Edouard Letort (Gravity) "Gravity doit réussir à cibler les audiences cookieless dans l'open web"

Le nouveau directeur général de l'alliance data des médias français explique comment et pourquoi il veut en faire un actif technologique.

JDN. Vous venez de prendre la direction générale de Gravity. Où en est cette alliance data qui réunit plusieurs éditeurs français ?

Edouard Letort est le directeur général de Gravity. © S. de P. Gravity

Edouard Letort. Notre chiffre d'affaires est en croissance de plus de 30% par rapport à 2020. L'activité se structure autour de deux leviers, qui sont le managed services, c'est-à-dire les ventes grés à gré opérées par nos équipes, et les deals programmatiques, des accords noués directement avec les trading desks. L'activité de deal, dont les revenus ont crû de 400% sur un an, porte notre croissance. Elle va peser pour près du tiers de nos revenus alors qu'elle a été lancée il y a moins de deux ans. La bonne nouvelle, c'est que nous allons être largement bénéficiaires en 2021, ce qui va nous permettre d'investir en ressources humaines. J'espère pouvoir doubler les effectifs dans les trois prochaines années, pour réunir 30 collaborateurs au total. Il s'agira de recruter autant de commerciaux que de tech. L'idée étant de construire un véritable actif technologique que nous pourrions vendre en SaaS à nos régies membres.

Vous pensez à des produits en particulier ?

Par exemple, leur proposer la solution de ciblage contextuel que nous avons mise au point à un tarif préférentiel. Avec la disparition des cookies tiers, les éditeurs sont demandeurs d'alternatives. A nous de les leur proposer. Cela peut aussi être, plus classiquement, de leur remonter des insights utiles à la construction de leur offre édito ou à l'optimisation de leur monétisation. Notre contrat nous interdit d'utiliser la data d'un membre A pour l'injecter chez un membre B mais nous pouvons tout à fait ressortir des reportings agrégés. L'ambition, c'est de devenir fournisseur de solutions technologiques. Je pense que c'est vertueux car cela renforce notre relation avec les membres de l'alliance, qui nous voient déjà comme un laboratoire d'innovation capable de leur remonter ses réflexions, travaux et tests.

Devenir fournisseur de technologie, c'est aussi un moyen de retirer cette étiquette de sous-régie que l'on vous colle parfois. C'est important alors que certains éditeurs veulent faire le ménage dans leurs partenaires ?

Je ne pense pas qu'on soit une sous-régie. Quand on me parle de sous-régie, je pense à des acteurs comme Teads, Ogury ou Outbrain. Des acteurs qui ont une simple relation contractuelle avec les éditeurs là où Gravity a la chance d'en compter un certain nombre parmi ses actionnaires. Ma mission, c'est de développer la structure Gravity pour apporter de la valeur à ses actionnaires, pas de permettre à je ne sais quel VC de faire une plus-value. Et ça change beaucoup de chose ! C'est ce qui me permet de nouer une relation de confiance avec les éditeurs, que n'aura pas forcément une sous-régie classique. C'est ce qui me permet aussi d'avoir une intégration directe dans le wrapper de la plupart des éditeurs.

"La donnée Gravity reste dans Gravity et c'est forcément rassurant pour tous ces médias préoccupés par le data leakage"

80% de nos investissements médias transitent par ce biais, ce qui nous permet d'être hyper compétitifs côté prix, parce qu'on ne passe pas par des intermédiaires. Un autre bon exemple, c'est le sujet de la data. Notre ambition, c'est de valoriser cet actif des éditeurs, pas de le revendre à des tiers. La donnée Gravity reste dans Gravity et c'est forcément rassurant pour tous ces médias préoccupés par le data leakage. Chaque mois, je les rémunère en fonction de l'usage que j'ai fait de leur donnée.

Le problème, c'est que vous ne les rémunérez toujours pas bien, la data étant aujourd'hui beaucoup moins bien valorisée que le média…

C'est effectivement un sujet qui nous préoccupe. Nous avons la chance d'opérer des inventaires médias premiums, qu'il s'agisse du display ou de la vidéo qui a, elle, des niveaux de complétions élevés. Les CPM sont au diapason de cette qualité, à plus de 10 euros sur le format vidéo par exemple. Nous ne pouvons malheureusement pas facturer la data au même prix. Parce que ça ne se justifie pas et que nous serions de toute façon hors marché. La réalité c'est que le marché de la data tierce valorise ça 1 à 3 euros du CPM, même en étant dans la fourchette haute. Nous sommes donc contraints de rémunérer davantage les éditeurs qui nous fournissent en média que ceux qui contribuent en data. Ça peut créer des frustrations mais il ne faut pas oublier un point. La monétisation de la donnée, c'est de l'incrémental. Un éditeur peut monétiser plusieurs fois une même donnée. Il ne peut pas en dire autant de ses impressions publicitaires.

Quelle est aujourd'hui votre relation avec les agences médias ?

"81% de notre chiffre d'affaires se fait aujourd'hui avec le Big 5"

81% de notre chiffre d'affaires se fait aujourd'hui avec le Big 5. Gravity c'est, rappelons-le, une solution de ciblage publicitaire premium, performante et durable. Le premium, c'est la qualité des marques médias avec lesquelles on travaille. C'est aussi la qualité des environnements publicitaires que l'on peut dénicher, des emplacements vidéos avec un taux minimum de complétion de 80% par exemple. La performance, c'est notre capacité à optimiser le ciblage publicitaire, chose qui, dans un environnement cookieless est de plus en plus difficile à faire. C'est un défi que Gravity souhaite relever : réussir à cibler les audiences cookieless dans l'open web.

On se focalise sur la disparition des cookies tiers de Chrome en 2023 mais il faut savoir que déjà 50% de l'inventaire web est non exploitable. Soit parce que des navigateurs comme Safari ou Firefox bloquent les cookies tiers, soit parce que l'internaute refuse de donner son consentement. Il est donc crucial de se pencher sur toutes les techniques de ciblage cookieless, que ce dernier prenne la forme de contextuel sémantique, de donnée loguée, d'identifiants partagés ou de cohortes, comme on en trouvera au sein de Privacy Sandbox.

Les trading desks ne le font pas ?

Pas vraiment. Et je ne saurais pas vous dire si c'est par manque de temps ou d'envie. En tout cas, ils ont besoin de partenaires qui, comme Gravity, sont capables de mutualiser la donnée d'éditeurs à grande échelle. Il ne faut vraiment pas sous-estimer l'inquiétude et le chaos qu'engendre la disparition des cookies tiers.

Dans ce chaos, quelle est votre vision ?

Ma conviction, c'est que beaucoup d'investissements médias vont basculer vers du contextuel panel car c'est comme ça que fonctionne déjà le marché de la pub TV et que beaucoup d'annonceurs se sont habitués à ce mode d'achat au GRP. Le contextuel panel, sur le Web, c'est l'équivalent de ce qui se passe en télévision et ce sera quelque chose de complètement compatible avec un environnement Web privacy first. Il s'agit de comprendre le comportement de navigation des utilisateurs logués ou cookiefiés, qui ont donné leur consentement, et d'en tirer des enseignements en matière de ciblage. C'est, par exemple, être capable de connaître l'indice d'affinité des articles comprenant le mot clé "Playstation 5" avec la cible homme 25-50 ans.

Ça fonctionne ?

Selon nos données internes, le taux d'impression sur cible de notre technologie contextuelle avoisine les 60-70%, contre 50% pour la moyenne. On va faire des campagnes DAR dans les prochaines semaines pour le prouver.