Une limite à l'interdiction de l'"ambush marketing"

L'ambush marketing est une technique publicitaire qui consiste à tirer profit d'un événement, notamment sportif, pour faire la promotion d'un produit ou d'un service commercialisé par un tiers n'ayant aucun lien avec l'organisateur de l'événement.

Ce tiers n'a signé ni contrat de partenariat, ni contrat de parrainage et profite donc de l'attraction médiatique pour se faire connaître.
La prohibition de l'ambush marketing en droit français résulte d'une interprétation de l'article L. 333-1 du Code du sport, selon lequel "Les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives (…) sont propriétaires du droit d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu'ils organisent." En vertu de ce texte, seules les fédérations sportives peuvent exploiter les événements dont elles sont à l'origine, notamment à des fins publicitaires, puisqu'elles en sont, nous dit la loi, propriétaires.
C'est sur le fondement de ce texte et de ce droit de propriété que la Fédération Française de Rugby (FFR) avait tenté d'obtenir la condamnation du constructeur automobile italien Fiat. Ce dernier avait diffusé dans le journal L'Equipe en février 2008 une publicité pour son fameux modèle de voiture Fiat 500, en communiquant sur la victoire de l'Angleterre face à la France dans le Tournoi des VI Nations ("la Fiat 500 félicite l’Angleterre pour sa victoire…") et en faisant référence au match suivant de L'Equipe de France, face à l'Italie ("…et donne rendez-vous à l’équipe de France le 9 mars pour France-Italie").
La FFR y avait vu une volonté de Fiat de profiter commercialement d'un événement sportif majeur, dont le constructeur italien n'était ni partenaire ni sponsor. Elle avait donc assigné ce dernier à la fois sur le fondement de l'article L. 333-1 précité et au titre d'actes de parasitisme. Cependant, la justice ne lui a pas donné raison.
En appel, la Cour avait considéré que Fiat s’était contentée de "reproduire un résultat sportif d’actualité, acquis et rendu public", notamment en une du journal L'Equipe du même jour, et à faire référence à une rencontre à venir, "certes organisée et programmée par la FFR", mais simplement pour mettre en avant les chances de l'Italie. Selon cette décision, cette campagne ne pouvait donc pas porter atteinte aux droits de l'organisateur de l'événement.
Critiqué par tous les tenants d'une interdiction absolue de l'ambush marketing, l'arrêt vient pourtant de connaître une confirmation par un arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2014. Saisie sur le pourvoi formé par la FFR, la Cour suprême reprend de manière extensive les motifs de l'arrêt critiqué et affirme qu'"il n'est pas établi que l'activité économique des mis en cause (c'est-à-dire la campagne publicitaire) puisse être regardée comme la captation injustifiée d'un flux économique résultant d'événements sportifs organisés par la FFR".
Cette solution est d'autant plus importante que, quelques années plus tôt, en 2009, la Cour d'appel de Paris avait adopté une conception extensive du "droit d'exploitation" visé à l'article L. 333-1 du Code du sport. Selon un arrêt du 14 octobre 2009, il fallait considérer que le droit de propriété énoncé par ce texte interdisait "toute forme d’activité économique, ayant pour finalité de générer un profit, et qui n’aurait pas d’existence si la manifestation sportive dont elle est le prétexte ou le support nécessaire n’existait pas." Selon cette décision, la campagne publicitaire incriminée aurait donc théoriquement pu être interdite.
Finalement, la Cour de cassation retient une interprétation plus raisonnable du droit de propriété des fédérations sportives, lequel ne peut donc empêcher l'exercice d'activités économiques qui, véritablement, ne leur causent aucun préjudice.
A cet égard, la Cour a également rejeté le pourvoi de la FFR qui était fondé sur la notion de parasitisme économique. L'arrêt estime que la campagne n'a créé aucun risque de confusion dans l'esprit des lecteurs du journal sur la qualité de la société Fiat vis à vis de la FFR, notamment quant à un éventuel parrainage de la compétition. De même, selon l'arrêt, Fiat n'a pas tiré profit des efforts et investissements de la FFR en communiquant simplement sur le score d'un match et la date d'une prochaine rencontre.
Voici donc une décision qui réduira sensiblement la tentation de certaines fédérations ou de certains comités sportifs de s'arroger un monopole illimité sur les événements sportifs qu'ils organisent, mais il faudra rester prudent, notamment en ne citant pas expressément le nom de la compétition à laquelle on tentera de faire référence…