Quelles protections juridiques pour la réalité augmentée ?

La réalité augmentée entraîne des problématiques juridiques, et le droit doit s’y adapter.

La réalité augmentée est définie comme les "méthodes qui permettent d’incruster de manière réaliste des objets virtuels dans une séquence d’images". Définition un peu barbare pour les non-initiés, mais qui traduit pourtant une "réalité bien concrète" quand on parle de Google Glass ou de Pokemon GO.

Le principe consiste à superposer à partir d’images issues du monde réel des vidéos, images ou textes provenant du monde numérique. Tout un champ d’application infini s’ouvre à cette nouvelle technologie.

Ainsi, les domaines médical (simuler une opération), industriel (imaginer la réparation d’une voiture), militaire (mettre en scène de développement des forces armées) ou encore du grand public (visualiser un aménagement intérieur ou projeter une nouvelle garde robe) peuvent être impactés par cette nouvelle technologie. 

La croissance du marché de la réalité augmentée est estimée à 198% par an, avec un chiffre atteignant 143,3 milliards de dollars en 2020, selon les cabinets d’expertise. La course folle des géants du web et du multimédia est lancée, et avec la nouvelle mise à jour d'iOS 11, des dizaines d'applications de réalité augmentée sont désormais accessible aux utilisateurs Apple. 

Comme pour toute nouvelle technologie, celle-ci entraîne, ipso facto, des problématiques juridiques, et le droit doit s’adapter. S’il n’y a pas un régime juridique particulier encadrant la réalité augmentée dans son ensemble, un nombre important de règles spécifiques a cependant vocation à s’appliquer à chaque mise en œuvre de ce procédé. 

I - Les atteintes aux droits existants

La réalité augmentée touche à un nombre important de droits spécifiques : 

Les droits de la personnalité (respect de la vie privée)

Le système de reconnaissance faciale, déjà utilisé notamment aux Etats-Unis, permet de croiser des informations relatives à un individu que l’on photographie ou visualise. L’objectif peut être policier (faire apparaître les antécédents judiciaires de la personne) comme ludique (trouver l’âme sœur en fonction de critères prédéfinis).

La protection des données à caractère personnel

C’est la problématique la plus centrale et la plus sensible, et qui a entraîné des avis négatifs à l’encontre de la commercialisation des "Google Glass".  

La CNIL a pris position pour certain type d’applications en imposant des obligations de traitement:

o   pour la vidéosurveillance et la vidéoprotection (type Google Street view) : obligation de flouter les visages en direct et d’en informer les personnes 

o   pour la reconnaissance faciale et la géolocalisation : obligation d’obtenir l’autorisation.

La concurrence déloyale 

L'espace publicitaire virtuel, qui permet de remplacer les publicités des lieux publics par d’autres informations, voire des informations concurrentes, pose nécessairement la question du développement des pratiques commerciales trompeuses et de dénigrement de marque.

Le droit de la propriété intellectuelle

Au-delà de la protection de la technologie, se pose inévitablement la question de la contrefaçon de droits de propriété intellectuelle, notamment dans la reproduction, de manière virtuelle, d’objets sur lesquels des droits privatifs existent.

Le secret des affaires

Informations beaucoup plus accessibles et transmissibles, la réalité augmentée pourrait servir les esprits mal intentionnés et mettre à mal le secret des affaires, véritable actif immatériel des entreprises. La sensibilisation et l’encadrement contractuel des employés sur ce point devront être mis à jour.  

II – La protection des techniques de réalité augmentée

Plusieurs protections peuvent être envisagées, qui sont fonction des conditions requises par chacune d’elles et du type d’application choisie.

Le brevet 

La technique prenant appui sur la réalité augmentée peut être brevetable, sous réserve de remplir les exigences suivantes :

o   la nouveauté : l’invention ne doit pas avoir été rendue accessible au public ;  

o   l’application industrielle : l’invention doit pouvoir être fabriquée ou utilisée quel que soit le type d’industrie ;

o   l’application inventive : l’invention ne doit pas découler de manière évidente de la technique connue par “l’homme du métier”.

Facebook a ainsi breveté des lunettes reprenant des images virtuelles qui se superposeraient sur l’environnement réel. Apple a aussi breveté deux techniques de réalité augmentée de lunettes avec télécommandes et liens actifs. Quand à Amazon, il a déposé un brevet de shopping qui décrit un système dans lequel la réalité augmentée aiderait les clients à essayer certains produits, comme les vêtements.

Le droit des marques

Le nom de la technique doit bien évidement envisagé d’être protégé à titre de marque, dans l’ensemble de ses territoires d’exploitation, sous réserve de remplir les critères de distinctivité et de disponibilité.

Le dessin et modèle

L’apparence du produit (ou les innovations esthétiques) est susceptible d’être protégé au titre des dessins et modèles, sous réserve de remplir les conditions de nouveauté (aucun dessin ou modèle identique n’a déjà été divulgué) et de caractère propre (le dessin ou modèle ne doit pas susciter une impression de déjà-vu.

Le droit d’auteur

Les applications et logiciels (codes sources, interfaces graphiques et bases de données) sont protégeables par le droit d’auteur, s’ils sont originaux.

Le choix de la protection est stratégique puisque chacune entraîne des conséquences juridiques différentes quant à la titularité du droit, aux obligations d’exploitation, à la durée de la protection ou encore aux coûts de dépôts. Comme depuis de nombreuses années, avec l’arrivée d’Internet, des logiciels ou encore des réseaux sociaux, le droit s’adapte au monde dans lequel il évolue, et même au monde virtuel, qui n’est qu’au début de ses problématiques.