Retour vers le futur pour le droit d'auteur des journalistes

Les journalistes ont connu une profonde refonte du régime juridique de leurs droits d'auteur avec la loi "HADOPI" du 12 juin 2009, bien plus connue pour ses dispositions relatives à la fameuse "riposte graduée". Avant cette loi, l'employeur d'un journaliste salarié ne pouvait publier qu'une seule fois les articles de ce dernier.

Pour que d'autres utilisations soient possibles, le journaliste et son employeur devaient convenir d'une cession des droits de propriété intellectuelle en bonne et due forme, notamment pour permettre la reproduction des articles sur le site internet du journal.
Ce régime contraignant pour les sociétés de presse a été revu en catimini, presque par surprise. Depuis juin 2009, la loi prévoit une cession à titre automatique et exclusif des droits d'auteur sur les articles au profit de l'employeur. Il s'agit de permettre aux entreprises de presse de bénéficier, du simple effet de la loi, de tous les droits pour pouvoir exploiter et réexploiter les articles des journalistes de manière paisible, sans solliciter l'autorisation de ces derniers.
Cette cession vaut de manière globale pour un même "titre de presse" : une déclinaison web d'un journal papier est donc un support qui bénéficie de la cession automatique. Il est même possible qu'un accord collectif prévoie une cession au sein d'une "même famille cohérente de presse", ce qui permet à l'entreprise de reproduire les articles du journaliste dans une autre publication que le support d'origine et sa déclinaison web.
Ces dispositions étant favorables aux sociétés de presse, leur application est recherchée pour justifier de la diffusion des articles des journalistes sur d'autres supports que le journal d'origine. Mais la Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 30 janvier 2014 qu'elle ne s'appliquait pas à tous les cas de figure.
Dans cette affaire, un journaliste du magazine Historia reprochait à son employeur d'avoir diffusé soixante-six de ses articles sur le site internet historia.fr et d'avoir également autorisé le magazine brésilien Historia Viva à en reproduire sept. Le journaliste soutenait qu'il n'avait jamais cédé ses droits à son employeur à cette fin, notamment en vue d'une diffusion sur internet. Cette position classique en termes de droits d'auteur s'opposait frontalement à l'argumentation développée par l'éditeur du magazine, qui revendiquait pour sa part l'application de la loi HADOPI.
Cependant, la Cour de cassation a approuvé la Cour d'appel de lui avoir refusé le bénéfice de ces dispositions. En effet, en vertu du principe d'application immédiate de la loi, la cession automatique ne pouvait pas concerner des articles rédigés antérieurement à son entrée en vigueur. Or, en l'espèce, les textes litigieux avaient été rédigés entre janvier 2005 et avril 2009. N'ayant pas fait l'objet d'une convention de cession expresse autorisant leur reproduction sur de nouveaux supports, l'éditeur n'était pas investi ni du droit de les diffuser sur internet, ni du droit de céder les articles à un tiers. Il a donc commis des actes de contrefaçon de droit d'auteur.
Cette affaire est d'ailleurs presque un cas d'école, car l'éditeur a également été condamné pour ne pas avoir mentionné le nom du journaliste sur le site internet. Il s'agit d'une violation du droit à la paternité de l'auteur, qui dispose d'une prérogative de droit moral prévue par le Code de la propriété intellectuelle, lui permettant de voir son nom associé à ses œuvres lors de chaque utilisation.
A cet égard, l'éditeur contestait l'originalité des articles (en fait des interviews) et soutenait donc que les dispositions relatives au droit moral n'étaient pas applicables. L'arrêt de la Cour de cassation rappelle donc que la retranscription écrite d'entretiens oraux peut bénéficier de la protection par le droit d'auteur si la forme est "élaborée, fruit d'un investissement intellectuel".
Cette décision est également intéressante sur un plan procédural, en ce qu'elle précise que l'appelant dispose d'un délai de trois mois pour déposer ses conclusions à compter de la déclaration d'appel, mais que ce délai ne s'applique pas à la communication des pièces au soutien de ces conclusions.
Ces pièces doivent simplement être transmises "en temps utile".
Bref, voici une décision riche en enseignements !