Compétence des juges français en matière d’atteinte aux droits d’auteur : le critère de l’accessibilité consacré

Par trois arrêts rendus le 22 janvier 2014, la Cour de cassation a jugé que les juridictions françaises sont compétentes pour connaître des actions en contrefaçon de droits d’auteur, dès lors que les sites internet ou réseaux hertziens qui diffusent les contenus ou supports argués de contrefaçon sont accessibles en France.

M. Pinckney c. KDG Mediatech (Cass. 1re civ, 22 janv. 2014, n°10-15.890)

La première affaire opposait un auteur-compositeur résidant en France à une société autrichienne ayant reproduit son album sur des supports CD sans autorisation. Les supports litigieux avaient par la suite été commercialisés par des sociétés situées en Angleterre, via un site internet accessible, notamment, depuis la France. Monsieur Pinckney avait notamment pu se procurer une preuve d’achat et de livraison des supports litigieux en France.
La Cour d’appel de Toulouse s’était déclarée incompétente au motif que, tant le domicile du défendeur que le lieu de réalisation du dommage allégué n’étaient pas situés en France mais en Autriche ou au Royaume Uni.
La Cour de cassation avait saisi l’opportunité du pourvoi de Monsieur Pinckney pour soumettre plusieurs questions préjudicielles à la Cour de Justice, afin, notamment, de déterminer si, au sens de l’article 5-3 du Règlement (CE) n°44/2001 en matière de compétence judiciaire, les juridictions françaises étaient compétentes, dès lors que le site internet commercialisant les supports prétendument contrefaisants était accessible en France, sans pour autant être destiné au public français.
Dans son arrêt du 3 octobre 2013, la CJUE (C-170/12) a retenu que l’accessibilité au site internet commercialisant les supports litigieux dans un Etat membre suffisait à asseoir la compétence des juridictions dudit Etat membre pour les dommages subis sur son territoire.
La Cour de cassation a donc, dans son arrêt du 22 janvier 2014, appliqué la solution dégagée par la Cour de Justice: « l’accessibilité, dans le ressort de la juridiction saisie, d’un site Internet commercialisant le CD argué de contrefaçon est de nature à justifier la compétence de cette juridiction, prise comme celle du lieu de la matérialisation du dommage allégué ».
Pour la Haute juridiction, il n’est donc plus nécessaire que le site internet permettant de se procurer les supports litigieux soit destiné au public français pour que les juridictions françaises soient compétentes.
Mais la Cour de cassation ne s’est pas arrêtée là. Elle n’a pas hésité, dans deux autres arrêts rendus le même jour, à faire une interprétation pour le moins extensive de la solution rendue par la CJUE.

Samuel X. C. BBC (Cass. 1re civ, 22 janv. 2014, n°11-24019)

La deuxième affaire soumise à la Cour de cassation opposait l’ayant droit d’un photographe français à la BBC, suite à la diffusion, sur l’une des chaînes du groupe britannique et sur Youtube, d’un documentaire reproduisant plusieurs de ses œuvres.
La Cour d’appel saisie s’était déclarée incompétente au motif, d’une part, que la BBC était étrangère à la diffusion du documentaire litigieux sur Youtube et d’autre part, que les chaînes de la BBC ne sont accessibles sur le territoire français que sous réserve d’un abonnement et d’une domiciliation au Royaume-Uni, de sorte que le documentaire litigieux n’était pas destiné au public français.
Dans ses questions préjudicielles posées à l’occasion de l’affaire Pinckney, la Cour de cassation avait tenté d’obtenir une position de la CJUE pour les cas de mise en ligne de contenus dématérialisés sur un site internet accessible depuis un Etat membre. Mais la Cour de Justice avait circonscrit sa décision à l’hypothèse d’une commercialisation en ligne de supports contrefaisants.
Dans son arrêt Samuel X. c. BBC du 22 janvier 2014, la Cour de cassation a donc décidé d’étendre la solution dégagée par la CJUE dans l’affaire Pinckney à la mise à disposition de contenus dématérialisés, par voie hertzienne ou via internet.
A cet égard, l’argument selon lequel les chaînes de la BBC ne sont accessibles sur le territoire français que sous réserve d’un abonnement et d’une domiciliation au Royaume-Uni n’a pas suffi à écarter la compétence des juridictions françaises.
Mieux, le fait que la BBC soit étrangère à la diffusion du documentaire sur Youtube n’a pas été pris en compte par les juges.
La Cour de cassation a ainsi considéré que les juridictions françaises demeurent compétentes dès lors que l’œuvre litigieuse est disponible via un site internet ou une chaine de télévision accessible en France, même si le défendeur est étranger à cette mise en ligne.
Le troisième arrêt rendu par la Cour de cassation le 22 janvier 2014 étend, lui, la portée de l’arrêt Pinckney aux contentieux internationaux du droit d’auteur.

Korda c. Onion/The Onion (Cass. 1re civ, 22 janv. 2014, n°11-26822)

L’affaire opposait les ayants droits d’Alberto Korda, auteur de la célèbre photographie du «Che au béret et à l’étoile », à une société américaine qui proposait à la vente, sur son site internet, des tee-shirts reproduisant ladite photographie.
Dans la mesure où il ne s’agissait pas ici d’un contentieux intra-communautaire mais international, il n’était plus question d’interpréter les dispositions du règlement 44/2001 mais de faire application de l’article 46 du Code de procédure civile.
La Cour de cassation n’a pourtant pas hésité à transposer l’interprétation de l’article 5-3 du Règlement communautaire au contentieux international. Dans un attendu rédigé en des termes presque identiques, la Cour de cassation a jugé qu’en l’espèce, la seule accessibilité du site litigieux en France suffit à retenir la compétence des juridictions françaises.

Par ces trois arrêts, la Cour de cassation confère une compétence très large aux tribunaux français, pour connaître des litiges portant sur un contenu, matérialisé ou dématérialisé, disponible via internet ou sur le réseau hertzien accessibles en France.
Le lien de rattachement au public français, régulièrement exigé par les juges du fond pour justifier de leur compétence, ne semble plus devoir être démontré.
Si la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de la compétence territoriale des juridictions françaises, il reviendra aux cours d’appel de renvoi de trancher, au fond, sur l’existence des actes de contrefaçon allégués, sur la responsabilité des défendeurs, du fait de la commercialisation et de la diffusion en France des œuvres litigieuses et sur l’existence même d’un dommage sur le territoire français.
Enfin, la question se pose de savoir si l’ambition de la Cour de cassation pourrait dépasser le stricte cadre de l’atteinte aux droits d’auteur pour s’étendre aux autres droits privatifs.
Dans son arrêt du 3 octobre 2013, la Cour de Justice avait pris soin de préciser que « le lieu de matérialisation du dommage au sens de (l’article 5 point 3 du règlement) peut varier en fonction de la nature du droit prétendument violé », et avait pris l’exemple des différentes solutions rendues précédemment en matière de droits de la personnalité et de droit des marques.
Il n’est toutefois pas exclu que l’ambition dont a fait montre la Cour de cassation à l’occasion de ces trois arrêts du 22 janvier 2014 la pousse à étendre la portée de la jurisprudence Pinckney au-delà des problématiques de droit d’auteur.