Exclusif : Bouygues Telecom fait entrer le loup Google dans la bergerie de la pub TV française

Exclusif : Bouygues Telecom fait entrer le loup Google dans la bergerie de la pub TV française L'opérateur télécom mise sur la technologie du géant américain pour bâtir son offre de publicité TV segmentée. Un choix qui inquiète l'écosystème.

Après avoir fait main-basse sur le marché du digital, Google avait annoncé, début 2019, vouloir s'attaquer au marché de la télévision. C'est chose faite en France où le géant américain vient, selon nos informations, d'être choisi par Bouygues Telecom pour aider l'opérateur à mettre sur pied une offre permettant aux chaînes de télévision dont les contenus sont visionnés via ses box de faire de la publicité ciblée. En clair, d'adapter les spots qu'elles y diffusent au profil des personnes qui les visionnent. Une pratique qui sera autorisée pour la télévision linéaire à partir du 1er janvier prochain, suite à la réforme de l'audiovisuel.

Elle permettra, selon le Syndicat national de la publicité télévisée (SNPTV), de générer près de 200 millions d'euros de recettes supplémentaires à horizon cinq ans. Mais pour accéder à ce pécule, les chaînes de télévision devront passer par les box des opérateurs, présentes dans plus de 50% des foyers français, et captent les informations nécessaires de ciblage : socio-démo, localisation, comportement de navigation... Et c'est ici qu'interviendra Google, dont la technologie servira de passerelle entre Bouygues Telecom et l'ad-server des chaînes.

"Bouygues Telecom a été tiraillé entre la problématique de souveraineté technologique et le confort d'opter pour une valeur sûre comme Google"

C'est une victoire de taille pour l'Américain dans sa stratégie de conquête du marché de la télévision linéaire. La première en Europe, alors qu'il essuyait jusque-là un véritable tir de barrage, perdant tous les appels d'offres auxquels il participait. "C'était très compliqué pour Google car les chaînes de télévision, qui observent de très près son hégémonie sur le digital, ne veulent absolument pas travailler avec lui", analyse un concurrent. En France, les plus importantes d'entre elles utilisent d'ailleurs la technologie de Freewheel. C'est le cas de TF1 qui a, selon nos informations, essayé de convaincre Bouygues Telecom, avec lequel il partage le même actionnaire, de prendre une autre direction.

La décision, finalement actée par le patron de l'opérateur, Olivier Roussat, a été "très compliquée à prendre", concède-t-on en interne. "Bouygues Telecom a été tiraillé entre la problématique de souveraineté technologique que soulève un tel choix et le confort d'opter pour une valeur sûre comme Google", analyse un proche du dossier. Le contrat de partenariat, d'une durée de trois ans, est assorti, comme tout contrat signé chez Bouygues Telecom, d'une clause de sortie permettant à l'opérateur de se désengager à tout moment. La technologie devrait, elle, être déployée d'ici un an. "Leur ambition est d'être prêts pour le premier trimestre 2021", explique un proche du dossier.

"Une nouvelle défaite aurait enterré les ambitions de Google en France. Cette décision rebat complètement les cartes" 

Sans surprise, l'annonce, communiquée ce matin même au finaliste malheureux, Smart, a été plutôt fraîchement accueillie. "Alors que les médias sont préoccupés par leur capacité à préserver leur indépendance et à travailler avec des tiers de confiance neutres et indépendants, nous ne pouvons qu'être surpris par cette décision. L'entrée de Google sur le marché français de la télévision fait peser un risque majeur sur tout l'écosystème européen", déplore le PDG de la plateforme, Arnaud Créput. Car le choix de Bouygues Telecom pourrait faire des émules. "Une nouvelle défaite aurait enterré les ambitions de Google en France, estime un concurrent. Mais cette décision rebat complètement les cartes."

Orange et Free n'ont pas encore tranché

Sur les quatre opérateurs français qui doivent chacun investir une dizaine de millions d'euros pour mettre sur pied leur offre, seul Altice a déjà tranché. Le groupe dirigé par Patrick Drahi a opté pour la technologie de Freewheel. Du côté d'Orange, on pencherait plutôt pour un développement en interne. Chez Free, qui s'intéresse depuis peu au sujet de la publicité segmentée, rien n'a encore été arrêté. Mais l'opérateur, dont une partie des box, les mini 4K, sont (comme celles de Bouygues Telecom) équipées d'Android, pourrait être naturellement amené à faire le même choix… "Google va sans doute réussir à sécuriser deux opérateurs télécoms sur quatre", soupire un concurrent. Ce sera, en revanche, beaucoup plus compliqué du côté des chaînes de télévision. Les appels d'offres de France Télévision, prévu pour 2020, et M6, prévu pour 2021, seront scrutés de près. D'autres acteurs comme Smartclip, filiale du groupe RTL (également propriétaire de M6), et Smart, qui vient de remporter un appel d'offres avec la RTBF, sont eux aussi à l’affût.

Google, qui n'a jamais fait mystère de son ambition de décloisonner autant que possible achats TV et achats vidéo online, continue pendant ce temps de développer sa gamme de produits. Il planche notamment sur la mise en place d'un ordre d'insertion unique qui permettra aux annonceurs d'acheter de l'inventaire vidéo, qu'il soit diffusé en digital ou en TV, depuis sa plateforme d'achat DV 360. Il permet également aux éditeurs équipés de Google Ad Manager de recourir à l'insertion dynamique de publicité pour leur inventaire OTT. La technologie, baptisée Dynamic Ads, est également déployée en télévision linéaire au Mexique grâce à un partenariat avec l'opérateur télécom Total Play. "Comme souvent avec Google, il n'y a pas grand-chose à redire côté techno, analyse un expert du marché. Le danger, c'est plutôt qu'il reproduise en télévision les comportements qui lui ont valu toutes ces enquêtes pour abus de position dominante sur le digital", prévient un expert…