La vente d'un ordinateur pré-équipé de logiciels ne constitue une pratique commerciale déloyale ou trompeuse

Par un arrêt récent, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence dans le contentieux des ordinateurs pré-équipés de logiciels. Le point.

Dans cette affaire, un consommateur a acquis un ordinateur de la marque Sony, équipé de logiciels préinstallés. Refusant de souscrire au contrat de licence du système d’exploitation, il a sollicité de la société Sony le remboursement de la partie du prix d’achat correspondant au coût des logiciels préinstallés. Cette société a rejeté cette demande au motif que les logiciels formaient avec l’ordinateur une offre commerciale unique et indissociable, mais a proposé à l’acquéreur d’annuler la vente et de lui rembourser la totalité du prix payé. Insatisfait de cette proposition, le consommateur a assigné Sony en paiement d’une indemnité forfaitaire au titre des logiciels préinstallés et de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait des pratiques commerciales qu’il estimait déloyales. Débouté de l’ensemble de ses demandes par les juges du fond, le requérant a formé un pourvoi en cassation.

Dans ce contexte, la Cour de cassation a relevé que les dispositions en cause (e.g. correspondant aux articles L. 121-1, L 121-3 et L 121-11 du nouveau code de la consommation) entraient dans le champ d’application de la directive européenne 2005/29 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur. Elle a ainsi décidé de surseoir à statuer (Civ. 1re, 17 juin 2015, n° 14-11.437, X c/ Sony) et de soumettre à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) les questions préjudicielles suivantes :

  • La pratique consistant à vendre un ordinateur équipé de logiciels préinstallés sans possibilité pour le consommateur de se procurer auprès du même fabricant le même modèle d’ordinateur non équipé de tels logiciels constitue-t-il une pratique commerciale déloyale ?
  • Dans le cadre d'une offre conjointe consistant en la vente d’un ordinateur équipé de logiciels préinstallés, l’absence d’indication du prix de chacun de ces logiciels constitue-t-il une pratique commerciale trompeuse ?

Dans son arrêt du 7 septembre 2016 (CJUE, 7 sept. 2016, C-310/15) la CJUE a d’une part considéré que la pratique en cause ne constituait pas, en tant que telle, une pratique commerciale déloyale au sens de la directive 2005/29. Selon la Cour, il appartient à la juridiction nationale de vérifier au regard des circonstances de l’espèce (en l’occurrence, lorsque le consommateur a été informé, avant l’achat, que le modèle d’ordinateur n’était pas commercialisé sans logiciels préinstallés) si une telle pratique présente les caractéristiques d’une pratique commerciale déloyale, à savoir : si elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle, et si elle altère ou est susceptible d’altérer, de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen par rapport à ce produit.

D’autre part, la CJUE a estimé que l’absence d’indication du prix de chacun des logiciels préinstallés ne constituait pas une pratique commerciale trompeuse.

Dans l’arrêt rapporté (Cass. civ. 1ère, 14 déc. 2016, n° 14-11.437), la Cour de cassation, tenue à une interprétation conforme du droit européen, a tiré  logiquement les conséquences de la décision de la CJUE.

Elle approuve d’abord la cour d’appel d’avoir jugé que la pratique commerciale en cause n’était pas déloyale au sens du texte susvisé. En effet, selon elle, il ne pouvait être reproché à Sony d’avoir manqué aux exigences de la diligence professionnelle alors qu’une analyse de marché l’avait conduite à vendre un ordinateur pré-équipé pour répondre aux attentes d’une part importante de consommateurs qui « préfèrent disposer d’un produit unique préinstallé et d’utilisation immédiate plutôt que d’acheter séparément les divers éléments le composant et de procéder à une installation jugée difficile (...) ou non souhaitée ». La Cour relève également que Sony a proposé au consommateur le remboursement de l’ordinateur. Enfin, elle souligne - pour démontrer également l’absence d’altération substantielle du comportement du consommateur - que ce dernier a été informé de l’existence des logiciels préinstallés et de leurs caractéristiques, ce qui lui permettait de faire un choix différent en achetant un autre appareil vendu avec, ou sans, logiciels.

Ensuite, la Cour de cassation se retranche sans surprise derrière la décision de la CJUE en jugeant que la pratique en cause n’est pas trompeuse, dès lors que l’indication du prix de chacun des logiciels ne constitue pas une information substantielle pour le consommateur. Selon la Cour, seule l’indication du prix global de l’ordinateur importe.

Cette décision constitue, en droit interne, un revirement jurisprudentiel : jusqu’à alors, la Cour de cassation considérait que la pratique était déloyale dès lors que le consommateur ne pouvait se procurer un ordinateur nu, non équipé de logiciels, auprès du fabricant (Civ. 1re, 5 févr. 2014, n° 12-25.748 Lenovo c/ S. X). Elle imposait également au professionnel d’indiquer spécifiquement le prix des logiciels préinstallés sur l’ordinateur vendu (Civ. 1re, 6 oct. 2011, n° 10-10.800).

Au plan pratique, la disparition de l’obligation pour le professionnel d’indiquer un prix ventilé distinguant celui de l'ordinateur nu de celui des logiciels préinstallés, constitue une avancée légitime. L’ancienne solution paraissait sur ce point contre-productive puisque le prix du logiciel préinstallé que le professionnel se devait d’indiquer était vraisemblablement celui qu’il avait réussi à négocier auprès du fabricant et ne correspondait donc pas forcément au prix auquel le consommateur pouvait se le procurer de façon indépendante. La communication de cette information pouvait ainsi paradoxalement être trompeuse pour le consommateur. En revanche, l’information du consommateur sur les caractéristiques de chacun des logiciels préinstallés paraît nécessaire pour lui permettre de prendre une décision d’achat en toute connaissance de cause.

Vincent Varet et Camille Bertin, Avocats au Barreau de Paris et Sophia ARROUB