Vers un contrat intergénérationnel pour la création et l’innovation

Le diplôme, en soi, reste essentiellement une protection contre le chômage. En revanche, les jeunes diplômés redoutent toujours d'entreprendre, même si les incitations à la création d’entreprise ne manquent pas. Diagnostic.

On ne peut pas dire qu’en matière de création de nouvelles activités, les nouveaux diplômés représentent une force économique en France. Et rien n’indique le contraire. Puisque toutes les enquêtes montrent que le manque de jeunes diplômés entrepreneurs était une réalité avant la crise, et que, malheureusement, cette réalité n’a pas significativement évolué sur la période des cinq dernières années.

Les ingénieurs, eux non plus, malgré leurs compétences techniques, leur potentiel d’innovation et leurs aptitudes en management de projets, ne manifestent pas un entrepreneuriat dynamique. Les ingénieurs ne créent pas plus d’entreprises que les autres catégories professionnelles. Parmi les ingénieurs jeunes diplômés, les repreneurs et les créateurs d’entreprises représentent moins de 6%. Et, il n’y a pas de domaine technologique qui manifeste une performance plus nettement prononcée par rapport aux autres.

L’entrepreneur demeure une figure socio-démographiquement hétérogène. Il se lance en moyenne âgé de plus de 30 ans, après une capitalisation d’une ou plusieurs expériences en tant que salarié d’entreprises, voire après un passage par l’administration.

L’initiative individuelle comporte toujours des risques, contre lesquels le souci de sécurité, surtout dans un monde de plus en plus incertain, semble freiner ou supprimer la volonté d’entreprendre chez les jeunes diplômés.

Le diplôme, en soi, reste essentiellement une protection contre le chômage.

Les entreprises continuent à absorber des effectifs relativement importants de jeunes diplômés, en particulier des grandes écoles. Globalement, le nombre de diplômés n’a cessé de croître, et de façon très significative sur les 40 dernières années, mais le taux de chômage dans la catégorie des diplômés (en dessous de 10%) reste relativement bas, malgré les délocalisations, les mutations du travail, les transformations de l’entreprise et surtout le faible taux de croissance. Même si globalement l’insertion des jeunes diplômés est difficile en période de crise (en 2012, un jeune diplômé sur deux est au chômage un an après le diplôme, tous diplômes confondus. Ce chiffre chute à un taux de l’ordre de 20% chez les ingénieurs un an après le diplôme), elle n’est pas comparable à l’insertion de plus en plus difficile des non diplômés. La situation des non diplômés s’aggrave, alors que leur nombre est paradoxalement en diminution constante depuis plusieurs décennies.

Un bon diplôme suivi d’un « emploi dépendant », mais protégé, continue, en somme, à être la règle.

Pour la sécurisation du curriculum, les grandes entreprises restent très attractives pour les diplômés des écoles d’ingénieurs et de commerce.

Jadis, les groupes industriels de l’État offraient aux jeunes des parcours balisés après un diplôme d’une grande école publique ou privée au service de la nation. Mais cette voie prestigieuse a subi une mutation. Aujourd’hui, les grandes écoles se bousculent pour des classements internationaux et les grandes entreprises se sont internationalisées. Grands groupes et grandes écoles ne balisent pas, ou insuffisamment, le chemin de l’initiative et de la création, ils les absorbent plutôt, en France et ailleurs, une fois les risques de l’aventure initiale écartés.

Les grands groupes offrent aux jeunes diplômés l’expérience internationale et surtout des symboles de reconnaissance. Des symboles que les jeunes considèrent, et on le voit à travers les réseaux professionnels, comme incontournables dans la consolidation du curriculum, bien loin de l’initiative et de la création.

L’organisation économique et sociale renvoie le « créateur indépendant » presque exclusivement vers son propre capital humain.

Contrairement au « créateur dépendant » qui bénéficie de la logistique d’une entreprise et de la protection sociale qu’elle permet, le « créateur indépendant » mobilise sa pluridisciplinarité dans une autonomie recherchée, mais à risque.

Le jeune créateur subit ce que lui renvoient les banques et les milieux professionnels comme carences de confiance.

En général, on ne sait pas ce qu’élabore comme concept et construit comme activité celui qui crée et qui innove. Le doute est naturel et, au mieux, on reste dans l’expectative avant d’évaluer l’effort. On sonde longtemps avant d’apprécier l’aventure et l’initiative des acteurs. Ceux-là même dont la dynamique économique a besoin.

Les incitations à la création d’entreprise ne manquent pas.

On connaît, par exemple, le prix du jeune ingénieur créateur de la Fondation Norbert Ségard. Il y a le projet 100 jours pour entreprendre (le nouveau concours sera ouvert à partir du 15 janvier 2014), une initiative de plusieurs entreprises pour aider les jeunes porteurs de projets…

Il s’agit bien d’incitations et de reconnaissances de la volonté et de l’effort, mais il reste bien sûr au créateur à concentrer tout son capital humain sur un chemin inconnu, difficile.

Le gouvernement français reconnaît l’existence d’un « déficit de culture entrepreneuriale » dans le pays, en particulier dans les cursus des jeunes engagés vers des diplômes de l’enseignement supérieur. En octobre 2013, la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a présenté un plan d’action en faveur de l’entrepreneuriat étudiant. Des initiatives existaient déjà. Mais ce plan d’action cherche à les renforcer, dans un dispositif qui vise l’ancrage de l’innovation dans la formation et la visibilité du chemin de l’entrepreneuriat auprès des étudiants.

Parmi les mesures importantes évoquées, il y a l’introduction d’un module de formation à l’entrepreneuriat et surtout la « création d’un statut "étudiant-entrepreneur" pour les étudiants ou jeunes diplômés porteurs de projets de création d’entreprise ». Un appel à projets a été lancé, pour constituer sur tout le territoire national 30 Pôles Etudiants Pour l’Innovation, le Transfert et l’Entrepreneuriat (PEPITE). La sélection des projets est prévue pour ce janvier 2014.

 

Mais la formation des diplômés est-elle pertinente ?

Devant le manque d’encouragements de la prise d’initiative des jeunes, on ne peut que souscrire à la démarche engagée par l’État et saluer surtout le volontarisme des acteurs de l’enseignement supérieur pour cet objectif majeur, susceptible d’entraîner de la créativité et de stimuler l’esprit de changement dans l’élaboration des cursus. On est toutefois obligé d’admettre que la prise d’initiative, intrinsèque à l’entrepreneuriat, est toujours porteuse de risques et d’incertitudes qui restent à considérer par rapport à l’organisation économique et sociale à statuts et surtout par rapport au bénéfice de la formation initiale.

On doit s’interroger, d’une part, sur la formation globale des étudiants qui est généralement structurée presque uniquement par des connaissances sûres, et d’autre part, sur le risque et son contraste par rapport à l’évolution professionnelle très balisée dans le paysage actuel. La formation standard reste, en effet, fortement corrélée au métier et à la fonction standard. Une formation qui  mobilise et sélectionne des aptitudes pour des parcours professionnels à statuts, sans risque social ou juridique significatif.

Il faut bien dire que, au lycée et dans l’enseignement supérieur, les orientations académiques visent dans l’analyse et la communication destinées aux jeunes non pas l’incertitude, mais le métier connu comme horizon. Les métiers sont balisés dans des nomenclatures et avec des codes, et sont souvent représentés et défendus en arrière-plan par des organisations ou des ordres professionnels.

Un ensemble qui fait que les parcours structurés, en général, plutôt par les connaissances que par les compétences, se trouvent orientés presque toujours vers des activités existantes, déjà connues, voire maîtrisées et sécurisées dans leurs hiérarchisations des fonctions et des postes.

Les caractéristiques de la situation renvoient vers un nouveau pacte.

Si la société civile souhaite maintenir de la protection et des statuts, elle est obligée de créer de l’activité. Le risque de la création et de l’innovation devrait être alors partagé entre les générations et entre les catégories sociales et professionnelles. Ce qui passe par exemple par :

- un transfert de l’épargne des séniors ou simplement de ses bénéfices vers la sécurisation de l’initiative des jeunes.

- une transformation des potentiels des non diplômés en compétences utiles aussi dans la logistique que nécessite l’initiative entrepreneuriale des diplômés, etc.

Mais si la société civile ne souhaite pas maintenir les statuts de protection, le diplôme ne sera plus une simple protection contre le chômage, mais aussi une protection contre le risque de l’entrepreneuriat. Laquelle ne résultera que d’un changement profond de l’enseignement. L’enseignement intégrera le risque pour une protection plus large.