait représenter la moitié du débit. L'aspect financier
est loin d'être négligeable."
L'entreprise
doit faire preuve de pédagogie"
Lionel Bochurberg, avocat |
Les coûts techniques ne sont pas les seuls à prendre en compte. Juridiquement, l'entreprise peut également s'exposer à risques en laissant
surfer ses salariés. "Les décisions rendues par les tribunaux ces
derniers temps dégagent un principe fort intéressant, qui est celui
de la responsabilisation de l'entreprise quant à l'usage qui est
fait par ses salariés de son système d'information", souligne maître Isabelle Renard, du cabinet August et Debouzy (lire la tribune).
Pour limiter les coûts et les risques, l'entreprise se doit donc d'encadrer l'utilisation d'Internet. Mais cette démarche doit s'appuyer sur trois grands principes : le principe de proportionnalité,
le principe de discussion collective et le principe de transparence. Pour Lionel Bochurberg, avocat à la Cour, "l'entreprise doit faire
preuve de pédagogie. Il faut expliquer aux salariés les enjeux,
et ensuite préciser les règles du jeu".
Coauteur
de Internet et la vie privée au bureau
(éditions Dalloz), Lionel Bochurberg a également été directeur juridique d'une
entreprise où il a mis en place une charte . "Nous avions créé un comité éthique, composé par
exemple du DRH, du DAF, du directeur qualité, se souvient-il. L'idée était d'éviter que le directeur
du système d'information ne soit le seul à trancher en cas de
problème." In fine, le comité avait opté pour une position intermédiaire sur la régulation,
en autorisant par exemple l'accès aux mails personnels "dans
une proportion raisonnable".
Une position partagée par le Forum des droits de l'Internet (lire
l'interview). "Nous pensons que le
salarié peut utiliser Internet de manière raisonnée et encadrée,
défend Marie-Françoise Le Tallec, secrétaire générale de l'organisme.
Mais l'usage d'Internet par un salarié ne doit pas représenter de coût
ni de risque pour l'entreprise, et ne doit pas avoir d'impact sur
la qualité et la durée du travail." Laisser un espace de liberté
aux salariés ne signifie pas, pour autant, une tolérance absolue.
En s'attaquant aux abus de certains salariés, l'entreprise doit également être consciente qu'ils peuvent être révélateurs de dysfonctionnements
plus graves. "Lorsque le climat de l'entreprise est mauvais, les
salariés ont tendance à surfer de plus en plus" soutient Lionel Bochurberg. Le surf perso serait en plus un baromètre.
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