La dématérialisation, au-delà de la technique…

La mise en œuvre de la dématérialisation n’est pas qu’un chantier technique. Eût égard aux enjeux et aux défis qu’elle soulève, elle requiert une méthodologie globale de mise en œuvre devant garantir la diffusion de ses bénéfices à l’ensemble des acteurs de l’entreprise.

La dématérialisation est née au sein de l’entreprise via des initiatives ciblées portées par certains secteurs d’activité en particulier, tels que la grande distribution ou l’automobile. Les récentes avancées réglementaires constatées en France sur la dématérialisation des factures, en 2013 (mise en place de la piste d’audit fiable[1]) ou en 2014 (calendrier d’obligation de facturation électronique à destination de l’Etat[2]), et les nouvelles solutions multicanales associées à la révolution digitale sur l’ensemble des processus d’achat et de vente, ont annoncé un développement sans précédent pour les années à venir. Sans une méthodologie d’accompagnement adaptée, l’Entreprise risque de se perdre dans une logique du « tout technologique », s’éloignant des objectifs premiers de la mise en œuvre d’opérations de dématérialisation (réduction des temps de traitement, partage de l’information facilitée, fluidification et traçabilité des flux). Or, une trop rapide anticipation peut désorienter les utilisateurs, pourtant moteurs de l’efficacité organisationnelle.

La dématérialisation : une rupture dans l’entreprise !

Le passage au format numérique permet à l’entreprise de s’affranchir des contraintes temporelles liées à l’envoi postal. Le développement des réseaux a permis un accès instantané et partagé à l’information, facilitant ainsi le travail collaboratif sur des espaces dématérialisés communs (« Les bureaux virtuels »).

L’exploitabilité directe des documents numériques et leur intégration par les outils de gestion, permettent des gains substantiels de traitement. Du point de vue des décideurs, cet élément constitue l’un des objectifs moteurs dans le choix de l’application du numérique au processus de facturation[1]. La transmission électronique des données (factures, commandes, catalogues d’articles…) permet en effet de réduire ou d’éliminer les tâches de saisie associées. La mise en place de workflows outillés et de restitutions automatisées admettent l’identification de goulots d’étranglement dans le processus. Résultats, les opérateurs bénéficient d’un meilleur contrôle de l’engagement et de la réalisation de la dépense.

Les retours d’expériences montrent que ces évolutions vont de pair avec un recentrage des acteurs sur les tâches à forte valeur ajoutée (analyse, arbitrage, négociation). Elles s’accompagnent le plus souvent d’une centralisation des fonctions (comptabilité, achat, approvisionnement…), d’une refonte des profils des acteurs et d’une professionnalisation de certains rôles anciens ou nouveaux qui s’affranchissent des tâches de saisie pour se consacrer à leur cœur de métier. Ainsi, l’approvisionneur est mis en situation de pouvoir centraliser et optimiser le processus de passation des commandes sur la base des expressions de besoins émanant de l’ensemble de l’entreprise. Le gestionnaire de catalogues garantit l’industrialisation du processus via l’extension et la généralisation progressive de l’e-procurement. Le comptable fournisseur, soulagé des tâches de saisie, devient le pilote de la résolution des écarts de rapprochement entre la facture, la commande et la réception. 

Le lancement de chantiers de dématérialisation revêt donc un caractère multiple en raison du foisonnement des évolutions offertes, de leur caractère interconnecté et impactant fortement les processus et les rôles des acteurs de l’entreprise. Compte tenu de l’importance de ces changements, les méthodologies de projet traditionnelles se révèlent aujourd’hui lourdes et peu adaptées…

Définir une feuille de route et avancer par étape

Pour éviter les rejets ou l’exécution de solutions non pérennes, il est primordial de travailler sur la base d’une étude d’opportunités et de définir une feuille de route de mise en œuvre. La feuille de route du projet permettra de prioriser les différents chantiers et tiendra compte des initiatives déjà lancées par l’entreprise. Elle permettra de faire le lien entre les éléments de faisabilité (technique, organisationnel, processus, réglementaire) et le retour sur investissement attendu.

La méthodologie traditionnelle en V, basée en pratique sur un enchaînement linéaire de longues phases projet (conception, réalisation, tests, recette) sur l’ensemble du périmètre, présente des faiblesses sur ce type de chantiers, à la fois en raison de la rapidité d’évolution des besoins et des outils, mais aussi en raison de la complexité des changements induits par cette transformation. Il se révèle moins risqué de procéder par courtes étapes en confrontant régulièrement l’avancement de la conception théorique à la réalisation dans les outils, plutôt que d’attendre une recette finale sur la totalité des fonctionnalités mises en œuvre. L’allotissement de ce type de projets sur de multiples cycles itératifs de conception / réalisation, validés par un prototype outil, permettra ainsi d’acter la bonne marche du projet. Un échantillon des futurs utilisateurs doit être sollicité comme porteur et contributeur tout au long des différentes phases du projet, pour valider l’adéquation avec leurs besoins, les sensibiliser aux problématiques d’évolution des processus et des organisations, et les rendre acteurs des futures formations.

Les retours d’expérience montrent également l’importance d’une conduite du changement d’ampleur, à la fois auprès des utilisateurs en interne et des partenaires externes, pour les former à l’utilisation de ces nouveaux canaux d’échange. Sans cela, l’entreprise s’expose à une dérive de ses processus cibles (réimpressions, erreurs d’adressage, manque de suivi des documents en attente de traitement) mettant en péril le retour sur investissement attendu.

S’adapter pour progresser

La dématérialisation ouvre de grandes opportunités de décloisonnement des systèmes & organisations, dont découlent une industrialisation des processus, une amélioration du contrôle interne et une fluidification des échanges entre les acteurs. Afin de garder le contrôle sur la conduite de ses projets et de garantir la réalisation des bienfaits attendus, l’entreprise devra adapter sa méthodologie aux nouvelles règles de l’art en la matière, qui se veulent souples, innovantes et participatives à l’image des nouveaux outils mis à disposition par le marché. Elle devra en outre veiller à l’adoption par ses collaborateurs et partenaires des nouvelles procédures à mettre en œuvre, via une conduite du changement significative, et la mise en place d’indicateurs de suivi adaptés.


[1] Source : Markess, « Généraliser la dématérialisation des factures et la facturation électronique » – Oct. 2014

[2] Autorisation d’échange de factures par voie électronique sous un format convenu entre partenaires, à condition de pouvoir établir une piste d’audit fiable en cas de contrôle fiscal – Art. 289 VII 1° du CGI

[3] Article 3 de l’ordonnance du 26 Juin 2014 relative au développement de la facturation électronique