Le problème de la pub intrusive peut-il être résolu par l’adblocker de Google Chrome ?

Les rumeurs vont bon train autour du lancement prochain d’un adblocker dans Chrome par Google. Evidemment, cela génère des inquiétudes sur une probable hégémonie de Google dans le secteur de la publicité et son paysage concurrentiel.

Voici une histoire qui attirera certainement votre attention. A première vue, c’est un peu un comble qu’une entreprise dont la majeure partie des revenus provient de la publicité permette non seulement aux utilisateurs de son navigateur de bloquer l’apparition des publicités, mais en plus que cette option soit paramétrée par défaut. Si les rumeurs disent vrai, l’ajout d’un adblocker dans Chrome aurait pour effet immédiat de limiter le reach des publicités à un peu plus de la moitié des internautes dans le monde. C’est pourtant un changement majeur mais nécessaire à plusieurs égards.

L’adblocking est actuellement une tendance croissante, sur laquelle le secteur de la publicité a une emprise limitée. Selon eMarketer, 20,9% des internautes de Grande Bretagne utilisent un adblocker. Aux Etats-Unis, cette part monte à 27,5%. Cependant, le fait d’être exposés à des publicités permet aux consommateurs de participer à un échange de valeurs. Internet est très majoritairement gratuit grâce à la publicité – les internautes achètent en effet leur droit d’accès à un site web en échange de leur exposition aux publicités. En empêchant la diffusion de ces dernières, les adblockers compromettent cet accord tacite entre les internautes et les sites, et pourraient ainsi conduire à la destruction d’un business modèle principalement à l’origine d’internet.

Jusqu’à ce jour, les éditeurs des adblockers décident eux-mêmes quelles publicités sont bloquées et quelles sont celles qui passent leurs filtres sans encombre. En effet, il existe souvent des whitelists, qui permettent à certaines publicités d’être mises en avant sur les sites alors même que l’option d’adblocking est activée. Cependant le passage de ce filtre est davantage le résultat d’une rétribution que celui d’un jugement de l’adblocker basé sur la qualité de ces publicités. Par exemple, il a été rapporté Google paie pour faire figurer ses publicités sur la Whitelist de AdBlock Plus.

Il est donc plus que nécessaire aujourd’hui de créer un cadre plus formel et de faire la lumière sur ce qui est bloqué et ce qui ne l’est pas. De plus, cette initiative pourrait bénéficier à l’ensemble des parties, que ce soit les internautes, les annonceurs ou le secteur de la publicité en général.

Mais intéressons-nous d’abord à l’élément à l’origine de ces adblockers.

L’adblocking n’est pas vraiment la conséquence directe de la diffusion de publicités sans intérêt ou de qualité discutable. Si elles ne sont pas pertinentes pour l’internaute, les publicités perdent tout leur sens – elles agacent les utilisateurs et cet agacement finit par déteindre sur l’image de la marque. Les publicités doivent avoir un intérêt à la fois pour l’internaute et pour l’annonceur. Elles doivent susciter une émotion positive du consommateur d’une marque ou d’un produit. Cependant, il est malheureusement trop fréquent en display que l’internaute réagisse négativement face à une publicité.

La raison ? De nombreuses publicités sont conçues pour accaparer l’attention et générer un clic. Dans de trop nombreux cas, les publicités ne sont pas créées dans l’intérêt premier de la marque qu’elles représentent. Elles sont davantage réalisées dans le but de générer des résultats valides dans le cadre du modèle d’attribution auquel elles appartiennent, plutôt que celui d’engendrer un véritable retour sur investissement. De nombreuses publicités, en ligne à ce moment même, ne profitent ni à l’internaute, ni à la marque. En réalité, elles ont souvent un impact négatif sur les deux. De plus, certaines pratiques de retargeting publicitaire accentuent cet effet néfaste, avec l’affichage répété de publicités sans intérêt auprès des internautes tout au long de leur navigation.

Les rumeurs indiquent également que n’importe quel adblocker intégré dans Google Chrome filtrerait les publicités les plus intrusives pour les internautes. Ceci étant dit, en fonction de la tournure réelle que cela prendra,  empêcher la diffusion de certaines des publicités les plus agaçantes irait à l’encontre des intérêts des utilisateurs, des marques et du secteur de la publicité en général, y compris des éditeurs de sites. Google a d’ores et déjà indiqué « collaborer étroitement » avec l’organisation "Coalition for Better Ads", et il semble que les critères de Better Ads jouent un rôle important dans la sélection des publicités identifiées comme étant les plus intrusives. Est-il besoin de préciser que les acteurs de la publicité responsables ne proposent pas les formats publicitaires intrusifs épinglés par la coalition ?

En revanche, faire barrage à certains formats publicitaires n’apportera pas forcément une réponse suffisante à la problématique des publicités de qualité médiocre qui a une part de responsabilité importante dans l’émergence des ad blockers. Au lieu de réfréner le désir des internautes de bénéficier d’un filtre général ne laissant plus passer aucune publicité, il faudrait plutôt s’attacher à résoudre le problème des publicités de mauvaise qualité.

Dans un article pour Digiday, Jessica Davies and Lucia Moses, journalistes, ont déclaré que les lecteurs "ne devraient pas s’attendre à être pénalisés par une moitié d’écran de publicités en haut de leurs résultats de recherche, et cela même si Google officie comme le champion dans ce domaine." Ceci est précisément ce que d’aucuns considèrent comme la source du problème. Même si l’information est toujours à l’état de rumeur, et même si Google reporte la responsabilité de l’identification des publicités intrusives à la "Coalition for Better Ads" ou toute autre organisation tierce, le pouvoir que Google détiendrait sur une telle organisation ne ferait qu’augmenter la probabilité que des décisions racoleuses sur la qualité des publicités profitent d’abord au propre intérêt commercial du géant du Web. C’est exactement cette inquiétude qui a attiré l’attention à l’Union Européenne, lorsque Margrethe Vestager, Commissaire Européen pour la compétitivité, a tweeté : "Nous suivrons de près cette nouvelle option et ses futurs effets".

Au bout du compte, la question est de savoir qui déterminera le niveau d’intrusion des publicités et de quel processus cette décision découlera. D’après mon expérience, le niveau d’appréciation peut largement varier d’une personne ou organisation à une autre.

Google est-il en position d’exercer une quelconque influence sur l’établissement des règles auxquelles l’ensemble des annonceurs devront se conformer pour permettre la visibilité de leurs publicités par la majorité des internautes ? Probablement pas. Mais de manière générale, si cette solution a pour effet d’améliorer la qualité générale des publicités en ligne, une telle mesure aura également le mérite d’être positive tant pour les annonceurs que pour les consommateurs.

La diminution de l’audience des publicités de piètre qualité ou sans intérêt conduira à la disparition de ces mêmes messages publicitaires qui compromettent le niveau de confiance des internautes dans la publicité. Par conséquent, la confiance des consommateurs dans la publicité digitale a de grandes chances d’évoluer à la hausse dans le futur. En revanche, il ne s’agit pas uniquement d’une discussion sur les formats publicitaires – le contenu des publicités doit également être pris en compte. En effet, plus l’intérêt d’un contenu est fort pour un consommateur, plus le bénéfice sera important pour lui comme pour la marque. C’est une relation de cause à effet que je constate au quotidien. En personnalisant les publicités, ainsi que leur fréquence de diffusion auprès des internautes, l’intérêt pour les messages publicitaires augmente, ayant ainsi un effet positif sur la confiance du consommateur et le retour sur investissement des campagnes digitales des marques.

Traiter de la notion d’intrusion et de l’avenir de la publicité digitale ne doit pas avoir pour effet la seule limitation de certains formats publicitaires. Afin de générer un retour sur investissement tangible, les publicités se doivent d’être pertinentes pour les consommateurs. Et à ma connaissance, une plus grande pertinence en publicité est également la meilleure méthode d’adblocking qui existe.