La sharing economy menacée par le droit ?

La sharing economy menacée par le droit ? Alors qu'un client d'AirBNB a été condamné à New York, les règles juridiques apparaissent comme la principale barrière au développement de l'économie du partage.

Portée par des nouveaux modes de consommation, des sites en pleine croissance et la promesse de gagner de l'argent, l'économie du partage connait une croissance vertigineuse. Du covoiturage à la sous-location de logement, le phénomène semble impossible à stopper.

C'était en tout cas vrai jusqu'au mois de mai 2013 : à New York, la justice américaine a condamné un particulier qui louait son appartement via AirBNB. Aux yeux de la législation locale, cette pratique s'apparente à une activité hôtelière illégale.

Depuis, cette décision laisse planer un doute sur toute la sharing economy : ces nouvelles pratiques de consommation entre particuliers sont-elles compatibles avec le cadre juridique actuel, conçu pour encadrer des activités commerciales de professionnels ? Les acteurs traditionnels ne voient-ils pas apparaitre une nouvelle forme de concurrence, qui pourrait se révéler déloyale ? 

"La sharing economy est une forme d'économie sous-terraine publique"

La fiscalité

La première grande question posée par cette sphère économique émergente relève de la fiscalité. "La sharing economy peut s'apparenter à une forme d'économie sous-terraine mais publique, analyse Richard Milchior, avocat associé au cabinet Granrut. Elle se déroule au grand jour mais ignore les déclarations de chiffre d'affaires ou de TVA et ses revenus échappent à l'imposition."

Evidemment, un particulier qui se contente de prêter son mixeur à son voisin contre quelques euros n'est pas à la tête d'une entreprise clandestine. En revanche, si ces activités deviennent quasi-professionnelles, à l'instar de ce qui s'est vu sur eBay, le fisc pourrait se fâcher. C'est le cas d'un conducteur qui vivrait du covoiturage en traversant quotidiennement la France. Ou d'un particulier qui louerait de multiples habitations en oubliant de déclarer ces revenus.

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Richard Milchior. © Granrut

Concurrence déloyale

Ces entrepreneurs qui s'ignorent peuvent aussi s'apparenter à des travailleurs au noir. La justice française a par exemple considéré qu'un plombier qui échangeait ses prestations contre des biens matériels réalisait un travail clandestin.

Enfin, au-delà du manque à gagner pour les finances publiques, l'absence de fiscalité peut, dans les cas extrêmes, conduire à une certaine concurrence déloyale vis-à-vis des professionnels soumis aux charges sociales, aux taxes et aux impôts. Et contraints, parfois, de respecter des règles très strictes propres à leur activité (sécurité, traçabilité...).

L'assurance

Une autre problématique concernant de nombreux acteurs du secteur concerne les assurances. Vous sous-louez votre appartement à un inconnu qui le dévaste. Votre assurance habitation prend-elle les réparations en charge alors que vous étiez absent ? Les garanties proposées par les sites comme AirBNB sont-elles à la hauteur ? Les mêmes questions se posent pour la location de voiture, par exemple en cas d'accident grave. Et que se passe-t-il lorsque le conducteur se révèle insolvable ?

Cela dit, au-delà de ces grandes thématiques, les éventuelles incertitudes juridiques méritent que l'on se penche sur des cas particuliers. "Les limites juridiques de la sharing economy sont extrêmement variées", souligne Richard Milchior. De fait, chaque activité pose des questions spécifiques. Petite liste non exhaustive.

L'hébergement

En ce qui concerne la location d'appartement, c'est du côté du Code de la construction qu'il faut lorgner. Son article L631-7 limite la location saisonnière dans les villes de plus de 200 000 habitants. Mais cette disposition vise d'abord à encourager la mise sur le marché de logements à destination des locataires des grandes villes, pas à protéger les hôteliers... On est encore loin du cas new-yorkais d'AirBNB.

L'automobile

Le partage des frais d'un trajet dans le cadre du covoiturage est difficilement contestable. La loi ne saurait vous empêcher de prendre un passager de votre quartier pour l'emmener à son bureau situé près du vôtre.

Pour l'instant, la location de voiture entre particulier ne parait pas de son côté menacer Hertz, Avis ou Europcar. "A ma connaissance, les grands loueurs n'envisagent pas d'action pour concurrence déloyale, souligne Richard Milchior. Cela s'apparenterait plutôt à de la concurrence low-cost."

"J'ai vu une annonce proposant de troquer une licence IV contre un monospace..."

L'échange de produits

Le troc, qui peut s'apparenter à de la sharing economy, ne date pas d'hier. Il est d'ailleurs encadré par les articles 1702 et suivants du Code civil datant de... 1804. A priori, peu de problèmes juridiques nouveaux apparaissent, même avec des transactions sur Internet.

Sauf que tout ne s'échange pas aussi simplement qu'une console de jeux ou un livre. "J'ai vu une annonce proposant de troquer une licence IV contre un monospace de 15 000 euros, s'étonne Richard Milchior. Qu'en pensera l'autorité administrative, chargée de contrôler les titulaires de la licence des débits de boisson ?"

Le crowdfunding

Alors qu'il n'est pas encore encadré par la loi française, le crowdfunding conserve des zones d'ombre. La finance participative pose, entre autres, la question du respect du contrat. Que se passe-t-il si le résultat n'est pas conforme aux promesses initiales sur lesquelles les financeurs ont misé ?

Les Amap

L'activité des associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (Amap), dans lesquelles des consommateurs s'engagent à récupérer régulièrement un panier de victuailles fourni par un ou plusieurs producteurs, sont parfois associées à une acception large de la sharing economy. Dans ce cas, les problèmes d'ordre alimentaire peuvent se poser. Court-circuiter les intermédiaires conduit aussi à limiter les contrôles vétérinaires et sanitaires.

La sharing economy, par ses contours flous, son émergence récente et ses multiples facettes n'est pas ouvertement menacée par certaines normes juridiques. Par certains aspects, cette activité semble même en partie protégée par le droit. Mais, au fur et à mesure de son développement, le juge comme le législateur seront certainement conduits à encadrer ces activités de manière plus précises.