Esprit d’équipe et grandes structures : l'équation impossible ?
Le team building, ou esprit d’équipe, est devenu autant un concept qu’une pratique managériale courante avec des fortunes variées. Aucune organisation oserait prétendre ne pas se soucier de sa cohésion et de l’adhésion de ses salariés à son développement. Dans les grandes organisations, c'est parfois compliqué.
Reconnaissons
que le réalisme ne nous porte à donner crédit à cette démarche que lorsqu’elle se
déploie dans des structures dites « à taille humaine ». Appliquée aux
grands groupes ou aux administrations et autres grandes organisations
internationales, le team building dissimule, tout du moins dans les esprits, un
succédané de management vertical et de ligne de conduite à suivre pour rester
dans les clous et survivre dans son groupe. Dès lors, le décrochage de
l’adhésion est immédiat. Les collaborateurs font semblant mais l’esprit n’y est
pas. Inutile de compter mobiliser les forces vives et créatives de
l’entreprise. C’est souvent là que les problèmes commencent, même s’il existe
peu d’indicateurs permettant de détecter cette carence.
Car
le piège est bien réel. Avant que les grandes organisations se disloquent,
elles vivent des périodes de développement qui ne peuvent laisser penser que le
décrochage s’approche. Pire, les plans stratégiques fondés sur la prédictivité
des situations possibles et l’exhaustivité des solutions, déclinés en autant de
visions stratégiques et autres projets globaux d’entreprise s’avèrent de
redoutables mirages dans un monde en perpétuelle mutation où l’imprévu devient
la règle déconcertante.
Plus
que jamais en ces temps de crise aggravée, et de repères en constant
changement, une organisation doit être capable d’adaptation évolutive,
c’est-à-dire de se transformer pour rester compétitive ou pertinente dans un
monde en mutation. C'est précisément cette capacité d'évolution et de
mobilisation des hommes qui reflète la forme supérieure de l'efficacité. Une organisation
ne se contente plus de simplement s’adapter, mais plutôt d’évoluer en modifiant
ses structures, ses processus, les rôles et les relations avec ses clients et
partenaires pour qu'ils soient plus en phase avec l’environnement. Car une
entreprise, quelle que soit sa taille et qui se dote de cette capacité de
mobilisation possède un atout supplémentaire : la résilience. Elle reste
pertinente malgré l'évolution des circonstances et maintient un haut niveau
d'efficacité quand l'environnement change.
Plusieurs
conditions sont nécessaires à cette démarche dans l’entreprise.
La première,
c’est qu’une bonne entreprise doit être capable d’agir prestement et de
s’adapter rapidement. La seconde, c’est qu’en faisant preuve d’autant de flexibilité
et d’agilité, une telle entreprise contribue à susciter un sentiment de
professionnalisme dans ses rangs, ce qui lui confère une légitimité quasi
instantanée, aussi bien auprès de ses clients que de ses employés. Cette
méthode de décision décentralisée implique
au maximum le client, afin de réagir le plus rapidement à ses demandes. Plus
pragmatique que les méthodes de conception traditionnelles, elle a pour
objectif la satisfaction réelle d’un besoin précis, et non d’un contrat établi
préalablement. Elle repose sur un certain nombre de valeurs fondamentales qui
sont autant d’incitations à l’innovation continue et à l’autonomie et par là
même, à l’émergence d’idées nouvelles et constructives.
Cette
méthode ou cette philosophie privilégie les individus et les interactions
plutôt que les processus ou les outils disponibles. L’équipe est bien plus
importante que les moyens matériels ou les procédures. Ainsi, il est préférable
de fédérer un ensemble de talents moyens, mais qui communiquent efficacement
entre eux, que de laisser quelques individus brillants mais trop
individualistes prendre la direction d’un projet. On sent qu’un tel management
donne sa place à chaque collaborateur. C’est ce modèle qui a conduit au succès
de « Wikipédia » dont le concept de collaboration en ligne élaboré par Howard
Cunningham s’appuie sur la contribution partagée. Les réserves sont encore
nombreuses et le système lui-même est loin d’être achevé mais reconnaissons que
son succès n’avait été anticipé par personne.
Ensuite,
il est impératif que le produit, le service ou le projet fonctionne. Dans cette
optique, l’émergence rapide de solutions fonctionnelles et immédiatement
applicables sur le terrain est centrale que seule permet une organisation
articulée sur la délégation de responsabilité au plus près du client.
Autre
expérience intéressante est celle menée en la matière chez Cofely Ineo qui ne
compte pas moins de 15 000 collaborateurs dans les métiers du génie
électrique à fort contenu technologique et industriel, sans conteste un grand
groupe. Son président, Guy Lacroix, le souligne lorsqu’il a fallu prendre le
virage de la crise en 2009 et 2010. Dans un contexte de forte contraction de
l’activité, « une véritable
solidarité s’est développée entre les directions déléguées, avec le support de
la direction des Ressources Humaines. Toutes nos équipes ont fait preuve de
capacités de réactivité et d’intelligence d’adaptation ».
Pour cela, il faut que
l’utilisateur final soit impliqué dans le développement. Il doit collaborer et
fournir un feed-back continu sur l'adaptation du produit à ses attentes. On ne
peut plus se contenter de laisser les directions centrales négocier un projet,
puis de négliger ensuite les demandes d’adaptation ou de modification des
utilisateurs sur le terrain. Là encore, Cofely Ineo a eu une démarche originale
que Guy Lacroix aime rappeler : « notre
projet d’entreprise est un projet d’ouverture, qui nous positionne en
partenaire de nos clients, pour réfléchir et concevoir des réalisations
ensemble. C’est aussi l’aiguillon de la mise en synergie de nos activités et de
l’exploitation des richesses de nos savoir-faire. »
Le but est donc de
produire une solution qui satisfasse le client, et non qui respecte à la lettre
la spécification fonctionnelle rédigée à un moment donné dans le contrat.
Il faut donc vérifier fréquemment que la direction prise soit celle qui mène à
sa satisfaction effective. L’acceptation du changement doit l’emporter sur le
conformisme, toujours plus séduisant et confortable. Cette démarche n’est pas
un vain mot pour le président d’Ineo :
« Notre modèle entrepreneurial demeure notre force essentielle, en nous
donnant beaucoup de solidité et beaucoup de souplesse. Notre modèle confirme sa
force, car il développe la responsabilité à tous les niveaux de notre
entreprise. Mais ce modèle ne fonctionnerait pas s’il n’était pas piloté en
cohérence par un véritable management de co-responsabilité. »
C’est pourquoi le raisonnement, la pensée, le management et la structuration de la méthode qui sous-tendent cette mobilisation des énergies de l’entreprise doivent se montrer capables d’emprunter de nouvelles voies. Des voies inédites qui, dans un contexte économique en bouleversement, auraient fortement intérêt à encourager, de manière justement rationnelle, le sens de l’initiative de collaborateurs. C’est en cela que les entreprises, quelle que soit leur taille, peuvent se révéler prospères et fécondes, car les plus à même de laisser s’épanouir une diversité et une créativité constructives, sources d’une culture d’entreprise dynamique, vivante et à forte valeur ajoutée, comme celles d’Apple, ou encore celles de Google, par exemple.