IDFA : dans l'attente d'un rétropédalage d'Apple, le marché pub cherche une issue

IDFA : dans l'attente d'un rétropédalage d'Apple, le marché pub cherche une issue Lobbying auprès des instances gouvernementales et mise en place de dispositifs pour augmenter le taux de réponses positives sont deux des principales voies explorées.

Dans le conflit qui les oppose à Apple concernant la gestion de l'IDFA, les acteurs de la publicité ont gagné la première bataille. Pour rappel, la firme à la pomme voulait les contraindre, dès septembre 2020, une fois IOS 14 lancé, à obtenir le consentement de l'utilisateur pour exploiter l'identifiant publicitaire qui lui est associé, l'IDFA. Elle a finalement accepté de leur octroyer un peu plus de temps, repoussant l'échéance à début 2021. Une concession étonnante de la part d'un géant qui n'a généralement pas peur de passer en force… Mais qui s'explique en partie par l'énorme tollé suscité par l'annonce d'Apple. Une dizaine d'associations, dont la MMA, l'IAB, le SRI et le Geste, ont adressé un courrier à Tim Cook l'enjoignant à revoir sa copie dans les jours qui ont suivi. Parmi les principaux griefs, on peut citer l'incompatibilité de la méthode imposée par Apple avec le RGPD et l'absence de personnalisation d'une pop-up jugée trop anxiogène. On peut également ajouter des soupçons de pratiques anti-concurrentielles, Apple n'imposant pas de telles contraintes à son service de promotion des applications au sein de l'App Store, Search Ads.

Une rencontre avec le cabinet de Cédric O

Si elles se félicitent de l'obtention d'un délai supplémentaire (le marché applicatif repose beaucoup sur cette IDFA pour faire de la publicité ciblée et de l'attribution), les principales associations professionnelles du secteur n'ont pour autant pas l'intention de rester les bras ballants. Elles multiplient les rencontres, avec Apple d'une part, les instances gouvernementales de l'autre, pour faire avancer les choses. Il s'agit de faire fléchir le premier concernant un dispositif jugé superflu, alors même que les CMP et le framework de transmission du consentement, le TCF, permettent à chaque éditeur d'application de s'assurer du bon respect du RGPD. Et il faut sensibiliser les seconds, les gouvernements français, allemands et les instances européennes, à la cause d'une industrie déjà bien affectée par la crise du coronavirus. Les cabinets du commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, et de l'homologue allemand de Cédric O, ont également été approchés.

Rien de concret n'est, selon nos informations, sorti de ces rendez-vous. Apple fait pour l'heure la sourde oreille tandis que l'exécutif prend son temps. Ce qui explique que les éditeurs d'applications aient décidé d'explorer plusieurs pistes pour s'adapter aux nouvelles règles d'Apple. L'enjeu : optimiser la collecte de l'IDFA et le pourcentage de réponses positives. Le versement d'une récompense en échange de l'autorisation à l'utilisation de l'IDFA (un coupon de réduction par exemple) a notamment été évoqué. Selon un sondage réalisé par Martech Today, 60% des utilisateurs y seraient favorables. Le concept n'est pas nouveau : le JDN évoquait déjà dans un article paru en 2015 ce concept de VRM, pour vendor relationship management, qui voit l'utilisateur accepter de communiquer ses données personnelles, sous réserve d'y trouver un intérêt. Mais Apple a tué l'idée dans l'œuf, en profitant du lancement d'IOS 14 pour mettre à jour les guidelines de son AppStore. "Elle y interdit explicitement le recours à une action incentivée, qu'il s'agisse de donner son avis sur l'application, de regarder une vidéo ou d'accepter le tracking, pour accéder à l'application", révèle Patrick Mareuil, le patron EMEA du spécialiste de la push notification Airship. Les mises à jour de toutes les applications qui se risqueront à proposer un tel deal à leurs utilisateurs seront donc retoquées, comme l'ont confirmé les équipes d'Apple à un acteur du gaming. 

L'autorité de la concurrence sollicitée ?

L'inter-profession pourrait toutefois remettre en question la légalité d'une telle décision, comme elle l'avait fait avec la Cnil, lorsque celle-ci s'était prononcée contre la pratique du cookie wall (méthode qui consiste à bloquer l'accès à un site Internet en cas de refus des cookies). Le Conseil d'Etat lui avait, courant juin, donné raison sur ce point. Rien n'empêcherait les principales associations du marché de faire de même avec Apple, en invoquant une entrave à la liberté de choisir leur propre business model. Elles pourraient également saisir l'Autorité de la concurrence, sous réserve de démontrer l'existence d'une pratique anti-concurrentielle aboutissant à un préjudice pour le reste du marché. Le fait qu'Apple ne s'impose pas d'obtenir le consentement à l'utilisation de l'IDFA, parce qu'il estime que le tracking publicitaire qu'il réalise n'est pas cross-site, mais cantonné à son propre environnement, pourrait être un bon argument. "Apple récolte des données personnelles comme les applications que l'utilisateur a téléchargées ou les achats qu'il a effectués grâce à d'autres services, analyse un patron d'adtech. Rien ne justifie, à ce titre, qu'il échappe à l'obligation qu'il impose aux autres." La Mobile Marketing Association France (MMAF) soulignait déjà, au moment de l'annonce d'Apple, que ce "deux poids deux mesures" portait préjudice à tous les acteurs de la promotion d'applications. Or ces derniers sont des concurrents directs de l'offre d'Apple, Search Ads. La firme à la pomme, qui est déjà mise sous pression par Spotify et Fortnite pour les commissions qu'elle prélève au moment des transactions in-app, verrait d'un mauvais œil un nouveau procès pour pratiques anti-concurrentielles.

"Un interstitiel plus explicite et attrayant que le message système imposé par Apple pourrait permettre d'obtenir de meilleurs résultats"

Alors que l'issue de ces batailles juridiques est très incertaine, certains éditeurs d'applications, plus pragmatiques - plus fatalistes ? - explorent une autre piste. Celle de la pédagogie auprès des utilisateurs. "Nous sommes approchés par des clients qui aimeraient qu'on les aide à communiquer là-dessus", confirme Patrick Mareuil. S'il leur sera a priori impossible de personnaliser la pop-up de récolte du consentement au tracking via l'IDFA, rien ne les empêche d'afficher des messages in-app pour expliquer leur démarche. "Un interstitiel plus explicite et attrayant que le message système imposé par Apple pourrait permettre d'obtenir de meilleurs résultats", estime Patrick Mareuil. C'est déjà ce qu'Airship propose à ses clients qui veulent booster les taux d'opt-in aux push notifications. La plateforme affiche un interstitiel demandant aux clients d'une compagnie aérienne s'ils souhaitent recevoir des messages les avertissant en cas de retard, perte de bagages et offres promos. Ceux qui répondent par la positive se voient proposés dans la foulée, via le système Apple, de recevoir des push notifications. "Cela nous a permis de faire monter le taux d'opt-in de 65 à 80% en l'espace de quelques semaines", assure Patrick Mareuil. La plateforme attend en revanche pour ceux qui répondent non à son message interne, consciente qu'elle n'aura pas de deuxième chance s'ils refusent. Apple n'autorise en effet les éditeurs d'application à poser cette question qu'une seule fois. "Il est fort probable que ces personnes refusent tout de go. Autant se laisser le temps de leur faire la proposition plus tard, en espérant qu'ils changent d'avis", commente Patrick Mareuil.

Le dirigeant d'Airship est relativement confiant quant à l'impact d'un tel dispositif sur les taux d'opt-in IDFA. "Bien sûr, les pourcentages d'acceptation seront beaucoup moins élevés que pour des push notifications qui apportent une véritable valeur ajoutée. Mais avec la bonne stratégie, on peut facilement passer de 15-20% à 30-40%", estime notre expert. Il faudra sans doute prendre le temps de tester la bonne formule, avec pas mal d'AB testing, mais c'est un moindre mal pour un sujet aussi stratégique…