Geoffroy Martin (Criteo) "Pour conquérir le retail media, nous n'hésiterons pas à réaliser de nouvelles acquisitions"

Alors que son activité historique de retargeting ralentit, Criteo espère surfer sur l'engouement des e-commerçants pour le retail média avec le lancement d'une structure dédiée. Entretien avec son dirigeant.

Geoffroy Martin est le tout nouveau patron de Criteo Retail Media. © S. de P. Criteo

JDN. Vous prenez la tête de la nouvelle division retail media de Criteo. Pouvez-vous nous présenter cette activité ?

Geoffroy Martin. Il s'agit d'une division créée suite aux rachats de deux spécialistes de la monétisation de l'inventaire média des sites retailers, HookLogic en 2016 et Storetail en 2018. Une activité qui réunit aujourd'hui près de 300 collaborateurs répartis entre l'Europe et les Etats-Unis, soit environ 10% des effectifs totaux de Criteo. Après des mois de R&D pour intégrer les deux solutions acquises en surcouche de la technologie de Criteo, nous sommes à même de proposer une plateforme unifiée qui permet aux retailers de monétiser aux mieux leur offre de produits sponsorisés et bannières display sur leur site ou en extension d'audience, au sein d'autres sites.

Nous nous positionnons aujourd'hui comme un fournisseur de solution technologique pour les distributeurs. Ces derniers ont trois options. Ils peuvent choisir de tout gérer eux-mêmes, déployer nos solutions puis les commercialiser directement auprès des annonceurs. Ils peuvent également choisir de nous en confier la gestion, en rejoignant notre réseau. Dernière alternative, ils peuvent opter pour un modèle hybride, en nous confiant le déploiement de la technologie mais en gérant eux même la relation avec la demande. Criteo se finance en prenant un pourcentage du volume d'affaires qui transite par sa plateforme. Les annonceurs disposent, quant à eux, d'un tableau de bord qui leur permet de mieux piloter leurs investissements pubs au travers de la plateforme.

Comment déployez-vous cette solution auprès des retailers avec lesquels vous travaillez déjà en retargeting ?

Les deux solutions sont très complémentaires : le retargeting permet aux retailers de toucher les internautes qui sont très "chauds" là où le retail média leur permet de les toucher bien plus haut dans le tunnel de conversion. C'est aussi un moyen pour des distributeurs qui sont de plus en plus challengés au niveau de leurs marges de développer de nouvelles sources de revenus en monétisant leur trafic comme le fait un média classique. Dans tous les cas, ils peuvent s'appuyer sur la data Criteo et son customer graph de près de 1,5 milliard d'ID uniques.

Quels sont aujourd'hui vos principaux marchés ?

Ils sont au nombre de trois : l'Europe, les Etats-Unis et l'Asie. Avec des spécificités pour chacun d'entre eux. En Asie et en France, c'est notre Criteo Reseller program, qui permet aux marketplaces de mieux monétiser les relations avec leurs vendeurs, qui marche bien. Dans le reste de l'Europe et aux Etats-Unis, ce sont nos activités de retail média plus classiques qui se développent le plus vite. Nous sommes aujourd'hui le leader de ce segment.

Criteo avait annoncé espérer que ces nouveaux produits de commerce marketing pèsent 30% de ses revenus à l'horizon 2020… mais le ratio est seulement de 9% au 1er trimestre 2019. On en est encore loin...

"Nous voulons apporter à terme de l'intelligence aux magasins physiques"

Attention, les 9% que vous donnez correspondent à l'activité "nouveaux produits" de Criteo, dont le retail média, qui, s'il en constitue la plus grande partie, ne représente pas tout. Concernant les 30% que vous donnez, je n'étais pas encore dans la société au moment de la déclaration mais il s'agit, me semble-t-il, d'un horizon plus éloigné, d'ici deux à trois ans. Non pas d'une échéance à 2020 (l'annonce faite en 2017 parlait d'un horizon "à moyen terme", ndlr). Nous restons dans tous les cas dans la lignée de cet objectif. Le retail média est vraiment l'activité la plus importante dans notre stratégie multi-produits, qu'il s'agisse de chiffres d'affaires ou de potentiel. Si l'on met de côté le business des walled-gardens, nous estimons que le marché du retail media que nous pouvons adresser pèse entre 15 et 25 milliards de dollars. Et ce montant n'inclue même pas le volet offline, que nous espérons pouvoir adresser dans un second temps, en apportant de l'intelligence aux magasins.

Pourriez-vous procéder à de nouvelles acquisitions ou recrutements en vague pour soutenir cette activité ?

"Le marché du retail media que nous pouvons adresser pèse entre 15 et 25 milliards de dollars"

Nous avons une très belle croissance, que je ne peux pas communiquer étant donné que nous sommes une société cotée, mais qui s'accélère. Quand on veut conquérir un marché aussi gros que celui que je viens de dépeindre, il faut s'en donner les moyens. Nous n'hésiterons pas à recruter de nouveaux talents, voire à piocher dans notre petit trésor de guerre pour réaliser de nouvelles acquisitions.

Avec qui travaillez-vous aujourd'hui ?

Nous avons des clients prestigieux comme Target et Best Buy aux Etats-Unis. Ou encore Leclerc, La Redoute et Fnac – Darty en France.

Cela ne garantit pas pour autant que vous réalisiez beaucoup de business avec eux. Prenons le cas Fnac – Darty qui utilise selon nos informations votre solution pour monétiser ses invendus. Le business que lui rapporte Criteo est très minoritaire….

Je ne vais pas rentrer dans les détails car nous sommes soumis à des accords de confidentialité avec chacun de ces clients. Mais je peux vous dire, par exemple, qu'en additionnant les prestations effectuées pour les trois Français que j'ai évoqués plus haut, on retrouve l'ensemble de nos solutions.

Quand on regarde les annonces effectuées du côté de Carrefour, Casino ou encore Fnac – Darty, on a plutôt l'impression que la tendance est à l'internalisation de ces sujets plutôt qu'à une collaboration avec un nouvel intermédiaire…

Ce n'est absolument pas un souci pour nous. Chaque retailer est libre de choisir la manière avec laquelle il désire collaborer avec Criteo et l'utilisation de notre technologie en marque blanche est, comme je l'ai dit plus haut, une de ses possibilités. Notre neutralité et notre expertise technologique font de nous le partenaire privilégié des retailers. J'étais à New York la semaine dernière pour échanger avec nos clients américains et je peux vous assurer que plus les mois passent, plus notre relation avec ces derniers s'approfondit. Et plus ils veulent faire de business avec nous !

La concurrence de Google, dont la solution de produits sponsorisés a été testée par Monoprix, ne vous inquiète pas ?

Les velléités de Google ne nous inquiètent pas plus que celles des autres acteurs. C'est normal qu'ils soient attirés par un marché aussi prometteur. Mais nous pensons être les mieux placés pour réussir dans cet écosystème car nous sommes neutres. Les retailers sont sans doute plus à l'aise avec le fait de partager leurs données avec nous qu'avec une société qui, comme Google, peut être un concurrent à l'avenir. Nous leur proposons une alternative de monétisation qui leur donne à la fois la maîtrise de leurs données et offre à leurs consommateurs une expérience optimisée.