Pourquoi les collectivités locales tardent à passer au cloud

Pourquoi les collectivités locales tardent à passer au cloud Comme pour tous leurs investissements, elles récupèrent la TVA sur les serveurs qu'elles achètent. Elles ont donc peu intérêt à louer de la puissance informatique.

Les collectivités locales ne sont pas incitées à évoluer vers le cloud. Pire, tout est fait pour les en dissuader financièrement. Un dispositif leur permet en effet de récupérer, à un taux forfaitaire, la TVA sur leurs investissements. Et si ce mécanisme géré par le Fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) peut porter sur l'achat de serveurs, les collectivités locales ne peuvent en bénéficier dans le cadre d'achat de capacités cloud.

"L'objectif est de pousser les villes à adopter un mode de gestion vertueux" (Benoit Clavel, DSI de Courbevoie)

"L'objectif est de pousser les villes à adopter un mode de gestion vertueux. Ce qui est plutôt positif en soi. En matière informatique, ce mécanisme contribue à réduire drastiquement les coûts d'une salle serveurs. Mais cela rend mécaniquement beaucoup moins intéressant la location de ressources machines sur un cloud public", pointe Benoit Clavel, DSI de la ville de Courbevoie.

De son côté, Guillaume Ors, DSI de la ville de Versailles et de Versailles Grand Parc, conseille de comptabiliser d'abord le coût total de possession (TCO) d'une salle serveurs avant de jeter le cloud aux orties. "Il faut évaluer la dépense d'investissement dans les équipements certes, mais aussi celle liée au maintien opérationnel de l'infrastructure : les coûts de maintenance, en alimentation électrique, le salaire de l'agent 'équivalent temps plein' mobilisé pour l'administrer... C'est l'ensemble de la charge financière d'un tel projet qui doit être mis dans la balance", souligne Guillaume Ors. De ce point de vue, le recours au cloud apparaîtrait immédiatement un peu plus intéressant financièrement.

Le SaaS : un domaine plus accessible

Pour Benoit Clavel, investir dans des serveurs est également en phase avec le mode de fonctionnement d'une collectivité locale. "C'est une organisation dont la durée de vie est par définition plus étendue que celle de beaucoup d'entreprises. Elle mène des projets sur le long terme, que ce soit dans la voirie, la construction d'écoles... Et de même dans l'informatique. La ville de Courbevoie conserve par exemple en moyenne un logiciel pendant 10 ans. Nous venons de changer notre application de gestion de bibliothèque qui était en place depuis 36 ans ! Une gouvernance des dépenses par l'investissement est clairement cohérente dans ce contexte", analyse le DSI.

"Tous les systèmes qui ne sont pas liés au métier sont éligibles au cloud" (Guillaume Ors, DSI de Versailles)

Beaucoup de systèmes propres aux métiers d'une collectivité doivent par ailleurs être conservés en interne, au sein de datacenters installés sur site. "Par exemple ceux liés à la gestion de l'état civil au sein d'une mairie", indique Guillaume Ors. "Il va de soi que les données personnelles qu'ils renferment font partie du patrimoine informationnelle de la ville."

Le cloud pourrait-il être néanmoins envisagé dans certains cas ? Le DSI de la mairie de Courbevoie n'a pour l'heure pas mis en œuvre de solution cloud du tout. "C'est trop cher dès lors que nous ne pouvons pas faire passer en investissement une ligne qui touche à la location d'infrastructure sur un IaaS (pour Infrastructure as a Service, ndlr)", lâche Benoit Clavel. Impossible de récupérer la TVA sur ce type de prestation. Sans compter un autre obstacle : les collectivités locales pourront se tourner uniquement vers des clouds qui acceptent les paiements par mandats administratifs. Exit donc les fournisseurs qui se limitent aux versements par carte bancaire. "Les grands acteurs du cloud prennent en charge en général les mandats administratifs. Mais ce n'est pas le cas de tous les acteurs", constate Benoit Clavel.

Une solution intermédiaire : le cloud privé mutualisé

De son côté, Guillaume Ors estime que "tous les systèmes qui ne sont pas liés au métier sont éligibles au cloud". C'est dans cette logique que la mairie de Versailles a choisi de se tourner vers Office 365 pour gérer sa messagerie. La suite de Microsoft évite à la municipalité d'avoir à maintenir en interne les trois à quatre serveurs nécessaires pour supporter un tel système. "Office 365 nous fournit aussi plusieurs briques complémentaires : SharePoint pour la gestion de documents ou encore Teams pour la collaboration d'équipe", ajoute Guillaume Ors.

Mais Office 365 s'inscrit dans le domaine des applications en mode SaaS (pour Software as a Service). Un segment du cloud par définition plus proche de la logique du logiciel que de l'infrastructure serveur. Partant de là, et en vue de répondre aux contraintes des collectivités locale, Microsoft donne la possibilité de transformer son modèle par abonnement en contrat de licence, avec un droit d'utilisation sur une durée en général pluriannuelle. Un tour de passe-passe qui permet ensuite à la collectivité de déclarer la dépense comme un investissement avec TVA déductible. "En revanche s'il s'agit d'externaliser une infrastructure informatique au sens strict, il ne sera clairement pas possible de récupérer la TVA", confirme Guillaume Ors. Donc faire appel au IaaS reste peu avantageux financièrement pour les collectivités territoriales.

Existe-t-il malgré tout une solution pour sortir de l'impasse ? "On pourrait imaginer une voie intermédiaire avec des clouds d'infrastructure mutualisés entre plusieurs villes, via par exemple des structures de syndicat intercommunal. Cela permettrait de mutualiser certains coûts", estime Benoit Clavel. "Les technologies sont désormais mûres pour monter ce type de projet. Je pense notamment à OpenStack et OpenNebula." Reste la délicate question des logiciels métier. Pour Benoit Clavel, ils pourraient mal s'accommoder d'une telle démarche, "du fait notamment de leur dimension trop spécifique à chaque collectivité".